Agrandissement : Illustration 1
Force est de constater que lorsque les internautes s’ennuient, ils occupent leur temps libre en nuisant aux autres. Et le lock down actuellement imposé pour cause de coronavirus ne fait que renforcer la tendance. Sextorsion et revenge porn (se venger par la diffusion d’images intimes lorsque l’on est éconduit), le slut shaming fait des ravages. Des comptes Snapchat baptisés « fishas » diffusent des contenus privés de jeunes filles sans leur consentement. Si sur Instagram, les comptes sautent rapidement grâce aux robots [outils de modération automatique], sur Snapchat, c’est beaucoup plus lent. Des groupes informels s’organisent pour les signaler et les faire supprimer, mais des dizaines d’autres réapparaissent instantanément. Ces nudes estampillés « porno » collent alors à la peau du web des années durant. Cyberharcèlement, dépression et suicide dans le pire des cas, les conséquences de cette mise au pilori virtuelle sont terribles. Malgré le nombre élevé de victimes mineures, peu d’entre elles portent plainte. D’abord parce qu’elles ne savent pas pour la plupart que le chantage aux photos dénudées est un délit. Ensuite, parce qu’elles se disent envahies par la honte, notamment vis-à-vis de leurs parents, ce qui renforce leur sentiment d’isolement. Mais, l’explication se trouve aussi aux origines du phénomène.
Des femmes-enfants « hyper sexe »
L'hypersexualisation se caractérise par un usage excessif de stratégies axées sur la sexualité. Elle véhicule une image réductrice du corps à travers le culte de la performance sexuelle et de l’apparence physique. Dans une surenchère à qui sera la plus sexy, la jeune femme contemporaine s’impose ainsi de répondre à l'obligation sociale d'être sexualisée pour plaire. Carrefour de projections multiples, il faut qu’elle soit toujours plus jeune pour être toujours plus désirable. Seins trop petits, hanches trop larges, tyrannie des apparences véhiculée par les icônes Kardashian et consorts, le bistouri sévit sur et sous la peau. Liposuccion, placement de prothèses mammaires, gonflement des lèvres, silicone et « valley » de rustines, la chirurgie esthétique développe son business sur un nouveau segment de marché, les 14-18 ans ! Flagrante également dans cette course effrénée au jeunisme, l’âge des mannequins que se disputent les maisons de Haute Couture. Sur les podiums, des nymphettes flirtent avec une anorexie qu’elles pensent être des plus glamour.
Marketing juvénile
A l’heure où l’on traque les dérives sexistes en tous genres, il est intéressant de se demander jusqu'où ira cette nouvelle forme de communication commerciale par le biais de l'enfance, lorsque l’on constate que les marqueteurs exploitant le filon le font à grands coups de lolitas en couche-culotte. Il y a trente ans, les fillettes prenaient soin de leur enfance en jouant à la poupée. Elles lisaient le « Petit Prince » et « Les malheurs de Sophie ». Aujourd’hui, pour son malheur, talons hauts, robes imprimées léopard, shootée dans des postures suggestives, Sophie participe à des concours de mini-miss dès l’âge de 4 ans, avec l’assentiment souriant de ses parents. Or, dans cette quête de notoriété, la logique commerciale se heurte de front à l’enfance. Inversion des rôles, les physiques adolescents sont devenus les nouveaux modèles fantasmagoriques des adultes et la mise en scène « porno-chic » sert de toile de fond au consumérisme. Parfums, lingerie, voitures de luxe, le sexe dit faible a toujours été le sexe « fiable » pour vendre. Mais, se rajoute à présent la vente d’images subliminales juvéniles nourrissant les appétits lubriques de pseudo Weinstein.
Selfies et néo-culture du narcissisme
Le tableau ne serait pas complet sans recontextualiser le cadre dans lequel se joue cette triste pièce : une néo-culture du narcissisme dans une société contemporaine envahie par le « moi je ». Jouissance immédiate, l’appareil photo n’est plus ouvert sur le monde, mais braqué sur le « soi ». On se partage à bout de bras. Enjeu de popularité en escalade, le défi est de montrer que ma réalité faite de « Secret Story » peut aussi faire fantasmer. Qu’y a-t-il de mal à vendre du rêve, me direz-vous ? Le message induit est pourtant lourd de sens ! Les enfants hyper « sexe » sont assimilés à des produits consommables. Effet pervers, quand une enfant de douze ans se pare d’artifices, elle n'associe pas forcément son apparence à l'aspect érotique qu’elle peut renvoyer dans le regard que pourrait lui porter un homme. Le diagnostic du psychiatre Didier Lauru est sans appel. Il compare cette intrusion à flot continu de la sexualité adulte dans l’enfance à de l’« abus sexuel psychique ».
Plus dangereux au féminin
Les jeunes en devenir cherchent des modèles à imiter pour trouver leur identité. Ce pourquoi, les émissions de téléréalités cartonnent. Or, l’hypersexualisation vient entraver leur processus de développement et leur propre rythme d’appropriation de la sexualité. Selon un rapport de l'American Psychological Association, ente 12 et 17 ans, le phénomène est plus dangereux pour les jeunes femmes que pour les garçons. Les filles qui imitent ces comportements sexuels adultes, par leurs tenues vestimentaires, leur dialectique corporelle ou la pratique précoce de relations sexuelles, sont bien plus mal jugées socialement que les jeunes hommes du même âge qui auraient les mêmes comportements. En outre, la limite devenant floue entre un comportement dit « acceptable » et un comportement « abusif », soit non-respectueux par rapport aux codes de séduction, cela expose ces adolescentes à des abus sexuels lors de leurs premiers rapports, lorsqu’ils ne sont pas non consentis. Enfin, l’hypersexualisation génère aussi de l’hyper-virilité négative par la diffusion de codes et d’attitudes qui vantent une sexualité active, machiste et sexiste fondée sur des stéréotypes, ce qui alimente aussi les agressions sexuelles et les violences faites aux femmes. S’il semble bien compliqué toutefois de contrer en amont l’évolution en « dérives » de nos mœurs sociétales, le législateur sanctionne à tout le moins en aval.
Amendes et poursuites pénales
En France, depuis 2016, le délit d’atteinte volontaire à l’intimité de la vie privée a été renforcé. Il punit la diffusion, le fait de rendre public ou de montrer à quelqu’un « tout enregistrement ou tout document portant sur des paroles ou des images présentant un caractère sexuel ». Cela vaut pour des images obtenues de manière consentie ou non, pour des paroles de nature sexuelle ou des images, prises dans des lieux publics ou privés. Les peines encourues sont de 2 ans d’emprisonnement et 60.000 euros d’amende.
En Belgique, le 10 mars 2020 dernier, La Chambre des représentants a adopté en commission de la Justice, une proposition de loi visant à lutter contre le revenge porn. Le texte permet au tribunal de première instance d’ordonner en extrême urgence (dans les 6 heures) le retrait des contenus incriminés. La victime pourra également s’adresser au Procureur du Roi qui pourra ordonner le retrait des images. En outre, la proposition de loi prévoit que la responsabilité du diffuseur ou de l’opérateur est engagée s’ils ne se soumettent à l’ordonnance du tribunal. Ils pourraient être poursuivis pour infraction pénale avec une amende pouvant aller jusque 15.000 euros.
Alessandra d’Angelo
Portfolio 16 avril 2020
Cybercriminalité : Hypersexualisation, Fishas et Revenge porn
Avec le confinement, c’est le retour en force sur les réseaux sociaux des « fishas », ces comptes qui publient des photos hackées d’adolescentes dénudées pour les « afficher » à la vue du tout-venant sur la toile.
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.