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Billet de blog 27 juillet 2014

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En attendant la maturité des fruits onusiens hors sol...

Aucun argument puisé dans le stock juridique international ou dans les valeurs de l'Occident humaniste ne semble devoir convaincre un jour (sans les atermoiements désespérants et les restrictions discrétionnaires, sans les trahisons d'usage) ni les grandes puissances, ni les instances internationales, en faveur du peuple palestinien.

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Aucun argument puisé dans le stock juridique international ou dans les valeurs de l'Occident humaniste ne semble devoir convaincre un jour (sans les atermoiements désespérants et les restrictions discrétionnaires, sans les trahisons d'usage) ni les grandes puissances, ni les instances internationales, en faveur du peuple palestinien. Ce sera chaque fois, qu'on le veuille ou non (ainsi en ont décidé les maîtres de ce monde définitivement livré au bon vouloir de la force brute), un argument contre l'existence de l'Etat d'Israël, donc une menace inacceptable qui pèse sur les Juifs non seulement dans cette région du monde, mais partout dans le monde ! A la résistance palestinienne, la parole est coupée, toujours suspecte, en tous cas coupable et suffisante pour la châtier, pour dissuader fermement une présomption sacrilège... Du temps d'Arafat et de la charte de l'O. L. P., qui prônait un état laïque et multiconfessionnel, le carnage était justifié par le recours de cette organisation ("terroriste", comme tout ce qui revendique un droit palestinien régulièrement neutralisé par la comédie diplomatique) à la lutte armée. Aujourd'hui, et longtemps après que l'O. L. P. a renoncé a cette option (mise dans l'impasse politique), le choix imposé des deux états indépendants et séparés n'aboutit pas davantage. Parole interdite (puisque coupable), résistance armée interdite (parce que coupable)... Il faut donc se résigner à subir carnage sur carnage et une colonisation qui progresse sans susciter d'autre réaction que la rengaine des résolutions de l'O. N. U. non respectées par Israël, le va-et-vient stérile et fatigant des médiateurs (surtout américains, dont plusieurs générations de victimes connaissent les noms par coeur, et dont elles retiennent une constante faillite, pratiquement destinée à gagner du temps, puisque Israël n'a jamais cessé de faire la sourde oreille vis-à-vis de la communauté internationale et d'agrandir un territoire voué à ne jamais être remis en question, sinon pour nuire aux intérêts israéliens, comme d'habitude)...

Non seulement les Palestiniens qui subissent l'occupation et l'exil doivent faire le deuil de l'indépendance, de la réappropriation légitime de leur terre (qui rétrécit indéfiniment et comme si cela allait de soi), mais aussi du retour si la diaspora (par un surcroît de malheur) les a transplantés ailleurs !

Les pays voisins, qui ont eu la mauvaise idée (ou l'engagement funeste, indispensable pour leur propre souveraineté, légitime pour leur sécurité) d'accueillir les populations chassées de leur territoire ou de prendre le droit international au sérieux, ont leur part de la tragédie : au Liban sont réservées les invasions et les destructions aveugles ; à la Syrie et à l'Egypte (qui n'a récupéré le Sinaï qu'en échange de la reconnaissance par Sadate de l'état israélien), l'annexion pure et simple d'une partie de leur territoire (comme c'est le cas du Golan jusqu'à nos jours) ; à la Jordanie, une paix conditionnelle où les concessions de cette dernière ne mettent pas à l'abri de la mauvaise humeur israélienne. Bref, aucune solution possible, face à une volonté de puissance sidérante, à une inexorable conspiration du silence, ou du bavardage couvrant les faits accomplis, sinon la solution israélienne, c'est-à-dire le sabotage méthodique de toutes les négociations, l'élimination physique ou symbolique des résistants (quelle que soit leur orientation politique), le massacre répété et impuni, la mise de la communauté internationale au pied du mur.

Les laïcs forcément sont des "nazis" (d'Edmond Amran El Maleh à Jacques Hassoun, les intellectuels juifs arabes, comme les orientalistes anticolonialistes, de Maxime Rodinson à Jacques Berque, ont eu beau rappeler et crier que les Arabes musulmans ou chrétiens sont innocents des crimes européens commis surtout par le national-socialisme, comme des sinistres pogroms de l'Europe de l'Est, leurs voix sont systématiquement tues et suspectes) et et les religieux (d'Abdallah Laroui, -- dans sa thèse sur le nationalisme de libération soutenue sous la direction de Raymond Aron -- à Edward Saïd,-- dont les recherches sont connues dans le domaine des études américaines --, sans parler du fait que c'est une donnée historique et sociologique constante, on a montré que le religieux a joué toujours et partout un rôle fédérateur pour les diverses formations en lutte contre l'oppression coloniale, mais en Palestine ce ne peut être qu'un argument à charge) sont des "fascislamistes" (selon l'ineffable philosophe sioniste, qui se donne pour la réincarnation de Malraux et de Benny Lévy réunis) ! Bien sûr, aux Etats-Unis même des voix se lèvent (Mearsheimer et Walt), comme en Israël (notamment les travaux de Shlomo Sand) pour dénoncer l'emprise fabuleuse de la propagnde sioniste sur les centres de décision occidentaux, mais l'opinion publique demeure fermement cramponnée à des interprétations aberrantes du conflit. Les médias sont mystérieusement acquis au même scénario depuis de multiples décennies : les Palestiniens agressent et les Israéliens ont le droit de se défendre ! Ce n'est pas un stéréotype, ni une scie fallacieuse, mais un article de foi. Impossible aujourd'hui, dans la culture politique occidentale, de repérer un dogme aussi indéracinable. On ne marchande pas ce credo. C'est une question de vie ou de mort ! Non possumus..., disent les défenseurs des Droits de l'Homme, intarissables par ailleurs sur les manquements, les bavures et les violations autres qu'israéliennes. A moins de se résigner à être taxé d'"antisémitisme"... Le point aveugle palestinien est leur infirmité naturelle. Le spectre chatoyant de leurs sphères d'excellence les dispense d'y remédier. Or, en dépit des tourments gratifiants dispensés à ces consciences se disant vives par mille causes épuisantes, ils ne soupçonnent peut-être nullement combien cet universalisme hyper-sélectif est factice. Les plus vaillants ou les plus sincères s'empressent d'assortir leur compassion de clauses exorbitantes : si les Arabes donnent des gages et ne persistent pas à vouloir reconduire la "solution finale" (la sinistre et si aryenne shoah), on est prêt à appuyer la cause palestinienne ! Font-ils autre chose que confesser et tenter d'inoculer une culpabilité localisée et qui bouleverse toute conscience, arabe ou pas ?

, effectivement, et quand, a-t-on vu un état conquérant et cynique planifier et exécuter froidement le génocide de millions de victimes juives ailleurs qu'en Europe, au siècle de la haute technologie et des doctines émancipatrices tous azimuts ? Au nom de quelle pudeur doit-on s'abstenir de le rappeler ? Mais le peuple palestinien soumis à une vindicte enragée, à une culpabilisation infinie, doit subordonner sa souffrance au soulagement de leur propre conscience, ce dont ils ne voudraient jamais se rendre compte.

Le peuple palestinien est l'unique dans l'histoire depuis le siècle dernier (à la date de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, immédiatement contemporaine de celle de la création de l'état d'Israël, alors que la quasi-totalité des pays membres de l'O. N. U. étaient encore sujets des empires coloniaux), à qui tous les moyens de défense, d'auto-défense, sont interdits ou contestés. Il doit subir les agressions et s'épuiser mondialement, en vain, à expliquer à chaque nouvelle génération que son insoumission est légitime comme n'importe quel mouvement de libération...

L'humanisme occidental est anéanti à force de saigner ce peuple. Non content d'en faire le seul peuple colonisé qui ne devrait pas cesser de l'être, on lui reproche aussi le don d'exaspérer les consciences affranchies par son supplice sans répit, d'irriter par son courage et l'énormité de son sort les prédateurs qui l'ont mutilé, sans réussir à enterrer sa cause. Insurrection insolente car toute velléité de libération en ce peuple aurait dû depuis longtemps être définitivement étouffée ! Il faut remonter à la Renaissance européenne, à Montaigne, à Hobbes et à John Locke, pour recommencer le travail critique et le dialogue qui ont élucidé et jugulé les guerres de religion, qui ont permis le minimum de tolérance à la base des institutions latines et anglo-saxonnes (plus tard slaves et presque mondialement adoptées, du moins c'est un processus irréversible) modernes. Les institutions issues de ces contributions décisives à la civilisation mondiale, et qui ont fait la gloire des démocraties libérales à l'époque de la Guerre froide (quand R. Aron, Karl Popper et Isaiah Berlin chantaient leurs louanges et accablaient les idéologues d'inspiration stalinienne en démontrant la supériorité politique et morale du libre-échange sur l'état totalitaire, le moindre mal des inégalités économiques et des droits fondamentaux des individus libres mais souvent pauvres par rapport à l'égalité économique sanctionnée par le goulag...), ces institutions n'ont subi l'épreuve post-moderne que pour balayer plusieurs siècles de débats libérateurs, afin de retrouver l'atmosphère funeste des massacres religieux et la frénésie des Conquistadores ivres de suprématie et de sang indien. L'"axe du Bien contre l'axe du Mal", -- devise et apothéose d'une détermination brandie à la face de la terre stupéfiée, puis relativement escamotée dans les discours officiels (sans que ses impératifs insidieux cessent de faire rage partout et de plus en plus), au mépris des politiques culturelles rationnelles et de la "diplomatie de l'esprit" (comme dirait Marc Fumaroli) paralysées, était-ce excès de zèle, un impair à imputer à la colère, à l'erreur par inadvertance ? La consultation des doctrines néoconservatrices prouve plutôt l'assiduité stratégique et les ravages prémédités, aux antipodes de l'ouverture humaniste par conviction. Les travaux importants de l'intelligentsia française de gauche des années soixante-dix, dont la virulence s'est émoussée sous les assauts massifs de l'idéologie néolibérale, en sont réduits à servir de couverture sociétale à une régression inouïe, mais la bonne conscience est sauve !

Il faut à nouveaux frais enseigner en France comme ailleurs en Occident les valeurs humanistes et les principes issus des Lumières et surtout de la Renaissance, en travaillant à un humanisme élargi, au lieu du prisme dit multiculturel souvent prisonnier de visions pré-galiléennes, des confections identitaires exaltées par des fictions narcissiques affligées de strabisme mental, et dont le déficit philosophique se repaît d'agressivités compensatoires ! L'Occident, parce que surarmé, a besoin de cet enseignement refondé plus que n'importe quel peuple aujourd'hui ! En effet, avec la suprématie militaire qui est la sienne, après avoir ruiné sa légitimité philosophique et morale (dire "presque", c'est un supplément d'horreur pour les Palestiniens suspendus à un espoir fou, rendu déraisonnable par l'usure et l'hypocrisie généralisée, et qui n'en ont pas fini de crever à force d'attendre, de se dire que leur sort n'est pas radicalement scellé...), il ne lui resterait plus qu'à imposer officiellement la barbarie sans se donner de faux alibi ?

La planète entière étant convaincue de cette ruine (c'en est même pathétique comme elle ne la souhaite pas, comme elle la refuse, tant cette chute est poignante et désastreuse, y compris chez des populations qui ont eu à se plaindre des ségrégations raciales et de l'exploitation !), et les discours tenus par les démocraties néolibérales (dont Israël serait l'épiphanie flamboyante au milieu des ténèbres orientales) étant honnêtement devenus intenables, le cynisme autosatisfait est voué à imposer des positions qui ne se soutiennent plus que de la négation éloquente, et quotidienne, des principes fondamentaux qui ont permis aux libertés et aux Droits de l'homme d'étendre leur règne "à mesure que l'Occident [colonialiste] replie le sien", comme dit Derrida dans "Violence et métaphysique" (L'Ecriture et la Différence), un texte éblouissant consacré à Emmanuel Lévinas. La métaphysique du "visage" (Totalité et Infini, L'humanisme de l'autre homme...), enseignée par ce dernier, ne passe pas les frontières mouvantes et expansionnistes d'Israël. Le Mur de l'Apartheid israélien est le symbole de cette séparation, qui est une trahison de soi (toute la spiritualité judaïque insiste sur la notion de justice) et une spoliation-dévastation-négation de l'autre (tout accuse Israël dans cette injustice criante, pour peu qu'on regarde les êtres et les choses de l'autre côté du mur, de ce labyrinthe de schibboleths, de sang et de larmes dont la voix inouïe de Paul Celan, face au silence de Heidegger, résonne encore, à en croire le même Derrida qui fit le déplacement en Palestine, et que l'"arrogant Netanyahou", selon ses termes, n'a pas daigné recevoir...). Jusqu'à quand détournera-t-on les regards, par médias interposés, des visages carbonisés des enfants palestiniens ? Jusqu'à quand se bouchera-t-on les oreilles, pour ne pas entendre des voix de plus en plus nombreuses pour dire : assez !

Montesquieu, Voltaire, ni Rousseau..., ni Hugo, ni Zola, ni Sartre aujourd'hui, ni Aimé Césaire, ni Franz Fanon, ni Gandhi, ni Mandela..., ni Hannah Arendt, ni Einstein, ni Chomsky, ni Rony Brauman..., ni même Yitzhac Rabin ne sauraient cautionner cette mascarade ; ils émigrent massivement, du moins les blancs, vers le Tiers monde, qui sait reconnaître d'instinct les siens, indépendamment de la couleur ! Et c'est en lui apportant le correctif nécessaire (un universalisme authentique) que ces peuples abandonnés à l'incurie et à la faim (partout dénoncées afin de flatter la chance de ne pas en être) feront en sorte que le déplorable ethnocentrisme occidental (ébranlé naguère par Montaigne et mis à nu par Lévi-Strauss et les magnifiques écoles ethnologiques française et américaine) sera enfin dépassé, comme souvenir barbare d'une imposture d'ores et déjà démasquée -- et insoutenable. Les fonctionnaires de la paix (qui officient à New York ou à Genève...) ne savent pas que les enfants des rues de Bogota, de Johannesburg et de New Delhi (comme dirait Mohammed Khaïr Eddine ou Nazim Hikmet) ne comprennent plus en quoi consiste leur profession, et s'en moquent comme savent se moquer les enfants ! Connaîtront-ils enfin, au bout de cette agonie rémunérée qui est la leur, le sort de leurs collègues de la défunte Société des Nations, et pour des raisons analogues (Albert Cohen faisait-il partie de ce personnel ? En tout cas, et c'est déprimant, c'est le paria palestinien qui a pris la place de ces magnifiques figures de la judéité immortelle, en cette course de relais sanglante et sourde, même si des enragés professionnels du malheur exclusif, toujours tournés vers le passé, l'accusent de mimer leur douleur, en bon comédien qu'il serait...) ? Ayant épuisé ses recettes éthiques, gangrénées par une démagogie de plus en plus ouvertement assumée, l'Occident libéral confie à l'ordre néolibéral la mission salvatrice d'anéantir (à coups de dévastation franche ou de tergiversations morbides, de casuistiques aussi spécieuses que dramatiques) toute opposition, fût-ce au nom de ses propres principes de rationalité et de l'égale dignité des êtres humains, à sa suffisance autoritaire.

Pauvre légitimité dont le socle est une bombe nucléaire ! Pauvre autorité morale qui, en soixante-dix ans que dure le calvaire palestinien (sans compter le mandat britannique !), n'a pas trouvé mieux que des arrangements avec sa conscience, autrement dit ses actions en bourse (c'est la crise, on a d'autres chats à fouetter, comme d'habitude) et son influence géo-stratégique (exit la menace du bloc soviétique, place au "choc des civilisations") ! Les stratèges du tout ou rien, face aux marchés musulmans interconnectés sans réticence excessive, innovent en matière de péril et s'appliquent à globaliser (économiquement) en rétrécissant (philosophiquement) : les frontières se disloquent au moment même où l'Occident se dissout sur le plan moral, en dissolvant les dernières pensées récalcitrantes à l'Empire du Rien. Personne n'est tenu de se dissocier de ce suicide ultra-nihiliste, à côté de quoi la Guerre des étoiles est un scénario moins pitoyable, moins effroyable et plus divertissant.

L'avènement de la post-humanité en Occident (quand certains désastres humains s'alignent sur les catastrophes naturelles et les injustices humaines sur les caprices cosmiques), est-il si riche de promesses, comme un big bang tourmenté (à force de sérénité) et final (le recommencement ni les aurores n'étant plus dans ses moyens) ?

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