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Billet de blog 1 mars 2023

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Ukraine et Palestine : les résistances se valent-elles ?

« The War is a Racket » » avait titré le Major General Smedley Darlington Butler dans son livre coup de poing publié en 1935. A l’heure de la guerre en Ukraine et des questionnements autour du soutien militaire à la résistance ukrainienne, les quelques pages de Butler font balle au centre : quel est le rôle des associations pacifistes et de défense des droits de l’Homme dans ce conflit ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« The War is a Racket » » avait titré le Major General Smedley Darlington Butler dans son livre coup de poing publié en 1935. Malgré les positions largement critiquables du personnage sur certains sujets, Jacques Frémeaux, alors professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne, avait souligné l’importance capitale d’un livre qui enrichit « la bibliothèque du pacifisme ». Un classique de la littérature contestataire américaine qui dénonce violemment la guerre, ses ressorts militaro-industriels modernes et son impuissance à apporter la paix. A l’heure de la guerre en Ukraine et des interrogations face à un soutien militaire à la résistance ukrainienne, les quelques pages de Butler font balle au centre : quel est le rôle des associations pacifistes et de défense des droits de l’Homme dans ce conflit ? Doivent-elles appeler à armer les Ukrainiens face à l’annexion des territoires ? Doivent-elles encourager la livraison des armes ? Et pour d’autres conflits alors ? Comment percevoir l’évidence affichée et la véhémence des appels d’associations à armer les résistants Ukrainiens et la frilosité des positions dans d’autres situations similaires ? 

Le soutien à la résistance ukrainienne et les conditions de l’appel à un cessez le feu avec la fédération de Russie font, en effet, aujourd’hui l’objet de divergences entre les organisations qui militent pour la paix et la défense des droits de l’homme. 

Désaccords

Commençons par la plus ancienne structure internationale pour la paix : le Bureau International de la Paix qui regroupe plus de trois cents (300) organisations de soixante-dix (70) pays. La position de cette organisation est claire. L’association appelle à manifester et à agir pour « un cessez le feu » immédiat et sans condition préalable de retrait des territoires occupés. L’urgence de l’arrêt de la guerre s’avère impérieuse pour un retour à une situation d’accalmie avant de « négocier une paix à long terme ». Le chiffre de 100 000 soldats morts des deux côtés est, en effet, régulièrement avancé avec 30 000 civils ukrainiens et 7.5 millions d’entre eux qui ont fui leur pays. 

Ensuite, Amnesty International qui, dans de nombreux rapports, pointe du doigt « les crimes de guerre » et la violation du droit international humanitaire par les russes mais, aussi, fait remarquer « les tactiques de combats ukrainiennes » qui « mettent en danger la population civile ». Certains de ses membres n’appellent à une négociation qu’après le retrait complet de la Russie de l'intégralité des territoires ukrainiens, Crimée incluse et ne soutiennent, donc, pas la position du B.I.T. Des tenants de cette position prennent comme figure les pacifistes partisans de la non-violence (Gandhi par exemple) qui ont condamné les accords de Munich en septembre 1938 avalisant la conquête des Sudètes tchécoslovaques par Hitler. Il est donc hors de question de signer la paix avant d’avoir régler la restitution des territoires envahis. 

Enfin, c’est surtout l’appel de la Ligue des Droits de l’Homme qui se distingue dans une prise de position sans équivoque : il faut soutenir la résistance armée ukrainienne. En effet, le communiqué du 6 avril 2022 conforte l’idée selon laquelle « les forces qui s’opposent à l’agression militaire doivent pouvoir bénéficier d’une solidarité leur permettant de pérenniser leur résistance ». Autrement dit, un soutien à la résistance militaire de l'Ukraine est clairement exprimé. Selon ladite association « l’absence de réactions effectives face aux atteintes portées aux libertés, aux droits de l’Homme et à leurs défenseurs » nourrira « la culture de la violence ». Il faut donc armer la résistance, car une résistance armée face à l’invasion est légitime au regard du droit international comme au regard du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Armes, munitions, missiles anti-chars, canons Caesar, blindés légers…les Ukrainiens doivent bénéficier de l’aide de nos pays et de nos technologies d’armement.

 Et que dire de la résistance palestinienne ?

Face aux multiples réactions d’associations « généralistes » sur la situation en Ukraine, nous ne pouvons pas faire l’économie d’une comparaison de certaines positions - ou absences de positions - face au soutien à la résistance populaire palestinienne. Nous n’évoquerons pas, ici, les prises de positions d’associations spécialisées comme l’AFPS (Association France Palestine Solidarité) ou bien même l’UJFP (Union Juive Française pour la Paix) qui appellent à soutenir la résistance populaire palestinienne.

Quoiqu’il en soit, toutes les associations citées précédemment sont unanimes sur la condamnation de la colonisation et des crimes israéliens en territoire palestinien. La démonstration d’Amnesty International sur le système d’apartheid organisé par les gouvernements israéliens en est la preuve la plus récente. Critiquée sur des accusations d’antisémitisme, personne n’a jamais pu remettre en cause les arguments (basés sur trois textes internationaux) de l’organisation qui prouve dans son rapport complet et détaillé, intitulé « L’apartheid d’Israël contre la population palestinienne : un système cruel de domination et un crime contre l’humanité », la ségrégation et les violations commises par le gouvernement israélien.

Cependant, il s’avère important de s’attarder un moment sur certains arguments avancés de haute voix par certaines associations qui prônent l’armement et le réarmement continus de la résistance ukrainienne ainsi que le refus de toute forme de négociation en faveur d’un cessez-le-feu sans un retrait total de la Russie des territoires annexés. Nous savons, du droit international, que la résistance qui renvoie dans une large mesure à la légitime défense prônée par l’article 51 de la Charte des Nations unies est une forme de défense et de survie pour un Peuple agressé et relève de la souveraineté territoriale des peuples dans la défense de leur intégrité territoriale en face d’une occupation ou d’une colonisation. Les confiscations des terres et l’occupation illégale et illicite « justifie [ent] la résistance armée » comme le rappelle Gilles Devers. L’avocat souligne, d’ailleurs, à juste titre que « la notion de résistance n’est pas propre au droit international » mais est aussi une partie intégrante de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, qui proclame en son article 2 que la « résistance à l’oppression » est un droit fondamental.

 Nous rappelons qu’il ne s’agit pas ici de remettre en cause les appels à soutenir la résistance ukrainienne mais plutôt de mettre en lumière le silence et la passivité de certaines organisations dans le soutien à la résistance palestinienne. Les divergences de vue entre les associations portent, d’ailleurs, sur un aspect fondamental du rôle que doivent avoir les associations qui militent pour la paix et la défense des droits humains dans les conflits internationaux. Et c’est là, peut-être, la question cruciale qui doit nous retenir. Celles-ci doivent elles appeler à armer militairement les acteurs de conflits ? C’est ce que refuse le B.I.T. Celles-ci doivent-elles, au risque de laisser s’enliser le conflit, conditionner l’arrêt des morts au retrait des territoires annexés par l’une des deux parties ? Sinon que dire des appels à des négociations de paix  entre palestiniens et israéliens  lorsque plus de cinq millions de palestiniens (UNRWA) restent expulsés de leurs territoires et que se poursuit l’enracinement « des six-cent mille (600 000) colons juifs israéliens sur les territoires occupés » (Amnesty) ?

Quoiqu’il en soit, les positionnements d’association en faveur d’un soutien armée pour les situations de résistance autorisées et couverts par le droit international ou celle du refus de l’appel à des négociations de paix qu’à la condition du retrait des territoires spoliés doivent être mises en miroir de ces deux conflits. Le soutien affirmé dans l’un rend plus incompréhensif et glaçant le silence dans l’autre.

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