A mesure que les jours (les semaines, les années, les décennies...) passent, et malgré l'agitation folklorique des instances internationales, l'exaspération plus ou moins bien gérée des opinions publiques, l'inertie courroucée ou philosophe des vaincus, le fait accompli fait son chemin, résigné à sa propre détermination, guidé par la conviction d'une impunité universelle, qui est de l'aveu de tous sinon le signe de l'élection métaphysique, du moins la preuve de la justice inédite et fatalement irrépressible d'Israël. L'humanité s'initie lentement à cette situation irréversible, aux arcanes d'un destin aussi rigoureusement divin qu'humainement implacable, qui est plus globalement un projet impérialiste et ponctuellement une impasse pour le sionisme.
Les Indiens, ni les Noirs, n'étaient naïvement suspendus aux espérances du Droit international, ni leurs émules depuis par le monde. Les Palestiniens cumulent les avantages des lois communes et les inconvénients de la jungle éternelle. C'est un cas pour théologiens frappés par un manichéisme inconnu, où Mazda et Ahriman collaborent au lieu de s'entretuer ; pour philosophes rompus aux inépuisables capacités dialectiques d'une hérésie transhistorique, le retour incessant chez les hommes d'une tentation immortelle : la force brute comme source exclusive des juridictions. Ce n'est pas une énigme à discuter avec passion ou componction (comme la "banalité du mal" ou l'imagination technologique et démentielle des holocaustes), mais une platitude fatale, une lapalissade de civilisations lasses d'impératifs moraux, laissées un instant (cela pourrait durer une éternité) à la volupté irrésistible de l'auto-anéantissement.
Ayant épuisé les contingences terrestres (course à l'armement ou dégradation de l'écosystème) et les virtualités de l'affrontement (Guerre des étoiles, Guerre froide...), l'Occident ivre de suprématie militaire, veuf de Hitler et Staline (qui justifiaient sa rage démocratique et la lyrique somptueuse des Droits de l'homme), réduit à inventer des monstres coopérants (suffrage universel en Russie, libre-échange en Chine) et des dragons de paille (l'islam terroriste et amène pourvoyeur en carburants ..), déçu de ne susciter nulle part des surgissements apocalyptiques extra-terrestres (sauf au cinéma et sur la toile), dépose enfin les armes classiques et se saisit de l'épreuve ultime : convaincre par l'absurde, ayant été dépossédé par ses disciples planétaires de l'usage des Libertés civiques contingentées et de la Raison exclusive. Ce processus n'ayant pas vocation à s'inverser, les sauvages assistent, au moment même où ils s'astreignent à la discipline démocratique, au déploiement d'une aberration sans remède : le refus de se montrer conséquents, la rébellion des civilisés qui passent à la vitesse supérieure : quadrillage de la planète, espionnage électronique, régime d'exception (pour les peuplades obscures...) et état de siège permanent (pour Palestiniens perpétuellement insurgés...). La raison en est la sécurité de l'espèce, menacée par des conflits occultes, un adversaire incommensurable et quelque peu digne de compassion ingénue, assortie de la plus urgente des pulvérisations, dont le civil palestinien est aujourd'hui l'incarnation.
Nul dalaï lama contemplatif et aimable en Palestine, ni zapatistes hirsutes ou voilés, et les humains qui y brûlent n'ont ni l'aura mystique des bonzes en colère, ni l'héroïsme prestigieux des guerilléros coutumiers, l'un et l'autre pain béni des médias et des experts prolixes, aux dépens du propos et de l'action, mais en faveur de la liberté de filmer et de discuter non moins librement entre soi du devenir mondial... Ce ne sont ni des activistes lumineux d'une minorité qu'on opprime, ni des Zoulous qu'on dérobe subrepticement à la cage paléontologique et que la conscience bouleversée de l'humanité blessée promeut au statut de la dignité affranchie, des égaux reconnus tout compte fait, fût-ce dans l'intérêt des Blancs fatigués d'expositions coloniales, inquiets, en raison des battues excessives et des safaris sans trêve, d'appauvrir réserves zoologiques et réserves humanistes, en laissant indéfiniment libre cours à la sélection anthropologique et autres alchimies financières...
Ce sont les derniers réfractaires du spectacle rationnellement géré, les irréductibles de la qualité humaine négociée au prix du rendement idéologique. Bref, des irrécupérables, bons pour le bulldozer sans discrimination et le missile fraternel, qui s'épuise vainement à persuader les mauvaises volontés d'une résistance incompatible avec le canon humaniste, avec l'écrasement légal, parangon et ressource des chartes mercantiles.
Boudant le statut des Grands assagis et des Petits matés, le Palestinien est un défi à l'ordre mondial. Inexistant, il dispose malgré tout d'un territoire, et fût-ce dans la surface démographiquement la plus dense et dans un tunnel de troglodyte sous-alimenté, sur le talus le plus contracté de sa terre historique, le monde stupéfait lui érige un promontoire surplombant, qui aggrave la naine arrogance des exterminateurs, qui enrage les émules timides et discrets. Seul de son espèce, il soutient l'épreuve du Camp de concentration où périrent naguère ses agresseurs et l'Apartheid qui scandalisa la communauté humaine, en donnant plutôt le sentiment d'assiéger et de martyriser lui-même (Dieu sait sait par quel miracle d'inversion médiatique...) des victimes éternelles : l'Occident inconsolé de radier le meurtre massif et organisé de son fief, qui se contente d'exporter et de sous-traiter l'ignominie ; Israël toujours avide de puissance et de vengeance, qui répare la mémoire des martyrs et règle des comptes irrémissibles, en choisissant la moins compromettante et la plus adéquate des confrontations et la cible rêvée (un cauchemar monumental...) : soi-même méconnu, un alter ego honteux, qui n'a pas l'agrément des Ashkénazes sionistes contents de leur bouc émissaire, l'onction de Wall Street, ni la bénédiction de la City ! En un mot, la part maudite, inavouable et la plus douloureuse de son histoire...
L'Occident se suicide et Israël se mutile depuis longtemps. On n'entend que leurs cris et leurs récriminations. Le peuple palestinien n'est pas censé se rendre un jour audible, ni visible, puisque les journaux et les médias ne lui appartiennent pas, pas plus qu'il ne leur appartient de s'acoquiner avec des mauvais plaisants qui parlent de vérité historique et des protagonistes aux malheurs malséants, d'autant plus malsonnants qu'ils accusent et n'entendent jamais raison, ne s'accusent jamais en reprenant à leur compte les fours crématoires, le bombardement de Dresde, ni les ravages coloniaux, ni les montagnes de cadavres des guerres dites faussement mondiales, ni les carnages qu'ils subissent dans le temps même qu'ils sont sommés de s'en attribuer la responsabilité accablante et inévitable. Ou se taire. Disparaître pour de bon...
C'est un peuple dont les bébés, à peine debout sur leurs jambes, chassent des chars d'assaut et des chasseurs armés jusqu'aux dents, dont les décombres debout sous les bombes (pluie de feu et déluge de mensonges) confondent les caméras aveugles et les reporters semi-muets, dont le sang, qui coûte si peu dans les statistiques, est plus précieux aujourd'hui que la charte hypocrite des Nations Unies, les principes dévoyés des Pères fondateurs, ceux des Droits de l'Homme rendus plus que douteux et autres sinistres farces. C'est le sang des humains échappé au génome néolibéral. Incorrigible, seul de son espèce il crie encore pour toutes les espèces démolies et en cours de démolition. Il enraye la machine et se refuse à la remettre en marche.
Ingrat devant les inquisiteurs qui lui promettent la vie sauve s'il signe son arrêt de mort, insolent face aux spin doctors diplomates et aux agents de prospection onusienne en quête de pâture aux vautours, et prêt à mourir pour vivre libre, formidable dans son mépris du chantage politique et de la plus décomplexée des entreprises de négation et de destruction martiale, il force les derniers soupçons d'équité et les capacités flétries en admiration, puisque l'honneur des femmes et hommes libres lui sait gré de sa dure, de sa splendide, de son invraisemblable endurance, de sa vulnérable et humaine humanité.
N'ayant pas sa place dans la typologie des meurtres collectifs savamment échelonnés, radié de la liste humaniste et n'émargeant qu'au festin des étranglés sublimes, il fonde sa survie exemplaire sur une exigence qui ahurit les esprits pusillanimes et régénère les poumons asphyxiés : c'est une Amazonie en marche. Salut à toi, grand peuple d'arbres intraitables et de tribus méthodiquement clochardisées, peuple sacrifié à toutes les trahisons licites et qui n'a pas encore désespéré de la fierté, ni de la loyauté,... de ses semblables !