Le Peuple palestinien signe aujourd’hui, au terme d’un combat héroïque, la naissance d’un universalisme nouveau, renvoyant les universalismes européen et américain à leurs particularismes.
Le choix du français pour écrire ce premier commentaire sur le cessez-le-feu imposé à la machine de mort israélo- américaine par Gaza – ce choix ne saurait être autre que celui de la langue de la Revolution de 1789, celle qui fut la première à formuler le principe d’un universalisme humaniste.
Ceci étant dit, le génocide rampant visant tout un peuple vient jeter l’éclairage de vérité, a posteriori, sur toutes les péripéties de la transformation tragique de ce principe d’universalisme, entre le moment de sa proclamation, et ce dimanche 19 janvier 2025 qui voit un cessez le feu violé encore fois par les actes de meurtre israéliens.
Et en effet, force est de constater que le potentiel libérateur de cet universalisme premier se métamorphosa, assez vite dans les faits, en principe d’oppression coloniale. De nos jours, la liberté que postule cet universalisme, se délestant radicalement de justice autant que d’égalité, est mise en avant par les élites au pouvoir, comme privilège exclusif de l’homme blanc américain, européen [à l’exception de l’Irlande, de l’Espagne et de la Slovénie] … Et de l’homme blanc Juif-Israélien, qui nie l’humanité et l’existence même d’un Peuple Palestinien.
La guerre infernale qu’Israël mène contre les Palestiniens, avec les moyens scientifiques et techniques les plus sophistiqués, révèle au grand jour le particularisme extrême de cet universalisme de la force et de la technoscience, sans conscience, au service de l’inhumain.
Luttant à armes inégales, Gaza renvoie donc, par un geste irrévocable, les prétentions d’universalisme qu’arbore dans l’Amérique et l’Europe d’aujourd’hui des courants puissants qui se sont repliés sur un racisme et une religion du Blanc, mobilisant la richesse, la technique et l’intelligence artificielle à l’assaut du Monde. De ce point de vue, la guerre sur Gaza nous plonge dans l’expérience de ce que sera la guerre qui vient, cependant que la lutte palestinienne contient une promesse de salut.
Deux millions de personnes, bloquées sur un territoire minuscule, ont su faire face à l’entreprise de destruction la plus inédite à ce jour. Miracle de l’esprit libre et invincible de tout un peuple qui a accepté de se sacrifier pour sa liberté. Sa juste cause met à nu la vacuité d’idéaux qui ont trop souvent montré leur connivence avec les calculs égoïstes et la force brute.
Avec ce cessez le feu, nous nous réveillons à un monde nouveau. De désastres imminents certes, mais avec tout de même des lueurs d’espoir. Car la Palestine envoie au monde un message de liberté et de justice. Et la conjonction de ces deux valeurs cardinales garantit la reconnaissance et le respect de la sainteté de la vie. De toutes les vies : celles des humains et celles de tous leurs compagnons sur notre Terre, grand être vivant dans l’Univers en mouvement.
Telle est la leçon que les Palestiniens offrent au monde. Femmes et hommes, enfants, jeunes et vieux, tous ont choisi de mourir dans leurs maisons, sur leurs terres, avec leurs animaux, leurs arbres, leurs plantes, et les substances de leur existence, plutôt que d’abdiquer les valeurs de liberté, de justice et de dignité.
La voix des Gazaouis se lève, forte au-dessus des ruines de Gaza, voie de la Palestine qui transcende le néant dans lequel la puissance sans conscience prétend vouloir l’enterrer. Cette voix nous dit l’impotence de cette puissance. Elle nous dit la faillite philosophique et éthique de L’Europe a quelques exceptions près. Elle nous dit le naufrage d’une Amérique qui s’épuise à atteler ensemble un certain racisme avec un certain christianisme que l’Esprit a déserté.
Gaza réalise une victoire de la décence humaine sur le militarisme, sur la religion de l’Ethnie et sa morale, sur l’aveuglement des ethnicismes qui prolifèrent partout.
Il faudra sans doute raison garder en toutes circonstances, car ces dérives nous guettent partout. Elles sont globales comme le sont nos vies. Et les dangers sont imminents. La seule assurance se trouve dans l’extraordinaire mobilisation, elle aussi mondiale, autour de Gaza devenue symbole.
C’est un symbole qui animerait un lien de personnes à personnes vivant sous toute les latitudes, universel en ce sens qu’il les unirait dans une piété commune pour la vie sanctifiée. Gage de salut pour notre demeure à toutes et tous : Planète Terre.
Témara, Maroc, 19 janvier 2025
Abdellah Hammoudi, Professeur ÉméritePrinceton University