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Billet de blog 28 mars 2024

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Anatomie d'un effondrement

En plus d’avoir été l’un des attentats les plus meurtriers de l’ère contemporaine, le 11-Septembre fut aussi un événement remarquable dans l’histoire des défaillances structurelles de bâtiments, trois gratte-ciels du World Trade Center s’étant intégralement effondrés ce jour-là.

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Outre les tours jumelles (WTC 1 et WTC 2) percutées par un avion, un troisième gratte-ciel s’est effondré le 11 septembre 2001 à New-York. Ce bâtiment de 47 étages, le WTC 7, s’est écroulé sur son empreinte en l’espace de 7 secondes, quelques heures après les twin towers. Ces trois effondrements ont fait l’objet d’une enquête confiée à une institution scientifique, le National Institute of Standards and Technology ou NIST. Cette agence du département du Commerce des États-Unis a eu pour mission, comme elle a pu le faire par le passé pour d'autres bâtiments, de déterminer « pourquoi et comment » se sont effondrées les trois tours.

Le NIST a publié son rapport final sur l’effondrement des tours jumelles en octobre 2005 ; celui sur le WTC 7 est paru trois ans plus tard, en novembre 2008. C’est sur ce dernier rapport que porteront nos remarques. 

Illustration 1
WTC 7 as seen from the WTC observation deck. Photo by Fanghong, August 14, 1992. © CC BY-SA 3.0

Le NIST, au terme de son enquête, a conclu que les incendies étaient responsables de l’effondrement du WTC 7. Des incendies alimentés par du papier et du mobilier de bureau ont entraîné la défaillance d’une colonne intérieure (la colonne 79), qui a elle-même entraîné l'effondrement du penthouse puis initié une progression horizontale des défaillances, les colonnes centrales cédant les unes après les autres. Après cet évidement, ne reste en place que la structure extérieure du bâtiment, qui cède elle-même juste après sous l’effet d’une redistribution des charges sur les colonnes extérieures. Ce que l’on observe sur les vidéos de l’événement correspondrait à l’effondrement de cette enveloppe extérieure, comme une coquille vide.

Illustration 2
Étage typique du WTC 7 montrant l'emplacement des colonnes, poutres et poutrelles. La défaillance de la colonne 79, entourée en rouge, aurait initié l’effondrement selon le scénario du NIST. (Figure 1-5, NIST NCSTAR 1A) © NIST

Le NIST a mis en ligne une vidéo résumant ses conclusions : 

Vidéo de présentation du rapport du NIST. © NIST

Le NIST a également considéré quatre hypothèses alternatives sur l’effondrement : la responsabilité du fuel stocké dans le bâtiment, les dommages structurels causés par les débris de la tour nord, l’éventuel rôle de la sous-station électrique sur laquelle était construite la tour, et enfin la destruction par explosifs. Ces quatre alternatives ont toutes été écartées après examen.

Ce qui est reproché au NIST pourrait se résumer en deux propositions :

  • Ne pas être parvenu à démontrer sa théorie de la destruction par le feu.
  • Ne pas avoir correctement enquêté sur l’hypothèse de la destruction par explosifs.

Nous proposons ici d’examiner ces deux points. Tout d’abord, il faut rappeler comment est construite la démonstration du NIST. Au vu des éléments dont ils disposaient, notamment des vidéos de l’événement, les enquêteurs ont formulé l’hypothèse d’un effondrement causé par des incendies de bureau et ont entrepris de la simuler informatiquement. La preuve repose ici sur la confrontation entre la simulation informatique et les observations, tirées en grande partie des captures vidéo. Si la simulation parvient à représenter fidèlement ce qui est observé, alors il est probable que l'hypothèse sur laquelle elle est fondée soit valide.

Trois reproches principaux ont été formulés à l’encontre de cette simulation. Le premier est d’être mal construite, sur la base de valeurs fausses, de données incomplètes, d’omissions – nous renvoyons pour plus de détails à la vidéo à la fin de l’article. Le deuxième est que les entrées et paramètres sur lesquels elle a été bâtie n’ont pas été rendu publics, au motif qu’ils pourraient compromettre la sécurité publique (jeopardize public safety), ce qui la rend impossible à évaluer. Le troisième est qu’elle échoue à rendre compte du phénomène observé, à savoir l’effondrement symétrique et presque sans déformation du gratte-ciel, à la vitesse de la chute libre sur l’équivalent de huit étages. La simulation dévoilée par le NIST, en plus de ne montrer que le début de l’effondrement (la suite n’a jamais été rendue publique), montre un bâtiment dont les bords commencent à se déformer et se rabattre vers l’intérieur.

Illustration 4
La simulation décrite par le NIST comme la plus proche des observations (NIST NCSTAR 1-9 p.588) © NIST

 Vidéo de la simulation

Illustration 5
La même simulation par le logiciel LS-DYNA telle que présentée par le NIST (la suite de la simulation n’a pas été rendu publique). © NIST
En comparaison, une des neuf principales vidéos utilisée par le NIST pour son analyse de l'effondrement du WTC 7, répertoriée comme la vidéo de la caméra n°2 (fig. 5-185 p.264 NIST NCSTAR 1-9) © CBS

Or c’est précisément le profil d’effondrement inhabituel du WTC 7 qui a interpelé les ingénieurs dès le départ. L'étonnement résulte de l'émergence d'un comportement global hautement ordonné et symétrique, alors qu'il fait suite à des dommages asymétriques, suivis d'une supposée progression aléatoire des défaillances. En ne parvenant pas à reproduire le fort niveau d'ordre de l'effondrement, la simulation proposée par le NIST semble difficilement pouvoir constituer à elle seule une preuve satisfaisante de la validité de son hypothèse sous-jacente, à savoir la destruction par le feu. Pourtant il s'agit là de l’unique preuve sur laquelle repose la démonstration.

En effet, le NIST n’a analysé aucun indice matériel pour étayer son hypothèse. Il faut prendre la mesure du caractère exceptionnel de cette affirmation. Les preuves matérielles, dûment sauvegardées pour être inspectées par les experts, sont en principe un élément central de ce type d’enquête. Dans le cas du 11-Septembre, les autorités se sont empressées de recycler l’acier du WTC 7, de même que celui des tours jumelles, diminuant grandement la quantité de pièces matérielles susceptibles d’être analysées par les enquêteurs (plusieurs articles du New York Times datés de la fin 2001 relatent comment certains scientifiques ont tenté d’alerter les autorités et de s’y opposer, allant jusqu’à dérober quelques morceaux d’acier pour empêcher leur destruction complète). Une partie de l’acier des tours a cependant échappé à ce recyclage, mais le NIST a toujours refusé d’en examiner des échantillons, arguant d’incertitudes quant à leur provenance (cf. questions 21 et 22 des FAQ sur le site de l’institut). Les experts de la FEMA, en charge de l’enquête avant que le NIST ne prenne le relai, avaient pourtant analysé au moins un morceau d’acier provenant du WTC 7, dont l’état de dégradation est resté inexpliqué.

Illustration 7
FEMA, rapport mai 2002, annexe C, échantillon 1 du WTC 7. © FEMA

Cela nous amène au second point d’achoppement, l’hypothèse des explosifs. Jugée suffisamment sérieuse par le NIST pour être examinée, elle ne fera pourtant l’objet que d’un traitement très superficiel. Le NIST n’a ainsi jamais simulé cette hypothèse comme il a pu le faire pour celle du feu, en regardant si elle était capable de rendre compte du déclenchement de l’effondrement et de sa forme singulière. Il s’est contenté de proposer deux modèles permettant de l’écarter. Le premier repose sur le niveau sonore des explosions. Les explosifs, même en quantité minimale, auraient entraîné de forts bruits de détonations. Ces bruits n’ayant pas été constatés par le NIST ni sur les vidéos ni dans les témoignages, la thèse des explosifs s’en trouve invalidée. Le même raisonnement est répété avec les vitres cassées. Un modèle créé par les enquêteurs montre que la pression engendrée par les déflagrations aurait dû briser un grand nombre de vitres, ce qui n’est pas observé sur les vidéos. C’est donc qu’il n’y avait pas d’explosifs.

La piste d’une démolition par explosifs a ainsi été écartée sur la seule base de ces deux modèles, qui soulèvent plus de questions qu’ils n’en résolvent. Déjà parce que le NIST n’a testé comme explosif que le RDX, un explosif extrêmement puissant, sans considérer d’autres composés aux caractéristiques énergétiques différentes ni d’autres combinaisons potentiellement moins bruyantes, comme le couplage d’un explosif avec un incendiaire. Ensuite parce qu’il semble n’avoir pris en compte aucun des témoignages et vidéos faisant état d’explosions avant et pendant l’effondrement. Enfin parce qu’il ne fonde son argumentaire sur aucune preuve matérielle : non seulement l’acier du WTC 7 n’a pas été examiné, mais aucune analyse chimique à la recherche de résidus d’explosifs ou d’incendiaires n’a été réalisée sur les échantillons de poussière prélevés sur place.

En réalité, l’hypothèse d’une destruction volontaire de l’immeuble au moyen de substances explosives, ce que l’on appelle démolition contrôlée, n’a pas été testée par les enquêteurs du NIST. Même dans ses modèles sur le niveau sonore et les vitres cassées, le NIST s’en est tenu à disposer les explosifs sur une seule colonne, la colonne 79 incriminée dans le déclenchement de l’effondrement selon sa théorie de la destruction par le feu. Or la ressemblance entre la chute du WTC 7 et certaines formes de démolition contrôlée ne fait pas véritablement débat. Elle est soulevée à plusieurs reprises dans la série d’articles du New York Times sur l’effondrement des tours, elle fait partie des commentaires des journalistes couvrant la catastrophe en direct, l’enquêteur principal du NIST lui-même, Shyam Sunder, concède dans sa conférence de presse du 21 août 2008 qu’on puisse avoir l'impression qu'il s'agit d'une démolition contrôlée. Ce simple fait aurait dû suffire à motiver un examen sérieux de cette hypothèse.

Le WTC 7 était un bâtiment récent, particulièrement fiable, jugé suffisamment sûr pour accueillir notamment le centre de commandement ou « bunker » du maire de New York (évacué ce jour-là comme le reste du building). Son effondrement brutal et intégral est extraordinaire au regard de la force et de l’étendue relativement modérées des incendies qu’il subissait. Comme le NIST l’a rappelé à plusieurs reprises, cette catastrophe est une première dans l’histoire des défaillances structurelles : jamais un immeuble de ce genre ne s’était effondré à cause de feux de bureau auparavant. 

Depuis quelques années, l’organisation Architects & Engineers for 9/11 Truth (AE911Truth) a entrepris un travail de contre-investigation sur les deux enquêtes du NIST, sommant régulièrement l’institut d’amender ses rapports et de mettre les données de ses simulations en libre accès.

AE911Truth a également financé une enquête universitaire confiée en 2015 au professeur de génie civil J. Leroy Hulsey de l’université de l’Alaska Fairbanks et à deux doctorants, Zhili Quan et Feng Xiao. Cette enquête a pour objet de tester la reproductibilité des résultats du NIST et simuler d’autres scénarios d’effondrement.

Dans cette étude, l’équipe du professeur Hulsey n’est pas arrivée à reproduire les résultats du NIST : le feu, dans leurs simulations, n’entraîne pas l’effondrement du bâtiment. Il leur faut simuler la défaillance de six colonnes intérieures pour que l’effondrement total se produise selon le scénario du NIST, mais très différemment de ce qui est observé sur les vidéos, puisqu’au lieu de s’effondrer droit sur ses fondations, le bâtiment bascule vers le sud-est. Au final, il leur faut simuler la défaillance simultanée de toutes les colonnes centrales sur 8 étages, suivie 1,3 secondes plus tard de la défaillance simultanée de toutes les colonnes extérieures sur 8 étages pour reproduire fidèlement l’effondrement. (Le rapport final et les données de l’étude sont en accès libre sur le site de l’université)

C'est notre conclusion que l'effondrement du WTC 7 était une défaillance globale impliquant la défaillance presque simultanée de toutes les colonnes dans le bâtiment et non un effondrement progressif impliquant la défaillance séquentielle des colonnes dans tout le bâtiment. (p.110 du rapport)

Le silence relatif du monde académique autour de cet effondrement ne saurait être interprété hâtivement dans un sens ou dans l’autre. Nous en appelons à la communauté scientifique pour nous éclairer sur les différentes questions soulevées par le rapport du NIST, et dissiper nos doutes s’ils s’avèrent ne pas être fondés.

 * * *

Pour un inventaire des problèmes posés par l’effondrement des trois tours, cf. cette interview d’un ancien employé du NIST témoignant de ses questionnements.

Témoignage Peter M. Ketcham

Ci-dessous deux vidéos plus techniques (en anglais) revenant en détail sur les points précédemment évoqués.

Présentation Project Due Diligence (cf. vidéo en bas de la page)

Interview du Pr. Leroy Hulsey - University of Alaska Fairbanks

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