Denis Dufour :

la composition de l’écoute,

entretiens avec Vincent Isnard

 

Le livre se veut une introduction à la pensée musicale du compositeur. Le genre livre d’entretiens permet à la fois érudition, vivacité, simplicité et fluidité ; en 6 chapitres (apprentissage, composer, transmettre, l’héritage Schaefferien, GRM et IRCAM, la démarche concrète aujourd’hui) complétés par un glossaire, nous suivons un parcours de vie consacrée à la création musicale et au combat pour sa diffusion. Un tel itinéraire, riche et mouvementé, laisse forcément d’inévitables déceptions, voire des blessures, des humiliations ; c’est le mérite de Denis Dufour que de les évoquer sans jamais tomber dans le règlement de compte, juste les remettant en contexte et les rattachant à des invariants humains : goût du pouvoir, complaisances, cynisme, servilité et renvois d’ascenseurs de la part de gens dont Camus disait « ils ne sont pas amis, mais complices ».

Ses qualités de compositeur (autant instrumental qu’acousmatique), d’autres, plus spécialistes, pourront s’y pencher ; son dynamisme, sa diversité de talents et d’engagements, quiconque jettera un coup d’œil à son parcours en prendra la mesure : compositeur original (ce n’est hélas pas un pléonasme), théoricien compréhensible (c’est souvent hélas un oxymore), pédagogue simple, à la fois intransigeant et bienveillant, organisateur, diffuseur et éditeur juste.

Je voudrais uniquement ici porter témoignage de son intégrité, sa rigueur et générosité : j’ai été à la fois collègue et élève de Denis Dufour au CRR de Perpignan où, bibliothécaire je décidai de passer de la connaissance théorique à la pratique en prenant le risque, sur le tard, de mettre les mains dans le cambouis si je puis dire, en suivant le cursus de composition acousmatique. J’ai pu vérifier pratiquement, en 4 ans, qu’au delà d’un excellent enseignant comme il doit ou devrait y en avoir beaucoup, Denis était un Maître au sens définit par Ariane Mnouchkine, « pas quelqu’un qui vous oblige, mais quelqu’un qui vous attend, pour vous donner quelque chose de manière très généreuse ». (Les qualités de l’enseignant se retrouve naturellement chez le créateur qui affirme « Je ne cherche pas à guider en permanence l’auditeur sur le chemin que j’ouvre. Je lui propose divers états de perception »).

Assez vite en effet, Denis m’a permis – à moi, un inconnu, élève âgé, sans carrière, pouvoir ou entregent (donc sans retour sur investissement possible) de diffuser mes créations : concerts Syntax (y compris un concert monographique d’une création de 1h30, acousmatique, danse et photographies), festival Futura, mise à disposition de l’acousmonium Motus pour des concerts en des lieux improbables (théâtre, centre d’art), jusqu’à l’édition d’un CD (https://www.resmusica.com/2007/07/02/commemoration-a-la-facon-acousmatique/) dans son label, Motus. J’entends encore son propos lors d’une conversation « je n’édite pas des compositeurs, mais des œuvres » !

Cursus terminé, j’ai pu découvrir par moi-même que la générosité, l’ouverture sincère, d’un Dufour reste exceptionnelle, pour ne pas dire unique dans le milieu fermé des d’avants gardes jalouses de leurs positions. Là où j’avais connu dialogue critique et ouverture, ce ne fut plus que silences et portes fermées… passons !

J’ai alors compris pourquoi, en réaction contre les chapelles, renvois d’ascenseurs et complicités diverses de ceux qui refusaient « de vulgariser un art qu’ils voulaient élitiste et rare » (tout ce qui est rare est cher et tout ce qui est cher est rare comme dit le syllogisme !) lui vint « l’idée de fonder des structures hors des institutions où pourraient être écoutées par un public élargi les compositions d’artistes aussi bien reconnus que débutants. » D’autres pourraient en témoigner.

En forme de clin d’œil je terminerai par une citation de l’auteur : « comprendre pourquoi une composition réussit à capter l’attention ou non ? C’est ce que j’essaie d’enseigner dans mes classes de composition, expliquant les effets des combinaisons et des enchainements sur l’écoute. En axant le travail sur la perception, on peut comprendre beaucoup de choses. Un bon conteur sait créer des respirations, faire attendre, prendre des chemins détournés, utiliser divers procédés pour tenir son auditoire en haleine. »

La composition de l’écoute: un manuel d’éthique de la composition et de la pédagogie, un partage d’expérience, un témoignage de l’intérieur de la vie musicale dite savante du dernier quart du XX° siècle et du premier quart de celui-ci, un exemple, si ce n’est d’objectivité absolue (qui pourrait y prétendre), de sincérité et de parler vrai, et encore d’autres voies (voix ?) possibles de lecture où chacun, in fine, percevra toujours une musicalité humaine.

La Composition de l’écoute : Denis Dufour, entretiens avec Vincent Isnard. 2021, Ed MF, 237p. ISBN 9 782378 040383, 12€