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Billet de blog 3 décembre 2017

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Pour comprendre le retour en force de la violence « sacrée » …

Il est difficile aujourd’hui de décrire avec précision et lucidité les phénomènes de violence à l’intérieur des sociétés musulmanes (sunnites et chiites) et dans les pays occidentaux (terrorisme). En outre, la présence des minorités musulmanes en Occident devient visiblement un sujet de débat très récurrent dans l’espace public. La religiosité est partout à la une.

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Il est difficile aujourd’hui de décrire avec précision et lucidité les phénomènes de violence à l’intérieur des sociétés musulmanes (sunnites et chiites) et dans les pays occidentaux (terrorisme). En outre, la présence des minorités musulmanes en Occident devient visiblement un sujet de débat très récurrent dans l’espace public. La religiosité est partout à la une. D’ailleurs, il suffit d’analyser la sphère publique, dans ses manifestations médiatique, électorale ou virtuelle, en Occident et même en Orient, pour s’en rendre compte.

L’ubiquité et la complexité du phénomène religieux nous interpellent de façon insistante. Une cascade de mots et de concepts qu’on entend régulièrement avec une banalisation perverse: islam, terrorisme, violence, extrémisme, radicalisation…mais aussi islamophobie, discriminations, racisme, fascisme. Ces mots valises qui cristallisent les tensions et attisent les peurs réciproques. Tout le monde se souvient, par exemple, du débat très houleux sur la laïcité en France.

Recul des idéologies

Par ailleurs, l’observateur de ces phénomènes politico-religieux a besoin d’une distance critique et une analyse plus globale pour mettre en perspective ces éléments nouveaux mais très anciens. Pourquoi cette prolifération des barbaries « modernes » et « archaïques » ? L’apparition de Daech, mais aussi l’invasion de l’Irak en 2003. Quels rapports entre la violence et la religion ? Entre le sacré et le politique dans notre monde globalisé ?

Avant toute tentative de réponse, il faudrait rappeler que le monde contemporain traverse un cycle de décomposition et recomposition historiquement ambivalent. A la fois en Occident comme en Orient.  Selon plusieurs spécialistes, les anciens systèmes de pensée sont depuis certaines décennies en crise de légitimité: libéralisme et néolibéralisme, communisme et socialisme, nationalisme et islamisme…(Asef BAYAT).

Partout les idéologies d’hier perdent du terrain. Par conséquent, les gens cherchent désespéramment des références symboliques susceptibles de répondre aux nouvelles conditions de leur existence. La condition humaine est à réinterpréter à l’ère de la globalisation galopante ? En tout cas, la révolution numérique et technologique, l’écologie, le genre, le transhumanisme, la génétique, les OGM, l’intelligence artificielle, les réseaux sociaux…sont autant de facteurs qui ébranlent les dogmes et transforment les cadres de vie dans les sociétés dites modernes ou post-modernes.  

Dans ce contexte de chamboulent général, le phénomène de la terreur attribué à l’islamisme militant, mais pas seulement, génère une multiplicité de lectures et d’approches. Selon l’islamologue Olivier ROY, Daech vient illustrer une phase terminale du post-islamisme et qui ne fait que confirmer l’échec de l’islam politique, après son début d’essor avec la révolution iranienne en 1979. Roy démasque les stratégies utilisées à la fois par les agents de la déculturation du religieux (Daech…) et les adeptes de l’islamisation de la radicalité (l’extrême droite…).

Selon lui, il faut lutter contre la désertification spirituelle, éthique et symbolique que le nihilisme djihadiste prône au sein d’une minorité de jeunes radicalisés (issus de la deuxième génération, avec des convertis…). Mais aussi contre les discriminations socioéconomiques subies par les minorités musulmanes et que le discours des néonazis omet délibérément.

Réinvention de l’interculturel

Cependant, cette publicité planétaire de la violence dans le monde musulman et au sein de certaines communautés islamiques en Europe reflète les symptômes de la « maladie de l’Islam » que le poète franco-tunisien Abdelwahab MEDDEB avait bien diagnostiquée dans un fameux ouvrage qui porte ce même titre.  Après avoir perdu son âge d’or abbasside et andalous, plongé dans la scolastique stérile anti-averroïste, subi brutalement la violence coloniale, puis celle des dictatures des Partis-Etas, le sujet arabo-musulman se trouve aujourd’hui désabusé et déboussolé face à la marche irréversible de la modernité et la mondialisation.

Quelles valeurs et quel système de pensée à adopter ? L’islam est prisonnier de ses propres contradictions, fantasmes, apories et échecs successifs. Il subit en même temps le mensonge et l’hégémonie des puissances occidentales depuis au moins deux siècles.

Le penseur franco-algérien Mohammed ARKOUN dénonce ces incohérences dans un article publié en décembre 1994 dans Le Monde Diplomatique : « la primauté (…) des stratégies de puissance sur les enjeux de sens atteint ici un degré d'évidence que ne parviennent plus à voiler les procédures de travestissement à échelle internationale : une action humanitaire s'affichant comme le service après-vente des marchands d'armes, une défense des droits de l'homme dissimulant mal le vieux slogan de la mission civilisatrice, un appel à la démocratie assorti d'un soutien irrécusable aux régimes les plus négateurs des libertés élémentaires. »

Néanmoins, le coauteur De Manhattan à Bagdad refuse de parler d’un choc des civilisations. Il nous propose intelligemment une autre formule : le clash des ignorances. Dans un souci de revivifier à la fois l’humanisme européen (Les Lumières) et l’humanisme arabe (al-Adab), Arkoun défend une raison émergente qui renoue avec l’universalisme dans la diversité, la tolérance éthique et l’esprit critique. Une raison émergente qui rompt avec les résidus de l’ignorance institutionnalisée (stalinisme, nazisme…nationalisme arabe chauvin ou américanisation). Une raison émergente qui rompt enfin avec la sainte ignorance (djihadisme, orthodoxies militantes monothéistes ou autres….).

C’est tout un projet d’avenir de paix entre les hommes qui passe nécessairement par (donner) un sens d’avenir. Et si la Méditerranée « historique » pouvait abriter cette entreprise interculturelle… !

Mohamed Abdellahi ABBE (alias Nebhani)

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