Les tensions internationales apparaissent de plus en plus comme commandées par des réflexes de gangsters. Jamais le droit international en tant que promesse de paix n'a été aussi dérisoire. Pire : un alibi superflu. Y sont soumises les affaires de routine, qu'on expédie avec des formalités pesantes et guindées, afin d'impressionner les petits. Les Grands sont dispensés de la sanction humaine, puisqu'ils relèvent de juridictions supérieures (absolument discrétionnaires). Obéissant à des impératifs inaccessibles à des contrées dont la souveraineté fait rire, dont le poids économique suscite la pitié, ou dont l'arsenal nucléaire est néant, ils tiennent à inculquer par la force l'idée de leur indiscutable compétence, en frappant par-ci et en menaçant par là, comme si les instances officielles étaient un office dérivé de leurs promptes performances, et comme si leurs juridictions étaient un prolongement de leur autorité suprême. Le droit international est une corvée théâtrale, un simulacre pathétique de l'action intelligente et infaillible, dont seuls les Grands possèdent le moyen et le secret, la formule impeccable. Ce n'est même plus à un minimum de courtoisie et de raffinements diplomatiques, de pressions musclées sous couvert de thèses discutables que s'attellent les négociations, plus soucieuses dès lors de l'efficacité du coup de poing, de l'impact de la gifle. On ne se dépense pas en simagrées byzantines quand il y a le feu, et quitte à ce qu'on soit pyromane, on est légitimement sacré pompier..
La consécration de la force est la conséquence du déclin des forces critiques et de la rupture des équilibres classiques. Ce n'est même plus à une "diplomatie de club", comme dirait Bertrand Badie, qu'on assiste, sinon entre protagonistes rompus aux subtilités grossières des relations internationales... Pour le commun des observateurs, la mouvance des alliances et la variabilité régulière des hostilités relèvent du chaos permanent, tandis que les interventions spectaculaires à des fins pacifiques sont un coup de force exorbitant, un usage exclusif et immodéré du droit d'apprécier et de trancher entre Grands. Ces opérations salutaires se font selon l'assentiment tacite de la puissance militaire et les arrangements ésotériques des rapports de force imposés par des belligérants conscients de leur autorité comme de l'incompétence des victimes, la nullité des sujets spectateurs de ces décisions issues d'un despotisme qui ne sourit plus qu'à lui-même se passant de commentaire... Impossible dans ces conditions de continuer à lire les conflits internationaux à la lumière des données historiques, psychologiques ou juridiques... L'économie et la stratégie y suffisent largement.
C'est pour cette raison que beaucoup de sujets passifs se demandent si la Troisième guerre n'est pas déjà largement engagée et comptent les heures qui leur restent avant de se séparer de leur souveraineté théorique. N'importe quel état, dans ce brouillard, pouvant du jour au lendemain passer pour un état pestiféré, ou allié de monstres, un factionnaire fécond en dissensions, un ami qui renâcle et finasse pendant qu'on s'active afin de sauvegarder ses libertés, ou ses intérêts, ou l'inviolabilité de ses privilèges, il doit donc se résoudre à se crisper sur l'arbitraire qui lui assure des prérogatives et piétiner les lois, les coutumes, les usages qui risquent d'en faire un perdant ! Les normes sont floues et les châtiments relèvent de la prestidigitation, d'un caprice tyrannique, propension aberrante à sélectionner les parias en usant d'accommodements d'autant plus violents qu'ils sont réservés ! Ceux que l'humanité, contre son gré, aurait chargés d'infliger ces tourments, il est indécent et irrationnel de les imaginer justiciables avec probité, susceptibles à leur tour de pâtir des mêmes mesures, des mêmes procédés, démunis face au pire : le déni de justice... Comme il suffit d'avoir la force d'avoir raison pour ne pas être en état d'errement ou d'abus, les forts n'ont qu'à se servir (à sévir), alors que les faibles n'ont plus que le choix de ne pas contrarier les puissants... D'une chiquenaude, on n'est plus rien. Les médias, tambour battant, s'occupent de l'anathème universel et les bombes se mettent à pleuvoir sans prévenir qui que ce soit, sinon pour informer du fait accompli.
L'espéranto onusien est bon pour renforcer l'argument décisif : la brutalité pure et simple. Le reste est bavardage de minables...
Les pessimistes diront : cela a toujours été ainsi.
Ceux qui pensent que les petits n'ont pas vocation à subir arbitrairement ce chaos délibéré, qui voient dans chaque crise une chance pour rendre efficient le droit international et non l'occasion de l'invalider, finissent forcément par dire : "de grâce, achevons de dissoudre l'O. N. U. ! Au moins on gagnerait en limpidité et les énergies ne seraient pas gaspillées en discussions qui ne visent qu'à occuper les naïfs, à arracher les indulgences et à compulser les compromis, sinon à acheter les compromissions... !"
Les esprits amers ou malins : "Et si c'était précisément à cette conclusion que les Puissants voulaient acculer les impuisants et les indignés !"
Barbarie organisée... Les simples ne sont pas obligés de saisir les intentions, ni les enjeux, ni les finalités de ces affrontements qui les emportent, où il n'est pas prévu qu'ils aient un mot à dire ?
Le droit international n'étant plus qu'une farce, de plus en plus déprimante et grotesque à mesure que le monde est entraîné vers des crises apocalyptiques, peut-être cette destruction planétaire de l'idée de justice ne nuierait-elle pas à des puissances conscientes du danger d'un affrontement nucléaire, et qui continueraient à se harceler par des voies autres que nucléaires, jusqu'à ce que la terre et ses menus peuples soient entièrement vidés de leur substance, mais que c'est du sein des sociétés fondamentalement ruinées, au point de vue moral, précipitées dans une barbarie technocratique ordinaire, un abrutissement radical et constant, que surgiraient les pires bouleversements ?