ABDELILAH NAJMI

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Billet de blog 9 juin 2024

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Noces de sang et négoce imperturbable de la démocratie génocidaire

L'extermination est devenue un spectacle planétaire, les exterminateurs ayant trouvé meilleur anésthésiant que la propagande du parti unique et le secret de la solution finale : la démocratie génocidaire.

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Le monde a trouvé le spectacle approprié à sa détresse (une planète qui s'en va et dont l'oraison écologique funèbre ne fait qu'exciter l'appétit suicidaire du capitalisme omnivore, se nourrissant de son propre cadavre, exploitant ses propres vestiges, orgie macabre assortie de vétilleuses proclamations post-humanistes...) : un génocide à ciel ouvert. La planète, autour de Ghazza préfigurant l'anéantissement global, n'est plus qu'un gigantesque camp d'extermination en sursis, résigné au déchaînement ultra-nihiliste conduit par la conjuration euro-israélo-américaine secondée par ses belliqueux émules technophiles de l'est. La défaillance de la parole laisse aux images la plénitude de leur déroulement sanglant quotidien. Naturellement que les uns en jouissent à vue d'oeil (essentiellement attitude morbide des Etats-Unis et des louvoiements pathétiques européens), tandis que d'autres (les pays du Sud en gros, à l'exception des épigones néoconservateurs comme l'Inde) en sont démoralisés, hypnotisés par un spectacle qui les révulse et les humilie. La stupeur est le régime ordinaire de la communication cynique.

L'ONU, la CPI, la CIJ font partie des spectateurs affligés, mais impuissants. Mais la fracture du 7 Octobre ne cesse de s'élargir. Il n'est pas certain que les inconditionnels d'Israël maîtrisent l'étendue des conséquences d'un tel événement. Au bout de huit mois de destructions acharnées en direct, les seuls mots qu'on entend sont d'abord les justifications obsessionnelles des massacres (le mantra ininterrompu déroulé sans vergogne des puissances contrariées par des résistances inopportunes à leur volonté de puissance effrénée, exaspérée et redoublant de fureur) ; ensuite les indignations malgré tout inlassables (des foules pétrifiées ou agitées par l'horreur portée à incandescence par les champions de l'humanisme sanglant vomissant ses flammes à mesure que le voile se déchire sur sa détermination nihiliste fondamentale...) ;  enfin les décisions successives de se joindre à l'Afrique du Sud dans son procès intenté à Israël pour génocide devant la CIJ, les reconnaissances ponctuelles mais régulières de l'Etat palestinien, l'attente de l'émission du mandat d'arrêt international à l'encontre des criminels de guerre, des criminels contre l'humanité israéliens. Si l'on excepte les instances judiciaires qui délibèrent sans se presser et ne tranchent point, en laissant à Israël et à ses inconditionnels le soin de clore le dossier (l'urgence d'éradiquer la présence palestinienne sur son territoire historique, quitte à scandaliser la pauvre <<communauté internationale>> qu'il sera toujours temps de remettre en de meilleures dispositions une fois la mission prioritaire accomplie), on remarque l'absence de la parole des intellectuels (à part des simulacres pitoyables de protestation tardive, à travers les détours habituels du cynisme ou les contorsions de la mauvaise conscience, malgré les sursauts de la jeunesse universitaire), de même que la quasi-unanimité des médias acquis au credo apocalyptique tranquille.

Tout le monde s'interroge sur le rôle des frères et des <<pays frères>> qui n'ont pas répondu à l'appel légitime et urgent des Palestiniens. Certes, l'Autorité palestinienne souhaite se joindre aux requêtes de l'Afrique du Sud à La Haye, elle accueille favorablement la série initiale des reconnaissances de la souveraineté palestinienne. Mais ni l'Egypte ne réagit de manière décisive à la violation des accords de Camp David à sa frontière vitale avec Ghazza, ni la Jordanie ne rompt ses relations diplomatiques avec Israël, ni l'Arabie saoudite et les pays du Golfe ne révoquent le projet insistant de Blinken de leur arracher la <<normalisation>> avec Israël. Seul le Qatar échappe d’une certaine manière à cette passivité mystérieuse, puisque les journalistes d'al-Jazeera (surtout les palestiniens qui ont payé et paient encore le tribut le plus lourd aux carnages méthodiques et à la dévastation permanente aussi bien à Ghazza qu'en Cisjordanie) auront réussi à documenter jour et nuit l'essentiel du génocide. Le dynamisme algérien à l'ONU ne passe pas inaperçu, avec le concours (notamment turc, vu certaines mesures assez audacieuses) d'autres <<pays frères>> et solidaires, mais face aux vétos et abstentions calculées des Occidentaux le résultat est chaque fois nul. Les protestations et les accusations restent de l'ordre du <<nul et non advenu>>. Faut-il recourir à la force militaire pour desserrer l'étau des exterminateurs que rien ni personne n'arrête ? C'est la solution adoptée par Hezbollah au Liban et les Houthis au Yémen, mais dont l'efficacité est territorialement limitée et ne saurait délivrer un peuple que les puissances occidentales ont globalement décidé d'immoler de diverses manières machiavéliques avec une ferveur non dissimulée, des scrupules surjoués qui ne trompent personne.

Bref l’ONU est impuissante, les juridictions internationales requises subissent les pressions et les menaces qui ne surprennent que les naïfs, les Occidentaux (à part les sursauts ponctuels récemment enregistrés) sont ravis par la fureur israélienne soigneusement attisée et les <<pays frères>> sont paralysés par le déploiement inédit des forces extrêmes (services de renseignements insomniaques, destroyers, porte-avions, menaces, chantages, corruption, etc.). Le moment particulièrement éloquent de l’immobilisme frénétique aura été la réaction commune à la riposte iranienne répliquant au bombardement de leurs services consulaires en Syrie, alors que des mois de ravages méthodiques à l'encontre des Palestiniens, un génocide sans ambiguïté n'ont nulle part rencontré un début de dissuasion. Face à la logique de la puissance, l’Afrique du Sud et les pays mobilisés derrière elle portent les griefs de la justice. Simplifions : le choc entre des forces aussi inégales, entre la brutalitas planétaire déchaînée et le droit international anémique est bien sûr défavorable aux Palestiniens. A cette différence jusqu’ici insignifiante qu’Israël ébranlé, encore féru de méthodes classiques radicalisées, au bout de huit mois commence à s’apercevoir que ses fondations sont irrémédiablement secouées. Des fissures effrayantes témoignent que l’édifice est entièrement lézardé, que la course à l’extermination est une chute dans l’abîme. La conspiration euro-israélo-américaine est bel et bien parvenue à la phase de l'auto-anéantissement. D’un moment à l’autre, l’effondrement global s’avère inéluctable.

 Si les Etats-Unis et les autres inconditionnels d’Israël ne peuvent pas permettre un effondrement qui signerait la fin d’une ère impérialiste complète, ils doivent cependant consentir une métamorphose jusqu’ici inconcevable : l’acclimatation du fascisme dans leurs propres institutions supposées démocratiques. La fracture du 7 Octobre aura rendu impossible la coexistence paisible, la symbiose doctrinale des démocraties occidentales, au sein d’un ensemble géostratégique cohérent, avec un Etat désormais mondialement reconnu colonialiste-ségrégationniste-génocidaire. On peut partout soutenir des dictatures et installer la tyrannie pro-occidentale, mais Israël n’aura soutenu l’effort de durer envers et contre le droit international, envers et contre l’hostilité des forces anti-impérialistes et anti-ségrégationnistes qu’en vendant une réputation aberrante d’<<unique démocratie du Moyen-Orient>>. La démocratie n’excluant historiquement pas le despotisme suprémaciste à l’encontre des peuples extra-occidentaux, en Israël la combinaison devient intenable puisque le génocide n’est plus le fait d’une <<démocratie>>, mais d’un régime convaincu de fascisme. Ce n’est plus une frange extrémiste (Bezalel Smotrich, Itamar Ben Gvir…) qui sévit, c’est le gouvernement israélien qui organise le consensus génocidaire aux plans local et international. Les noces miraculeuses du néoconservatisme et du néofascisme sont l’effet patent des dernières cérémonies : Netanyahou défendant récemment sur des chaînes françaises la solidarité organique (célébrée comme un accomplissement <<judéo-chrétien>>...) des agents de dévastation extatique du peuple palestinien et des populations des <<banlieues>> (entendez : populations arabes, africaines, musulmanes...) ! Face au Congrès américain recevant religieusement le prophète Netanyahou, bientôt l’alliance solennelle (association de génocidaires actifs et/ou passifs) achèvera de sidérer la planète. Pendant le virage qui se profile, Genocide Joe a beau marquer un intervalle électoral tactique, la stratégie initiale reste constante. Des désordres inédits sont cependant inéluctables en Europe comme en Amérique du Nord. 

D'aucuns, des plus remuants des intellectuels dits de <<gauche>>, ont beau nier le génocide, voire le justifier, afin de contrecarrer l’antisémitisme réel ou potentiel, aliment de base du néonazisme, ils ne sauraient occulter le fait que les antisémites d’hier sont les défenseurs fervents aujourd’hui de l’apartheid génocidaire israélien ! L’union sacrée leur échapperait-elle ? Pour la plupart racistes et islamophobes qui s'ignorent ou ne s'ignorent pas, consommateurs parmi d'autres nantis de titres inusables ou affligés d'ambitions dévorantes, le <<droit de se défendre>> d'Israël -- déniant aux Palestiniens la possibilité même revendiquer un tel droit, de faire usage d'un réflexe de survie qu'on reconnaît volontiers jusqu'aux animaux -- la sécurité d'Israël, même un Israël fasciste, à leurs yeux vaut bien un gentil et inoffensif génocide, à peine troublant pour des âmes fort compatissantes, mais intraitables sur la rigueur académique, les impératifs du combat émancipateur antifasciste, etc. ! Non, ce sont les professionnels depuis toujours de l’équivoque. Bref, il s’agit moins dans l'immédiat (un immédiat qui dure depuis huit mois en une suspension apocalyptique du temps) d’antisémitisme virulent, de néonazisme fatal à la démocratie (telle qu’on la conçoit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et le démantèlement des empires coloniaux), passion archaïque des extrêmes-droites historiques européennes ou américaines que de défense et illustration unanimiste du suprémacisme trans-occidental, indissociablement néoconservateur et néofasciste.

La planète est-elle en mesure de supporter un tel virage (virage lors même que l'impasse interdit le moindre tronçon de route praticable à part le sang, toujours plus de sang palestinien) ? Les inconditionnels d’Israël ne céderont pas, puisque chaque place évacuée par eux est censée être occupée par la Russie, l’Iran ou la Chine. Le génocide, le nettoyage ethnique, voire l'extinction des juridictions internationales accusant Israël doivent donc aboutir par tous les moyens ! Le prix est consenti par principe et par nécessité ! Il faut ce qu'il faut...

Or la planète n’est pas obligée d’accepter ce chantage apocalyptique, quitte à autoriser (vu les implications géostratégiques de cette démesure) la guerre nucléaire devenue inévitable.

La mutation culturelle qui aurait évité ces désastres ne pouvait s’accomplir, sinon dans les pays du Sud, les Occidentaux ayant réussi pour leur part à anesthésier les consciences, à éradiquer jusqu’au sentiment humain élémentaire (par souci d’humanisme semble-t-il), en transformant les citoyens en consommateurs achevés (on prendra cet adjectif comme on voudra), insoucieux de la planète de part en part dévastée ?

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