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Par mesure de sureté sanitaire, les préaux sont annulés et les parloirs suspendus, tout comme les permissions de sorties et les remises en liberté. Toutes les activités en intérieur, bibliothèque, ateliers socio-culturels, formations professionnels et sport en salle sont interdites. Confinés avec leurs codétenus, d’aucuns refusent de réintégrer leur cellule. Afin de rendre les consignes plus supportables, les accès aux téléphones fixes, seul contact avec le monde extérieur, sont facilités. Mais, les familles sont inquiètes. Les détenus sont majoritairement dans l’inconnu. S’il leur est demandé d’enfiler une chaussette sur le combiné du téléphone afin d’éviter de répandre les germes, Ils n’ont pas tous accès aux consignes liées au coronavirus, ni aux détails des dispositifs prévus. Selon plusieurs agents pénitentiaires, leur attitude face aux exigences de respect des gestes barrières est, à l’image de la société lorsque la rumeur court : disparate. Certains sont particulièrement sous pression. Ils pensent que le tabac leur est désormais interdis. Ils craignent aussi de voir leurs « cantines » non approvisionnées. Les actes de violences se multiplient. Véritables poudrières, les établissements pénitentiaires sont au bord de l’explosion. Corps médical et administration redoutent le pire.
Incubateurs en puissance pour le Covid-19
Le virus ne s’arrête pas aux murs des prisons. Dans un contexte de surpopulation carcérale et d’établissements pénitentiaires insalubres, où l'encellulement individuel est une gageure, la difficulté principale est de gérer la promiscuité. La plupart des détenus vivent à deux, voire à 4, dans des cellules exiguës, quand ils ne sont pas dans des dortoirs de 6 ou 8. Or, l’état de santé d’un détenu est plus fragile que celui d’un citoyen lambda. La population carcérale est d’emblée fragilisée. S’il est difficile d’établir une photographie claire de la situation, en prison, on observe une présence accrue de certaines maladies transmissibles, comme le HIV et l’hépatite C. Le risque de contracter la tuberculose est 16 fois supérieur à l’intérieur par rapport à l’extérieur d’une prison. Les infections de tous types se propagent par manque d’hygiène et par la présence de rats et de cafards. Les détenus souffrent de dermatites chroniques en raison des paillasses qui tiennent lieu de matelas et des moisissures présentent sur les murs et dans les douches. Les délais d’attente pour obtenir une consultation, même en cas d’urgence, s’étirent sur plusieurs semaines. Or, un diagnostic retardé peut avoir des conséquences graves. Les délais pour consulter un dentiste sont également extrêmement long et les soins sommaires, la durée des rendez-vous se limitant à une heure par détenu. Plusieurs d’entre eux souffrent donc d’abcès dentaires. Solution ultime, quand le mal est insoutenable, ils se tapent la tête contre les murs pour s’arracher leurs dents eux-mêmes. La nourriture basique, peu vitaminée et mal équilibrée, explique également leur mauvais état de santé.
Etant donné les conditions d’accès difficiles aux soins en les murs, les détenus sont donc extrêmement inquiets pour leur santé, en cas de propagation du virus. Les gels hydroalcooliques, quant à eux, ne peuvent être distribués, l’alcool étant interdit en détention. Des avocats témoignent de l'affolement légitime de leurs clients. Les conséquences de la propagation du virus pourraient y être désastreuses. L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) rappelle, quant à elle, que les recommandations européennes en matière d’accès aux soins de santé s’appliquent de manière équivalente à tous les citoyens, libre ou provisoirement privés de liberté.
Rébellion ouverte et mutineries
En Italie, c’est déjà la révolte ! Dans le contexte de la pandémie, depuis l’annonce, le 7 mars, de la suspension des visites de proches, plusieurs établissements pénitentiaires sont le théâtre de débordements révélateurs de l’état du système carcéral national. Les vidéos qui circulent sur les réseaux sociaux sont aussi virales que la maladie qui touche la péninsule. Lits détruits, débuts d’incendies, des incidents ont éclaté dans 49 des 189 établissements pénitentiaires du pays. En France, l’administration pénitentiaire a aussi pris la décision de suspendre, jusqu’au 31 mars, les parloirs dans tous les établissements du pays et les premiers incidents ont eu lieu dès le 17 mars. Des tirs de sommation ont même été nécessaires pour rétablir un semblant d’ordre. Aux frontières de l’hexagone, en Belgique, les visites en prison sont également suspendues jusqu’au 3 avril prochain.
Craignant une flambée du virus en milieu carcéral, médecins, militants associatifs et magistrats demandent des mesures urgentes pour désengorger les prisons. Les unités sanitaires des établissements pénitentiaires, déjà surchargées et en sous-effectifs, ne seraient pas prêtes à faire face à un afflux massif de malades. Des voix s’élèvent donc pour que des dispositions exceptionnelles soient prises, telles que la mise en place de peines alternatives, des remises en liberté anticipée pour les détenus les plus âgés - ou particulièrement vulnérables – et pour les condamnés en fin de peine et l’allègement des courtes peines d’incarcération, la majorité des détenus occupant nos établissements pénitentiaires purgeant des peines de moins de trois ans.
Des masques solidaires
Si le Covid-19 met à nu les fêlures de nos établissements pénitentiaires, la solidarité est pourtant au rendez-vous derrière les murs. Des prisons belges équipées d’ateliers de couture vont fournir des centaines de masques de protection aux personnels soignants du pays. Selon Kathleen De Vijver, porte-parole de l’Administration Pénitentiaire (AP), l’initiative provient de détenus volontaires. Onze détenus de la prison d’Audenarde, capables de produire 500 masques par jour, devraient être imités prochainement par sept autres à la prison de Merksplas, près d’Anvers (Nord), déjà prêts à commencer. Quatre autres prisons disposant d’un atelier de couture, dont celles de Bruges (Nord) et celle de la commune bruxelloise de Forest, devraient aussi être concernées prochainement par ce geste de solidarité. « Les détenus veulent faire quelque chose en retour pour la société », a salué le ministre belge de la Justice, Koen Geens, sur son compte Twitter.
Il reste à espérer que cette solidarité citoyenne de nos détenus sera présente en retour à leur encontre. Si la sécurité sanitaire ne devait plus être garantie en prison, notre justice manquerait de manière flagrante à son obligation de protéger les personnes qu’elle a un jour décidé de placer sous sa garde… pour les protéger.
Alessandra d’Angelo
Portfolio 19 mars 2020
Prisons européennes : Le coronavirus met à jour une situation kafkaïenne
C’est l’effet papillon: le confinement et l’isolement sanitaire impactent sur l’isolement judiciaire. La tension monte derrière les murs au rythme de l’épidémie. Ambivalence du huis-clos, les détenus redoutent une contagion exponentielle dans un espace à l’air vicié. Les prisons européennes connaissent leurs premiers incidents.
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