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Billet de blog 13 juin 2025

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De Boumèdiene à Tebboune, le drame de la politisation de l’agriculture en Algérie

A la mi-juin, lors d’une réunion de crise à Tiaret consacrée à la sécheresse dans les wilayas de l’ouest, un agriculteur a lancé : « Boumediène et Tebboune sont les seuls présidents à s’être déplacés pour un congrès de l’UNPA ». Deux présidents qui ont profondément marqué et politisé l’agriculture en Algérie.

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De Boumèdiene à Tebboune, le drame de la politisation de l’agriculture en Algérie

Djamel BELAID 13 juin 2025

En cette mi-juin, lors d’une réunion de crise à Tiaret consacrée à la sécheresse dans les wilayas de l’ouest, un agriculteur a lancé : « Boumediène et Tebboune sont les seuls présidents à s’être déplacés pour un congrès de l’Union des paysans algériens ». Deux présidents qui ont profondément marqué et politisé l’agriculture en Algérie.

Dans les premières années de l’indépendance, le premier souhaitait plus de justice sociale et réduire la misère qui régnait alors dans les campagnes.  Ce n’était là que juste mesure après le soutien[1] de la paysannerie algérienne au FLN et à l’ALN.

Certes, les ouvriers agricoles des grands domaines coloniaux avaient donné le ton à l’automne 1962 en prenant l’initiative de labourer et de semer les terres abandonnées après le départ des colons.

Dans une Algérie pas préparée à des réformes de fonds, la politique du président Houari Boumédiène s’est perdue dans les méandres de la bureaucratie et des opposants à la remise en cause[2] de leurs positions en milieu rurale.

La disparition du président Boumediène sonnera le glas d’une des plus audacieuses réformes agraires.

Au fil des années, les dirigeants algériens détricotèrent ce qui restait des réformes sociales en milieu agricole.
Les domaines auto-gérés ou DAS seront démembrés et les parcelles de terre attribuées aux membres de ces collectifs. Cette politique donnera naissance à des EAC et EAI.

A partir de 1983, la loi relative à l’APFA a permis à des détenteurs de capitaux d’accéder aux terres du domaine privé de l’Etat et de bénéficier de copieuses subventions. Cela s’est notamment traduit par la privatisation des terres Arch comparable à un Senatus Consult napoléonien.
Des cas extrêmes verront l’accaparation de milliers d’hectares de terre par des proches du président Bouteflika. Une situation à laquelle mettra fin le président Tebboune dès son élection. Dès le début de son premier mandat, il donnera la priorité à « l’agriculture saharienne ». Cela deviendra un leitmotiv que chaque ministre, wali ou simple fonctionnaire suivra à la lettre. L’Algérie accèdera ainsi à sa deuxième phase de politisation de l’agriculture, une politisation non pas sociale mais cette fois-ci techniciste. Le développement de la culture des céréales n’étant vue que sous l’angle de l’irrigation au sud alors que celle-ci produit moins de 4 millions de quintaux[3] contre 30 à 40 millions de quintaux au nord du pays.

Scénarisation de la culture des céréales au sud

Actuellement, la priorité est actuellement donnée à la culture des céréales au sud. Depuis son arrivée à la tête du ministère (Madr), l’infatigable ministre de l’agriculture, Youcef Cherfa multiplie la scénarisation de la récolte au sud. Cette récolte nécessite des moyens logistiques considérables qu’a su réunir ce ministre détenteur d’un diplôme en planification. Une scénarisation qui a frappé les esprits et qui a amené une partie de l’opinion publique à penser que l’autosuffisance en céréales était atteinte grâce à l’agriculture saharienne et que celle-ci représente la seule alternative. Une opinion publique qui, à l’annonce des nouvelles commandes de céréales à l’étranger par l’OAIC, se demande sur les réseaux sociaux si elle n’a pas été trompée. En effet, cette scénarisation par la Télévision algérienne est rarement accompagnée de chiffres. La moisson au sud permet tout au plus de récolter moins de 4 millions de quintaux de blé contre jusqu’à dix fois plus au nord les bonnes années. Certes, une partie des céréales produites au sud est utilisée comme semences au nord, ce qui représente une sécurité en cas de sécheresse sévère au nord.

Il est vrai qu’avec un taux de satisfaction de près de 80% de la demande en blé dur par la production locale, l’autosuffisance est proche. Mais, c’est oublier que la majeure partie du blé consommé et importé en Algérie concerne le blé tendre. Un blé qui sert à confectionner des baguettes de pain que les pères de famille achètent chaque jour par dizaine.

L’accent mis sur la production de blé au sud n’empêche pas la céréaliculture du nord de bénéficier également de subventions sous différentes formes : prix à la production, matériel, engrais, semences, prêts bonifiés.

Sècheresse à Tiaret

Le cas de la situation dans la wilaya de Tiaret est emblématique des difficultés actuelles de la filière. Suite à la sécheresse, durant les premières semaines de juin, l’UNPA a organisé des réunions avec les producteurs de céréales de la région.

Parmi les doléances[4] des agriculteurs figurent l’effacement des dettes et l’autorisation de réaliser des forages afin d’irriguer les cultures.

La réponse du wali ne s’est pas faite attendre. Lors du lancement officiel des moissons à Tiaret, celui-ci a déclaré que l’effacement des dettes n’étaient pas à l’ordre du jour et que cette décision dépendait du président de la république. Il a cependant rappelé au directeur de la banque (BADR) de poursuivre l’étude des cas de ré-échelonnement des remboursements des prêts contractés par les agriculteurs de la région. Quant aux autorisations de forages, il a réitéré son opposition à toute d’autorisation dans les « zones rouges » là où le rabattement des nappes d’eau est le plus importants. Il a réaffirmé que la priorité est accordée avant tout à l’adduction en eau potable de la population.  Celle-ci avait exprimé son mécontentement[5] par des barrages sur les routes suite aux coupures d’eau lors de la fête de l’Aïd el Kébir 2024. Une situation qui avait suscité le mécontentement du président Tebboune et le lancement de travaux d’urgence pour réaliser des transferts d’eau sur plus de 100 km vers la ville de Tiaret.

Le wali s’est également contenté de la promesse faite par e directeur des services de l’hydraulique de l’utilisation future des eaux issues des 4 stations d’épuration des eaux usées.

L’alternative de l’agriculture de conservation

Pourtant, des solutions existent pour cultiver les céréales en sec.  A aucun moment le wali de Tiaret ou, plus grave, le directeur des services agricoles qui l’accompagnait n’ont évoqué l’alternative de l’agriculture de conservation et de l’utilisation du semis direct. Une technique préconisée[6] dès 2010 par des cadres du Madr.

Cette stratégie est aujourd’hui largement utilisée en Espagne et par près de 90% des céréaliers australiens. Ce mode d’implantation des cultures réduit de 40% l’un des postes les plus lourds des exploitations, le poste mécanisation. En outre, il permet de réduire les dépenses en semences et de retenir plus d’humidité dans le sol, ce qui permet au blé de résister 3 à 4 semaines de plus au manque de pluie que dans le cas des terres labourées. 

Certes, en sec et même avec les techniques d’agriculture de conservation les rendements n’atteignent pas les 30 quintaux comme dans le cas des parcelles irriguées, mais ces rendements représentent un avantage crucial : ils assurent un minimum de revenu pour l’agriculteur. Un revenu qui permet de payer les semences et les engrais pour la campagne suivante et donc de relancer un cycle de culture[7]. Un aspect qui semble échapper aux cadres de l’administration agricole et plus grave, de ceux des banques. En effet, les résultats pluri-annuels effectués dans les pays voisins de l’Algérie, montrent que le semis direct renforce la résilience des exploitations et donc leur solvabilité.

Cependant, ces résultats tardent à être vulgarisés par les services agricoles.

Tropisme du président pour l’agriculture

Ce retard trouve son explication dans l’attitude attentiste des échelons subalternes de l’administration illustrée par l’expression « takhti rassi » (pas sur ma tête). Pourtant le président Tebboune a demandé aux cadres du secteur public plus de prise d’initiative et que les erreurs non liées à des tentatives d’enrichissement personnel pouvaient être excusées.

Autre cause, l’inexistence pour les cadres du service publique « d’obligation de résultats ». Seuls des walis, directeurs d’entreprises publiques ou et de directeurs de service de wilaya peuvent être sanctionnés. 

Enfin, il y a le fort tropisme du président Tebboune pour l’agriculture. A plusieurs occasions lors d’interventions publiques, celui-ci a indiqué son vif intérêt pour le secteur agricole.

Les réalisations en matière de production de blé en Arabie saoudite et au Qatar concernant l’élevage laitier ont également renforcé le président et son entourage dans la Ground Water Economy.

Par ailleurs, durant son parcours professionnel, le président a eu l’occasion d’exercer les fonctions de wali à l’intérieur du pays et donc d’être confronté aux questions agricoles. C’est dans ce cadre que s’est renforcé son intérêt pour l’agriculture et notamment pour la production de céréales. A cela s’ajoute les fonctions de ministre du Commerce qui lui ont permis d’approcher de près le niveau des importations de biens alimentaires. En 2017, il s’était élevé contre les importations de mayonnaise et de ketchup qui atteignaient à l’époque 200 millions de dollars.
Concernant la culture du blé, à plusieurs reprises, le président a souhaité que les rendements passent de 17 à 30 quintaux. Pour le sud, il a indiqué que le rendement minimum sous pivot d’irrigation ne devait pas se situer sous 40 quintaux.

A ce tropisme pour la question agricole vient se greffer un déni du réchauffement climatique. Cela se manifeste par la poursuite de soutien aux filières animales grandes consommatrices d’eau à travers la production de fourrages irrigués. Il s’est personnellement investi pour la création au Sahara et en partenariat avec le Qatar d’une méga-ferme devant assurer les besoins en lait du pays. Enfin, concernant l’élevage, lors du 50 ème anniversaire de l’UNPA, le président a indiqué sa volonté d’arriver à mettre fin définitivement au manque de viande rouge.

« L’irrigation de complément » insuffisante à Relizane

Dans l’ouest du pays, le manque de pluie et l’augmentation des températures sont tels, que pour ceux qui peuvent irriguer, l’irrigation dite « d’appoint » sur les céréales s’est transformée en irrigation « continue » comme celle pratiquée dans le grand sud. C’est ce que confie le 12 juin à Ennahar Tv Habib Ouanedjali des services agricoles à Belahssel Bouzegza (Relizane). Il ajoute « ce sont 200 hectares qui sont irrigués ». C’est le cas des champs de Khaled à Relizane qui a pu irriguer une douzaine d’hectares de blé tendre et qui estime le rendement à une trentaine de quintaux. A peine 200 hectares de céréales irrigués dans la commune, une goutte d’eau dans un océan tant les surfaces à irriguer sont grandes alors que l’eau des nappes souterraines vient à manquer en période de sécheresse.  Des nappes également utilisées par les investisseurs dans le cadre de l’Apfa pour irriguées oliviers et arbres fruitiers et des « agriculteurs itinérants » pour produire pomme de terre et oignons[8].

Conclusion

De sociale à techniciste, l’agriculture en Algérie a été politisée, notamment durant les mandats des présidents Houari Boumediène puis d’Abdelmadjid Tebboune.  Pour chacun les stratégies de développement étaient différentes. Elles ont permis de nets progrès mais elles se sont également traduites par de nombreux dysfonctionnements.

C’est notamment le cas actuellement avec la production de céréales qui n’est vue que sous l’angle de l’irrigation par le président Tebboune alors que d’autres alternatives sont possibles. Le poids de la parole présidentielle présente l’inconvénient d’annihiler toute prise d’initiative par les échelons subalternes de l’administration et plus grave au niveau des organisations professionnelles agricoles. La poursuite de cette situation dans un contexte d’accentuation des effets du réchauffement climatique rend l’avenir des producteurs de céréales de l’ouest du pays incertain.

[1] Journal de marche d’Ahmed Benzine. SNED Alger.

[2] Au début des années 1980, dans ses cours de sociologie rurale, le chercheur Youcef Sebti avait mis en cause le discours de Malek Bennabi visant au maintien de l’ordre social en milieu rural. Un ordre dominé par une bourgeoisie rurale conservatrice.

[3] Données communiquées par la presse lors de la réunion préparatoire de la moisson 2025 au niveau du Madr.

[4] Reportages de la chaîne Web Maidan News. Juin 2025

[5] Le monde

[6] Séminaire international sur le semis direct. 2010. Sétif.

[7] La vulgarisation agricole au Maghreb. 1993. Slimane Bedrani.

[8] Les entrepreneurs agricoles itinérants dans les zones arides en Algérie. Le cas de Rechaïga   https://www.foncier-developpement.fr/wp-content/uploads/2019-entrepreneurs-agricoles-itinerants-Algerie-Derderi-VF.pdf

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