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Billet de blog 15 juin 2025

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L'Algérie enfin autosuffisante en blé...

Pour la première fois depuis l'indépendance, l'Algérie ne va pas importer de blé. Un objectif des pouvoirs publics formulé par le président algérien ces dernières années et concrétisé à l'occasion de la moisson 2025. C'est le ministre de l'agriculture qui l'a annoncé en cette mi-juin "l'Algérie n'importera plus de blé dur."

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pour la première fois depuis l'indépendance, l'Algérie ne va pas importer de blé. Un objectif des pouvoirs publics formulé par le président algérien ces dernières années et concrétisé à l'occasion de la moisson 2025. C'est le ministre de l'agriculture qui l'a annoncé en cette mi-juin "l'Algérie n'importera plus de blé dur."

Il s'agit en effet de blé dur, pour lequel la production locale couvrait déjà 80% des besoin, et non pas de blé tendre. Celui-ci permet de confectionner les baguettes de pain quotidiennement consommées en Algérie. Des baguettes confectionnées à partir de farine blanche importées et dont les besoins ne cessent de croître.

Quant au blé dur, il est essentiellement utilisé sous forme de semoule pour confectionner du couscous ou des pâtes alimentaires.

Les résultats annoncés en matière de blé dur ont été obtenus par le développement des surfaces sous pivot d'irrigation en plein désert et par l'apport traditionnel des surfaces au nord du pays. Les premières contribuant pour 3 millions de quintaux et les secondes pour 30 à 40 millions de quintaux selon les années.

Au sud, les rendements moyens sont de 45 à 50 quintaux, tandis qu'au nord ils sont de 17 quintaux. Au sud ce qui est appelé "l'agriculture saharienne" mobilise des moyens énormes. A des distances de 1 500 km d'Alger il s'agit de forer des puits, monter les immenses armatures des pivots pouvant irriguer des parcelles circulaires de 40 hectares , transporter les engrais fabriqués dans des usines situées au nord puis étendre le réseau électrique indispensable pour alimenter en énergie les pompes immergées dans les forages qui fonctionnent "7 jours sur 7" selon le responsable d'une coopérative de services à Biskra.

Au sud, ce ne sont pas des agriculteurs, mais des investisseurs qui ouvrent ces "fronts pionniers". Ils sont attirés par les larges subventions étatiques mais également par l'accès au foncier agricole qu'a permis la loi de 1983 sur l'accession à la propriété foncière agricole (APFA).

Blé, en un combat douteux

 Depuis longtemps, la production de céréales en Algérie (blé dur, blé tendre, orge) relève d'un type d'agriculture qualifié "d'agriculture minière". Démarrée lors de la colonisation avec l'introduction de la charrue en acier et de la traction mécanique, il a été permis aux colons d'exploiter le riche humus emmagasiné dans le sol. Un sol que l'araire du fellah ne faisait qu'égratigner.

Après l'indépendance, on aurait pu penser au développement d'un agriculture tenant compte de la nécessité de préserver l'humus du sol. Mais cela n'a jamais été le cas. Jusqu'à ce jour les charrues retournent le sol et la paille est exportée pour l'élevage. Les parcelles de chaumes de blé sont louées à prix d'or aux éleveurs empêchant tout maintien de la fertilité des sols et notamment un meilleur emmagasinement de l'eau.  Dans de telles conditions, seules les racines et la matière organique qu'elles contiennent échappait à la dent des moutons. Mais c'est sans compter avec la charrue. En retournant le sol et en favorisant son oxygénation, cette matière organique qui échappait aux moutons se trouve rapidement minéralisée.
Au nord, c'est donc sur des sols avec une faible fertilité que se poursuit la culture des céréales. Et la flambée des prix des moutons dans un pays où existe la "fête du mouton" avec l'Aïd el Kébir, n'est pas prête d'inverser le cours des choses. Récemment un fellah de la wilaya de Tiaret témoignait de la sécheresse qui a anéanti la culture de blé dans l'ouest algérien, limitrophe du Maroc "ceux d'entre-nous qui cultivent des céréales et élèvent des moutons peuvent penser s'en sortir. Mais pas ceux qui ne cultivent que du blé".

Le drame est, qu'en dépit des centaines d'ingénieurs agronomes formés chaque année, les services agricoles n'ont pas été en la mesure de proposer des alternatives permettant d'associer de façon harmonieuse l'élevage du mouton à la culture des céréales. Et de façon étonnante,  au niveau de la partie des domaines auto-gérés aujourd'hui transformés en fermes pilote d'Etat, les gestionnaires perpétuent cette agriculture minière alors que des alternatives existent sous forme "d'agriculture de conservation",  En ce moment, le mouton obèrent la production actuelle et future des céréales. Des sols peu fertiles ne peuvent assurer de bonnes récoltes. Plus grave, ils n'ont pas la capacité aux choc des gouttes d'eau des pluies automnale. Résultat, une érosion des sols qui finissent par ce déposer dans les lacs de barrages réduisant chaque année leurs capacité d'emmagasinement de l'eau nécessaire aux villes. En zone steppique le pâturage anarchique et le labour de ces sols légers se traduit par un autre type d'érosion: l'érosion éolienne bien connue des Parisiens. En effet, ce sont les limons nourriciers de ces sols qui s'envolent sous forme de "vents de sable" et atterrissent sur les vitres de leur voiture.  

Au sud, arroser le sable

Au sud la croyance en une ressource inépuisable en eau dans le sous sol du Sahara entretient l'idée d'un Algérie riche en moyens naturel. Dans l'opinion publique le mythe colonial de "l'Algérie grenier de Rome" reste tenace. Cet argument d'après 1830 a, en fait, servi à déposséder les tribus de leur terre. "Grenier de Rome", que transforment certains sur les réseaux sociaux algériens en "Algérie, grenier de l'Europe".

Pour produire du blé au Sahara l'eau est pompée dans les nappes. Mais du fait des prélèvements incessants l'artésianisme a pratiquement disparu au Sahara. Mohamed Heddjadj, pionnier en matière d'agriculture saharienne à El Ménia témoigne dans la presse locale "quand j'ai commencé, l'eau affleurait à la surface du sol. Aujourd'huin il faut aller la chercher à plusieurs dizaines de mètres en profondeur". 

Dans le Touat et ailleurs, une étude a montré que certains champs circulaires étaient abandonnés au bout de quelques années. En cause, la croûte de sel affleurant sur le sol et le rendant stérile. Un sel apporté par l'eau d'irrigation et qui reste en surface du fait de l'absence de pluies suffisantes pour permettre son lessivage en profondeur. Qu'importe, les investisseurs déplacent leurs pivots, le désert est vaste...

Comme au nord, dès la récolte les pailles sont vendues à prix d'or. Déjà pauvres, ces sols sahariens ne gagnent pas en fertilité. L'eau et les engrais sont très peu retenus dans ces sols contenant une proportion plus ou moins grande de sable. Aussi, il faut doubler les apports d'engrais azotés, les nitrates n'étant pas retenus. Venus de 1 500 km les engrais azotés sont très convoités. Certains investisseurs en revendent même une partie.

Les investisseurs apprennent sur le tas : choix des concessions agricoles au sol et profondeur de la nappe d'eau, variétés à semer, dose et rythme des apports d'engrais. Les progrès sont sensibles et certains arrivent à des rendements de 70 quintaux.   

Truffes blanches et maïs ensilage

 Très tôt Mohamed Heddjadj a planté du maïs comme les services d'Etat lui proposaient. Le but étant de réduire les 4 millions de tonnes de maïs nécessaires à l'élevage avicole du pays. Une viande plus accessible pour les ménages à faible revenu. Cependant, à la vue de l'immense biomasse produite par le maïs, en tant qu'éleveur, il s'est dit que cela pourrait faire du fourrage pour son cheptel au lieu de produire des grains de maïs. Ayant entendu parler d'ensilage, il a fait appel à un entrepreneur en travaux agricoles et a fait conditionner la récolte sous forme d'ensilage dans des balles rondes enrubannées. Le succès a été immédiat. En quelques années, la région est devenu un pôle laitier en plein désert. Mieux, il s'agit du premier pôle laitier étant arrivé à une "autonomie fourragère".

Dans une concession voisine, un investisseur nourrit ses brebis et dromadaires des fourrages produits sous pivot. Il souhaite en acquérir 20 pour élever 10 000 brebis et inonder le nord du pays de viande.

 Le président Tebboune a rappelé que l'objectif était de produire des céréales et du maïs considérées comme "cultures stratégiques". Mais certains investisseurs ont une autre stratégie. Avec les brebis, l'investisseur développe la culture des truffes blanches. Un produit qui fait fureur dans les monarchies pétrolières et qui est exporté par avion; l'Etat subventionne les exportations à raison de 50% des frais de transport. Aujourd'hui la truffe algérienne fait fureur à l'étranger.

En 2024, le président algérien a rappelé la priorité à donner au maïs grain par rapport au maïs ensilage. Il est beaucoup rémunérateur, car vendu sur le marché libre. Puis, sa culture se pratique après celle du blé. En une campagne agricole, les investisseurs produisent deux récoltes. Le ministre de l'agriculture a averti les investisseur. A Ménia, suite à un refus poli de la part des investisseurs expliquant qu'il s avaient investi dans du matériel spécifique, il a confiait à la presse que dans la région de Timimoun l'accent serait mis sur le développement du maïs grain.

En une longue marche

  L'autonomie annoncée en blé dur montre le volontarisme des pouvoirs publics en Algérie. Elle témoigne d'une volonté de développement économique. L'agriculture saharienne est également une forme de redistribution de la rente liée à l'exploitation des hydrocarbures, même si tous n'ont pas la possibilité d'y accéder. Le responsable de l'office de distribution des terres (ONTA) a mis en garde :"les concessions ne sont destinées qu'aux investisseurs ayant les moyens d'engager leur mise en valeur".

La priorité est accordée à l'agriculture saharienne. Dans le cas des céréales, l'effort de recherche-développement sur l'association blé-mouton est inexistant. Il remet en jeu la viabilité économique de nombreuses exploitations familiales comme c'est le cas à Oued Lili (voir notre article).

Pour produire plus de blé dur, l'Algérie fait appel à des partenaires italiens comme Bonifiche Ferraressi. La filière céréales française pourrait jouer un rôle pour le développement la culture durable du blé en Algérie. Les deux rives ont à y gagner car au vu des besoins en pain, l'Algérie restera toujours dépendante du blé tendre.

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