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Billet de blog 2 février 2024

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Qui fait vraiment l'apologie du terrorisme ?

« Apologie de terrorisme ». Cette accusation fait généralement l’effet d’un couperet. Elle jette l'opprobre sur celui qu’elle vise, le disqualifie d’office, ne laisse quasiment aucun espace pour la réflexion ou la discussion. Faisons le test.

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Comment réagiriez-vous si je vous disais que moi, Abdel, franco-algérien, suis poursuivi pour ce motif ? Pour avoir fait « l’apologie d’un acte de terrorisme » ? Pour la plupart d’entre vous, la suspicion serait d’emblée de mise. Elle s’exprimerait sans doute d’autant plus facilement que je suis un homme maghrébin, musulman, militant décolonial ; en somme, l’archétype du coupable.

Qu’ai-je donc bien pu dire pour me retrouver taxé d’apologiste du terrorisme ?

Les propos qui me sont reprochés ont été prononcés le 4 novembre 2023 lors d’une manifestation de soutien au peuple palestinien. Devant la petite foule qui s’était rassemblée pour écouter les discours de fin de parcours, j’ai qualifié l’offensive du 7 octobre 2023 d’« acte héroïque ». J’ai, évidemment, dit bien d’autres choses…mais sur les 7 minutes qu’a duré mon intervention, mes détracteurs n’ont retenu que ça. C’est ce bout de phrase qui me vaut d’être, aujourd’hui, poursuivi par la justice. 

Sorti de son contexte discursif et historique, l’usage du terme « héroïque » peut choquer ; je le conçois. Si l’on estime, en effet, que soutenir le droit à la résistance revient nécessairement à se réjouir des morts et du sang versé, alors oui, mon propos est inacceptable. Si l’on considère que cette Histoire a débuté il y a quelques mois avec l’attaque de la résistance palestinienne, alors oui, mon propos est inacceptable. Si l’on omet les 75 années de spoliation, d’oppression et de destruction qui l’ont précédée, alors oui, mon propos est inacceptable. Si l’on refuse de reconnaître qu’il y a d’un côté un oppresseur, l’occupant israélien, force coloniale sur-armée, dotée de moyens et de soutiens colossaux, et de l’autre côté, un opprimé, le peuple de Palestine, disloqué, asphyxié, tentant de résister avec les moyens du bord, alors oui, mon propos est inacceptable. Si l’on ne rappelle pas que les palestiniens ont épuisé toutes les voies de recours, tenté tous les processus de paix, et que c’est l’oppresseur qui a nourri la radicalisation politique, alors oui, mon propos est inacceptable. Lors de mon intervention, j’avais d’ailleurs cité la célèbre phrase de Yasser Arafat, « je suis venu avec dans une main un rameau d'olivier et dans l'autre un fusil. Ne laissez pas tomber le rameau d'olivier », prononcée devant l’Assemblée générale des Nations Unies en novembre 1974. Si l’on n’évoque pas, enfin, les 17 années de blocus infligées à Gaza, cette prison à ciel ouvert, où toutes les circulations, à la fois celles des personnes et des biens, sont soumises au rationnement et au contrôle colonial, alors oui, mon propos est inacceptable.

Si l’on s’attache, en revanche, au contexte historique et politique, aux faits, et même au droit international, alors mon propos s’éclaircit. Lorsque j’évoque un « acte héroïque », j’ai notamment en tête cette photo, désormais célèbre, de palestiniens fêtant la destruction d’une partie de l’immense mur de barbelé assiégeant et séparant Gaza du reste de la Palestine, du reste du monde. Les cœurs justes, amoureux de la vie et de la liberté, n’ont pu rester impassibles face à la charge, puissante et symbolique, de ces images. C’est de cela dont je parlais : de ces petites victoires arrachées à l’une des plus grandes puissances militaires de notre planète, de la joie du petit-dominé qui déjoue l’effroyable système sécuritaire du grand-dominant. Évidemment, le constat ne peut être qu’amer et extrêmement douloureux quand on pense aux morts, à tous les morts, ceux des premiers jours d’octobre 2023, ceux qui les ont précédés et ceux qui ont été emportés par les violences génocidaires qui ont suivi. À l’heure où j’écris ces lignes, on compte plus de 30 000 palestiniens tués par l’armée d’occupation israélienne depuis le 7 octobre. 

Ces violences-là, celles des forces coloniales israéliennes, ne sont pas qualifiées de terroristes, malgré l’ampleur des dégâts qu’elles engendrent, la terreur qu’elles sèment et les innombrables victimes qu’elles entraînent dans leur sillage. Dans les batailles, inégales, opposant colons et colonisés, on réserve systématiquement cette appellation au peuple qui résiste contre son oppression : les premières Nations qui ont combattu les colons européens seraient aujourd’hui considérés comme des terroristes, tout comme l’ont été les Sud-Africains et les Algériens qui les ont combattus après eux. Et si les opprimés sont des terroristes, leurs soutiens se rendent inévitablement coupables de complicité et d’« apologie du terrorisme ». La boucle disqualifiante est bouclée.

C’est le sens du procès qui m’est fait. Un procès politique. Les poursuites judiciaires engagées contre moi, après des saisines de plusieurs responsables politiques allant du Parti Socialiste à l’extrême-droite, s’inscrivent dans un contexte de criminalisation du soutien aux luttes palestiniennes. Ces derniers mois, nous sommes nombreux à avoir été verbalisés, menacés, intimidés, réprimés et sanctionnés pour avoir critiqué le colonialisme israélien, dénoncé les complicités occidentales, et affirmé notre solidarité avec le peuple de Palestine. Cette répression ne sévit pas seulement en France. Elle s’attaque à toutes les résistances antisionistes, des États-Unis à l’Allemagne, en passant par le Royaume-Uni. L’objectif est simple : les puissances impérialistes veulent graver dans le marbre leur réécriture de l’Histoire et briser les solidarités.

Ne les laissons pas faire. Il est de notre devoir de tenir la ligne et de ne pas céder à la pression et aux répressions. Nous pouvons, pour cela, nous inspirer de la résilience et de la résistance palestinienne qui, pareilles à un phare, indiquent aux peuples en lutte la voie vers la libération et l’autodétermination. À nous d'en être dignes en ne lui tournant jamais le dos.

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