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Billet de blog 13 août 2025

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Les évacuations de Gaza : un fil de vie que la France ne doit pas couper

Pendant le génocide en cours à Gaza, la France a ouvert une voie rare d’évacuation pour quelques étudiants, universitaires et artistes. Après la polémique autour de Nour Attalah, amplifiée par l’extrême droite, le gouvernement a gelé ces départs, infligeant une punition collective contraire aux valeurs françaises. La France doit les reprendre sans délai. Par Ahmed Abbes et Annick Suzor-Weiner.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pendant le génocide en cours à Gaza, la France a ouvert une voie rare et précieuse en organisant des évacuations d’étudiants, d’universitaires et d’artistes. Les noms, sélectionnés selon des critères universitaires ou artistiques stricts, étaient transmis aux autorités israéliennes et jordaniennes dans l’espoir d’obtenir un passage. Ces listes, dressées à Paris et au consulat de France à Jérusalem, ne comptaient que quelques dizaines ou centaines de personnes : un fil de vie pour quelques élus, dans un océan de vies brisées.

Chaque nom inscrit ouvrait une porte vers la survie ; chaque nom absent scellait le destin de ceux qui demeuraient prisonniers de l’enfer. Derrière ces absents, on trouve aussi les patients en urgence médicale, pour lesquels la France reste dramatiquement en retrait : seulement 25 accueillis en 2024, contre 165 en Italie et 42 en Roumanie, alors que 12 000 malades attendent une évacuation selon l’OMS. Et parmi les oubliés figurent des lauréats du programme Pause, sélectionnés depuis parfois plus de six mois, dont les dossiers ont été validés par les autorités françaises et israéliennes, mais qui restent piégés dans Gaza avec leurs familles, exposés à la faim, aux maladies et aux bombardements.

Qu’ils soient étudiants, artistes, chercheurs ou simples familles cherchant à survivre, tous espéraient voir leur nom figurer sur ces listes. La France a sauvé quelques dizaines de vies, mais beaucoup restent piégés dans le génocide et la famine imposés à Gaza. Chaque nom ajouté est une victoire ; chaque nom manquant, une condamnation. Si ces évacuations suscitent tant d’attente, c’est aussi parce qu’à Gaza, l’éducation a toujours été la plus grande richesse et la première ambition des familles. Même au milieu des ruines, les parents rêvent de voir leurs enfants étudier, construire un avenir, s’arracher à la guerre et à la misère. Aujourd’hui, après l’anéantissement de tant d’écoles, d’universités et de maisons, beaucoup cherchent un pays où leurs enfants pourront apprendre, grandir, et vivre enfin en sécurité.

Aujourd’hui, cet espoir vacille. Après la polémique autour de l’étudiante Nour Attalah, suscitée et amplifiée par l’extrême droite, le gouvernement français a gelé toutes les nouvelles évacuations depuis Gaza, laissant des dizaines de personnes promises à un départ imminent enfermées dans l’enfer. L’objectif, pour le militant d’extrême droite anti-palestinien à l’origine de cette campagne, était clair : couper ce fil de vie à tous les Gazaouis, en important dans le débat français les méthodes fascistes israéliennes — punition collective, déshumanisation — appliquées depuis longtemps à la population de Gaza.

À Gaza, ces évacuations avaient fait naître une image rare : celle d’une France perçue comme un refuge possible, un pays prêt à tendre la main. Apprendre le français était devenu, pour beaucoup, un acte d’espoir ; Gaza est probablement aujourd’hui l’endroit au monde où l’on apprend le plus le français, à la lueur des téléphones et des applications de langue. Suspendre ces départs, c’est briser non seulement des vies, mais aussi le lien de confiance qui s’était tissé dans l’une des régions les plus meurtries du monde.

« Cette étudiante n’est pas la porte-parole de la population de Gaza. Elle ne représente qu’elle-même, nous n’avons pas à être tenus responsables de son opinion ni de ses actes », proteste Sohail S., artiste et lauréat du programme Pause, bloqué avec sa famille dans les ruines de leur maison. « Pourquoi sommes-nous tous punis ? Nous n’avons rien à voir avec cette histoire », renchérit Ahed H., universitaire gazaoui. Comme le dit l’avocate Lyne Haigar, « le cas d’une personne condamne l’intégralité du peuple palestinien, qui se retrouve sans ambages présumé coupable d’antisémitisme ».

Punir tous les autres pour les tweets d’une seule, c’est infliger une punition collective contraire aux valeurs que la France proclame défendre. À Paris comme à Jérusalem, les dossiers sont prêts ; il ne manque que la décision politique. Les voix venues de Gaza le répètent : « Ne laissez pas notre espoir mourir ». La France doit reprendre sans délai les évacuations et honorer l’engagement pris envers ceux qui n’ont plus que cette porte ouverte sur la vie.

Ahmed Abbes, directeur de recherche au CNRS

Annick Suzor-Weiner, professeure émérite à l’Université Paris-Saclay

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