ABDELILAH NAJMI

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Billet de blog 26 septembre 2014

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Un destin si funeste...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La première fois qu'on tombe amoureux, on est touché par le feu. Embrasé, ravi. C'est une révélation. On est consumé et c'est des délices, cette consomption, cette dissolution dans l'abîme et l'inconnu... On est prêt à la torture et à l'insomnie, à toutes les prouesses courtoises…

Puis vient l'âge blasé, le plus triste qui soit. Cette femme est jolie, sans plus ; celle-là est à ne pas manquer ; les autres (pour le moment) ne valent rien... On est triste et cynique.

Les démocrates musulmans sont passés par des étapes suaves et douloureuses, parfois frénétiques. Humiliations, emprisonnements, tortures de toute sorte. Aujourd'hui qu’à leur corps défendant c'est de l'ordre de l'oxymore, quel discours leur tenir, et comment les persuader que l'amour de la démocratie est chose jolie, à moins d'être divine !

Le combat pour l'émancipation est atteint de schizophrénie : faites-moi un marchepied, que je vous souille généreusement ! Tremblez, ennemis de mes amis les démocrates musulmans... ! C’est devenu une condition pénible, comme celle des roturiers, hommes de rien, des femmes et des esclaves…

Les démocrates sans maquignonnage et les moralistes sans fard sont-ils en voie d'extinction ? Les spin doctors de service n'ont pas le goût des profondeurs, de la nuance, ni ne sont recrutés pour être conséquents. Ils vendent des stratégies sereines, on n'y perçoit pas un soupçon de passion. Ils ont tous lu Clausewitz, mais pas La Bruyère, Chamfort, ni Cioran. Cioran, dans sa jeunesse, s'éprit des fureurs fascistes. Avec l'exil, puis l'âge, il dit de Paris et de la langue française des louanges hyperboliques. Mais, comme il conservait des traces de son fond excessif et lyrique, de son cynisme impitoyable, de son humour impayable d'aristocrate du style, et qu'il se voulait lucide jusqu'à la cruauté, il disait aussi que c'est aux bourgeois et aux petits-bourgeois (grâces leur en soient rendues), que l'on doit des libertés nulle part visibles, dans le reste de l'Europe d'alors. Il dit du premier venu, muni d'une voix dans son isoloir, pour pousser son petit cri, qu'il valait autant et mieux qu'un érudit des Carpathes soumis à la censure, prisonnier de foules muettes et voué aux inutiles gémissements. Repenti de la pire aberration, il dit des chagrins aberrants jusqu'au bout, dont le moindre est de devoir son salut et sa liberté à tous les médiocres qui méprisaient encore ses origines, ne serait-ce que son accent, ou sa dégaine de nihiliste inconsolé ! Nos think tanks libéraux et progressistes les plus loquaces, nos clubs d'experts et d'analystes froids, eux, pour la plupart nous apprennent convenablement chaque jour qu'il en faut, des dictatures (tout est de savoir les renouveler) et des carnages aveugles, si l'on veut encore goûter aux saveurs capiteuses des libertés ! Saveurs avec l'arrière-goût du sang... Après la "catastrophe" (au sens tragique) de la chute du Mur de Berlin, à chacun la pente irrésistible de son destin ?!

On vient d'assassiner un homme de façon ignoble et insoutenable. Au lieu de se recueillir comme des humains meurtris, avec les démocrates musulmans, les anthropophages délicats sont repartis de plus belle : c’est la pandémie « islamisme », « islamisme radical », « intégrisme », « salafisme »,.... islam, terrorisme en un mot ! La confusion est entretenue adroitement en sorte que, dans ce labyrinthe, on est obligé de s'en tenir au substrat commun ! Dans le naufrage des valeurs, de la lucidité, de la probité, s'accroche-t-on jamais trop, ni trop longtemps, à l'essentiel, à sa bouée de sauvetage !

Ainsi les plus exaltées des passions amoureuses se refroidissent : les démocrates énamourés par millions, tous ces musulmans qui ne demandent pas mieux que la paix, les libertés, l'égalité, la dignité et la justice, sont obligés de douter. Est-ce de l’ignorance ? Chez d’aussi savants commentateurs ? Et c'est même pour qu'on doute qu'on fait tout ce qu'il faut, chez des experts qui savent ce qu'ils disent et ce qu'ils font ? En effet, si même les musulmans deviennent un modèle de démocratie, des démocrates exemplaires, fidèles et dévoués, que deviendraient les démocraties frivoles qui s’éprennent subitement du pire et convolent en de justes concubinages avec des amants patibulaires, avant d’en concevoir de l’amertume, de la honte, au point de les brûler avec des pans entiers de leurs tribus solennellement et sans trop grand discernement (les passions funestes sont aveugles), -- non sans pleurer toutes les victimes innocentes de leur dépit et de leur fureur au demeurant ?

Au lieu de répondre à cette question, et à d'autres semblables, il est plus décent de se taire et de dire : paix sur l'âme d'Hervé Gourdel.

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