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Billet de blog 30 juillet 2014

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Permis de tuer : Lumières et Sang d'un blanc seing obscurantiste consciencieusement globalisé...

Grâce aux démêlés de Pascal Boniface avec le parti socialiste (son propre parti) et avec les éditeurs, grâce à beaucoup de faits semblables, il devient évident que la liberté de penser, de s'exprimer, est sujette à un blocus qui laisse aux mortels un périmètre de survie rétréci avec soin, mais cerné et menacé à terme de disparition. Les médias assurent le travail pénible mais indispensable qui fait de l'opinion publique un Gaza universel.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Grâce aux démêlés de Pascal Boniface avec le parti socialiste (son propre parti) et avec les éditeurs, grâce à beaucoup de faits semblables, il devient évident que la liberté de penser, de s'exprimer, est sujette à un blocus qui laisse aux mortels un périmètre de survie rétréci avec soin, mais cerné et menacé à terme de disparition. Les médias assurent le travail pénible mais indispensable qui fait de l'opinion publique un Gaza universel.

Par rapport aux libertés constitutionnelles, aucune récrimination ne saurait aboutir. Seule la sécurité est en cause, lorsqu'une manifestation par exemple est interdite (or il y a de quoi, les vieux démons apprêtés et secoués avec adresse n'attendant vraisemblablement qu'un signal pour se répandre sans discernement en anatèmes inquiétants, en génuflexions sardoniques), non le principe de manifester. Le coup de force génial de l'idéologie néolibérale consiste à préserver l'espace théorique du libéralisme primitif (avec sa société civile, ses contre-pouvoirs et sa "main invisible"), tout en rendant son exercice impossible (en cas d'incompatibilité avec les intérêts vitaux), ou bien au moins suspect et impraticable, une voie (voix) barrée pour travaux, une déviation imposée par les nécessités de la voirie n'étant pas une interdiction de circuler. Or cette voirie est plutôt celle de Bossuet (à en croire l'ironie de G. Henein) que des travaux publics...

L'obscurantisme qui érige la techno-science en absolu de l'intelligible et repousse les mythes dans l'enceinte pestilentielle des élucubrations superstitieuses a fait son temps, et le néo-positivisme, le scientisme du dix-neuvième siècle s'apparentent dès lors aux antiquités. Renan sur l'Acropole est digne des guignols, comme Bergson tenant tête aux tenants de la théorie de la relativité ! L'humanité délivrée des ravages des religions et des concrétions théologiques, dérobée aux délires transcendantaux, est passée au stade suprême : la Genèse faite Information ; l'Apocalypse façonnée pontuellement au gré des télécommandes, des claviers et des rampes de lancement ;  le Verbe médiatique archi-créateur informant les bêtes somnolant dans leurs grottes et les cristaux scintillants en devenir sur prompteurs bienveillants, dans la vase archaïque de l'Evénement ductile ou anesthésiant ; la religion de la communication, avec les vertus théologales afférentes au mensonge, à la casuistique lénifiante, aux frappes brutales et sanctifiées par l'urgence de sauver la démocratie, sinon l'espèce. Les superproductions gigantesques, à l'échelle de la planète, font des sujets de cette parousie hyper-rationnelle les spectateurs sidérés (et les consciences pulvérisées) d'un Hollywood sanglant sans effets spéciaux, dont les fictions sont le quotidien même, et les protagonistes (par exemple ce western qui dure au moins soixante-dix ans, deux minutes sur écran télévisé, à reconduire modérément, en parfaite illustration du micro-récit post-moderne : justiciers israéliens, protégés occidentaux, aux trousses de wanteds palestiniens) des pèlerins chérubiniques sur la voie de l'ultime accomplissement.

La fiction est la vie même. Partout des hordes barbares se dressent pour mettre à mal le modèle occidental dont le credo splendide est le cri de guerre de l'Axe du Bien. Transformer Gaza en ghetto grandeur nature et en trois dimensions ne relève pas du prodige, puisqu'il suffit d'en souffler la population, après l'avoir enfermée et affamée, privée de toutes les nécessités de l'existence décente. Faire durer l'agonie et sauvegarder le souffle suspendu des compatissants malmenés, éprouvés à des fins spéculatives et thérapeutiques (les banques et les philosophes à l'unisson, les cellules psychologiques ad hoc à l'avenant, par journalisme professionnel interposé, entièrement mobilisé). On découvre l'horreur et on se félicite de ses réflexes de vivant, de survivant à des événements dévastateurs, mais dont les proies sont des ombres : les Palestiniens (mauvais sujets, excellents comédiens) miment les Juifs du guetto de Varsovie. La culpabilité est conjurée, l'odeur chaude et âcre du sang est escamotée. Plus c'est infernal, plus c'est réaliste, et moins on a envie que cela soit vrai pour de vrai ! On soulève et on rabat avec dextérité le rideau d'incrédulité selon les besoins de l'intrigue, de la projection collective, selon le degré d'intensité conduisant à une catharsis radicale : purification pour purification...

C'est un écran ambivalent et dénégateur, qui ne dévoile que pour mieux cacher : d'une part, les atrocités inédites dont les générations du vingtième siècle se sont repues, au détriment des martyrs juifs ou tziganes (on en oublie, des victimes massives de seconde zone, mais toute prestidigitation est un tri, toute prouesse d'illusionniste est un sacrifice de contingences insignifiantes) ; d'autre part, la certitude que la reproduction du drame local à l'échelle mondiale, à grands frais militaires, diplomatiques et médiatiques ne concerne que des tribus clochardisées, dont les récoltes sont brûlées, les oliviers sciés, l'eau détournée, dont le démantèlement anthropologique est entrepris (on est ou on n'est pas scientifique !) par des services psychologiques aux aguets, prompts à dissuader toute incursion dans la conscience éveillée. Il faut repousser aux extémités du cauchemar (le songe d'une Terre promise de toute éternité), aux confins de l'irréalité et du vraisemblable ("une terre sans peuple pour un peuple sans terre"), l'éventualité olfactive de la putréfaction, tant il est sacrilège de contaminer le sujet occidental, inapte aux compromissions bibliques, à la promiscuité des orients compliqués (on n'a pas décolonisé pour rien, et les Anglais, -- comme leurs co-producteurs vigilants, jaloux de leurs imprescriptibles prérogatives, -- ayant rendu leur bien aux ayants-droit, à l'Irgoun paisible et coriace, sont rivés aux comptoirs opératoires du négoce et négociations, tremblant à l'idée que les ressources en imagination stratégique transmuées en Box office s'amenuisent imprévisiblement) !

Les Arabes sont dignes de compassion, l'Occident aussi en raison de son impuissance, de son hémiplégie morale, et c'est précisément pour se procurer cette sensation biologique (le don des larmes), qui rassure sur son humanité, que le spectacle est monté. Tout est préférable, y compris les génocides en direct, à la catastrophe d'éprouver en soi l'efficience d'une déshumanisation virulente, mais soft, du sujet occidental. Son agonie morale autorise toutes les atrocités susceptibles d'accorder à l'humanisme moribond un supplément de vitalité, un surcroît de crédit (la fameuse rallonge responsable...), quitte à ce que les réserves en soient asséchées ici, quitte à ce que le soupçon d'anéantissement en cours là-bas (venu à bout de tous les principes dont on s'est durablement enorgueilli, bien que laminés ailleurs), soit désintégration extatique assistée, vitrification foudroyante et licite chez les populations tenues en réserve pour le pire, tenues en respect pour ne pas subir le sort qui est le leur. A croire que l'horreur est la ressource ultime pour se ressourcer ! Ce qui compte, ici, ce sont les comptes boursiers et les réglements de comptes dépouillés de toute implication charnelle (le surarmement à distance suffit, et et les exhortations d'intelligence -- en bonne intelligence -- au calme)...

C'est pour cette raison qu'il est futile, voire scandaleux, d'accuser les médias, les éditeurs, les gouvernements occidentaux, les instances internationales... Il ne faut que se consulter, par un acte d'introspection honnête, une politique judicieuse et une diplomatie pondérée, pour se rendre à l'évidence : c'est grâce à tous ces appareils qu'on peut encore se féliciter de pouvoir se mettre en colère. Aliment délicieux, nourriture céleste, sublime transfiguration du droit international et du droit tout court ! La suprême justice est de comprendre que le peuple martyr d'Israël en fait autant, et aussi bien, que ses bourreaux (les vrais) naguère ! Y a-t-il meilleur remède à la culpabilité ? On se dédouane de façon coûteuse, il est vrai, mais le prix est partagé. A Gaza, les bulldozers et les bombes, les larmes et le sang ; à la conscience occidentale mondialisée et soumise à l'impératif néolibéral, les Lumières et le Son (bombes éclairantes et fureur sacrée des victimes éternelles d'Israël ressuscité, au grand dam des débris infra-juifs du cru), les "aides à la reconstruction"...

Quand il ne restera plus que des cendres, la tristesse de la fin du spectacle sera telle qu'on dressera un Mémorial. Les urnes (funéraires et électorales) sont sauves... C'est l'essentiel.

Les consciences assiégées, dans l'opacité systématique des journaux et à travers le grillage électrifié, le verrouillage savant des journaux télévisés, rendues hagardes par l'écartèlement entre la liberté de la presse en principe et la jovialité besogneuse des promesses de paix artificiellement endeuillées, ne peuvent s'échapper que par des images pudiques et un discours aussi parcimonieux qu'emporté par une cadence saisissante, en sorte que l'allégresse des mauvaises nouvelles allège l'angoisse des esprits surmenés, en confortant les stoïciens ordinaires dans l'impassibilité des observateurs éclairés.

Mais le détachement a ses limites : au bord du vomissement, de la catalepsie morale, l'apathie est plutôt déconseillée. Les passions se déchaînent pragmatiquement : deux armées en effet s'affrontant (et non une armée suréquipée écrasant des civils, y compris les résistants non moins civils), et Israël n'ayant pas vocation à essuyer sans réplique des tirs de roquettes frôlant la "solution finale", le moindre excès (d'indignation ou d'ennui surexcité) est de constater l'inadéquation abyssale entre le mensonge effronté, au moyen d'un matraquage sans nuance (le moyen de raffiner, face à de l'inexorable !) et une vérité indésirable tempérée par des appels à un minimum d'humanité, de variation stylistique à même de "décompresser", d'aérer la touffeur du refuge mental, les intempéries tropicales ou les tempêtes sahariennes à l'assaut du septentrion ! Tout de même, on n'est pas des sauvages ! Manifestons ! Manifester quoi ? De la colère ? Et pour quelle juste cause de fantômes si bien ajustés aux tenailles du supplice : spectacle contrariant et sublime vision ? La béatifique inconsistance du Palestinien impalpable, ayant l'épaisseur fantastique des assassins convaincus d'inexistence, ne saurait susciter la colère, sinon l'écume frelatée de ses détracteurs en puissance, se repentant bruyamment de s'être trompés de héros !

La colère est tout ce qui reste pour sauver la face. Bien canalisée, elle absout. Elle jette un voile salutaire sur une face mille fois perdue, mais toujours prête au défi de la parade désordonnée, du défilé dégoisant, de la revue civique et bariolée. Bref, pour les journalistes, une inestimable panacée ! On ne fuit pas plus le siège de Gaza (camp de concentration et ghetto en flammes, sous le regard médusé et complaisant des indignations incorrectes, d'inconfortables et menus affairements) que le fief (indiciblement horrible et honteux) des Lumières à sourdine où sévirent autrefois chambres à gaz et fours crématoires, l'un excusant l'autre, à cette différence que ce sont les Palestiniens qui brûlent vifs, tandis que les consciences vives, torches universelles, brasillent sans conviction dans une caverne peinte aux couleurs du feu d'artifice le plus exubérant qui fût jamais : le Spectacle grandiose des démocraties néolibérales illuminant les ténèbres orientales, tandis que le flamboiement des bombes éclairantes éblouit en les éparpillant les restes d'une humanité anachronique, végétant ordinairement dans les déserts usurpés où sommeille du pétrole (un soupçon d'histoire organique et combustible, un pan de vertige cosmique sous la main preste et auguste des flambeurs déchaînés) ! Pas étonnant qu'on en vienne à confondre les gerbes étincelantes de la presse fulminante (contre les trouble-fête munis de lance-pierres et d'infiniment redoutables roquettes) et le territoire dantesque d'un peuple parvenu au dernier cercle de l'enfer, où fulgure l'éclair rédempteur d'une extermination vitale ! Et pourtant, le Palestinien n'aura jamais, quoi qu'il dise ou fasse, autant souffert que les anges gardiens israéliens rendus intraitables par malchance (la Terre promise étant malheureusement encore habitée) et par procuration (l'élégant et pathétique "plus jamais ça", -- ici, en Europe s'entend...), deux façons efficaces de se tirer d'affaire en toutes circonstances.

Heureusement que les agents de l'O. N. U. sont là, qui feront le ménage après le nettoyage, sans ménagement pour les résistants qui ont provoqué ce désastre (en creusant des trous pour soigner les enfants, manger et se protéger, comme des bêtes traquées qui n'espèrent plus de refuge sur terre), qui osent encore faire usage du dernier souffle d'un peuple en voie d'anéantissement, en refusant de souffler comme tout le monde la lueur fragile d'une conscience anté-diluvienne, l'aurore improbable et ensanglantée d'une liberté trop lourdement hypothéquée à laquelle ils sont désormais (et depuis bien longtemps, à mesure que tout rentre dans l'ordre... néolibéral) seuls de leur espèce à ne pas vouloir survivre !

Après le génocide des Indiens, comble de la Mauvaise Conscience ; le génocide des Noirs, sommet de l'Inconscience, -- voici presqu'accompli le génocide des Palestiniens, au faîte de la bonne Bonne Conscience et de la Paix universelle !

La question en suspens, qui ne taraude personne d'ailleurs, est de savoir si leur résolution survivrait aux résolusions onusiennes, à moins que ce ne soit celle, qui ne rassure personne, de savoir si l'organisation internationale (globalisant un blanc seing signé du sang des damnés de la terre saignés à blanc), avec ou sans résolutions, survivrait à la leur...

Ultime lueur ? On comprend l'acharnement et la raison lumineuse de tous les charniers édifiants, immatériels, d'après Auschwitz, ô phrasé post-moderne !

P. S. : Auschwitz ? Le parallèle est sacrilège. En exterminant les Palestiniens jusqu'au dernier, on ne voit objectivement pas comment leur nombre, démographiquement attesté et tenu à jour par les instances les plus honnêtes de la planète, suffirait à rivaliser avec celui des victimes d'un crime incomparablement plus abominable (qui le nie ?)... Il faut savoir garder la mesure ! Raison garder, toujours, quand on n'est pas israélien, occidental, quand on n'est personne (même en miniature), ni rien (même en pétro-dollars) ?

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