La crise économique a sévèrement freiné les flux migratoires dans l’Union européenne. Les étrangers sont plus touchés par le chômage.
Le 11 août dernier, la Commission européenne a autorisé l’Espagne à faire usage de sa clause de sauvegarde en matière de libre circulation. Cette décision est sans précédent depuis la mise en place de la libre circulation avec les nouveaux états membres. Jusque là, l’Espagne avait été le pays européen qui avait absorbé le plus grand nombre de travailleurs d’Europe de l’Est, en particulier de Roumanie. Dopé par le boom de la construction et les opportunités d’emploi dans l’agriculture, leur nombre avait passé de 328'000 en 2006 à 823'000 en 2010, devenant le plus grand groupe d’immigrants dans ce pays. Confronté aujourd’hui à un taux de chômage à 21%, le gouvernement socialiste de José Luis Zapatero a décidé de réintroduire une obligation de permis de travail pour les travailleurs roumains, dont le taux de chômage est aujourd’hui 10% plus élevé que celui des espagnols.[1]
En Espagne comme dans la plupart des pays européens, les étrangers ont été touchés plus sévèrement par la crise que les travailleurs natifs. L’augmentation du chômage des étrangers a été particulièrement brutale dans les pays où l’immigration rapide permise par la libre circulation a été utilisée pour satisfaire les besoins de main d’œuvre du secteur de la construction qui s’est effondré en 2008, comme en Espagne, en Irlande ou au Royaume-Uni. Après la crise, le taux de chômage des étrangers a augmenté dans de plus grandes proportions que le taux de chômage national. Si des études économiques ont montré que la libre circulation n’a pas causé une augmentation du chômage des travailleurs nationaux, il s’avère que leurs emplois étaient plus précaires et souvent moins qualifiés. En clair, les travailleurs étrangers européens ont été engagés plus facilement en période de croissance car ils coûtaient moins cher, mais ils ont aussi été licenciés plus vite car leurs emplois étaient sous-tendus par une expansion conjoncturelle qui n’était pas soutenable sur le long terme.[2]
Dans le même temps, les flux migratoires à l’intérieur de l’Union Européenne ont diminué significativement depuis le début de la crise économique, se révélant ainsi très sensibles à la conjoncture.[3] Un rapport de l’OCDE paru en juillet 2011 montre que l’immigration à l’intérieur de l’UE a diminué de 36% entre 2007 et 2009, alors que le total des migrations internationales vers 24 pays de l’OCDE n’a chuté que de 7%. Parce que les européens peuvent aller et venir comme bon leur semble, ils retournent plus facilement dans leur pays quand ils perdent leur emploi. Ce phénomène est accentué par le fait que beaucoup de pays européens ont durci les conditions d’accès à l’assistance sociale pour prévenir le « tourisme social ». Par contre, les étrangers extra-européens tendent à rester, car il est plus difficile pour eux de revenir. Ils travaillent aussi plus souvent dans des secteurs économiques non qualifiés où la demande est structurelle plutôt que conjoncturelle, comme les services à la personne (ménage, garde d’enfants, etc.).
Malgré cette diminution de l’immigration, plusieurs gouvernements ont été tentés par des mesures protectionnistes, à l’instar de l’Espagne. On se souvient du « British jobs for British workers » de Gordon Brown en 2009, ou les déportations de Roms mise en place par Nicolas Sarkozy en 2010. Toutefois, ces mesures essentiellement symboliques ne peuvent avoir qu’un impact minime sur le marché du travail, et sont clairement dirigées vers des opinions nationales insécurisées par l’augmentation du chômage. Par ailleurs, on peut également se demander si ces effets de manche sont efficaces pour rassurer les électeurs préoccupés par le dumping salarial. Les jugements de la Cour Européenne de Justice dans les cas de Laval ou Viking, où le droit de la concurrence a été jugé plus important que la protection des travailleurs, a montré que les compétences nationales dans ce domaine sont devenues sévèrement limitées.
Publié dans Pages de Gauche, Septembre 2011.
[1] http://www.euractiv.com/en/future-eu/spain-obtains-safeguard-romanian-workers-news-506979
[2]http://www.oecd.org/dataoecd/10/24/43060425.pdf
[3] http://www.guardian.co.uk/global-development/2011/jul/12/financial-crisis-migration-cut-oecd