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Billet de blog 4 janvier 2013

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Tunisie : La punition continue du bassin minier de Gafsa

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Tunisie : La punition  continue du bassin minier de Gafsa

Vendredi 4 Janvier 2013

Par Abderrazak Lejri *  

L’exclusion par Ennahdha des martyrs de Redeyef du décret-loi N° 97

Les députés du  parti islamiste Ennahdha ont voté en bloc contre l’inclusion des martyrs et blessés de Redeyef dans le décret-loi  N° 97 –qui soit dit en passant a été établi par M Fouad MBAZAA président par défaut après la chute du dictateur -relatif aux martyrs de la révolution (limitant  la période de début au 17 décembre 2010 date de l’immolation de feu Mohamed Bouazizi)  sous le fallacieux prétexte qu’ils seront concernés par les dispositions ultérieures de la justice transitionnelle qui n’est qu’une mascarade vénale pour indemniser en premier lieu les islamistes.

Comme l’a signalé Adnane Hajji,  leader syndical de Redeyef lors de la marche qui eut lieu le 31 décembre 2012 à Gafsa, la révolution du 17 décembre 2010-14 janvier 2011 n’aurait  jamais pu advenir si l’enchainement des mouvements protestataires déclenchés le 5 Janvier 2008 à Redeyef –qui sera commémoré  demain samedi - n’avaient pas gagné par effet de contagion Fériana dans le gouvernorat de Kasserine pour aboutir in fine à Sidi Bouzid puis s’étendre à tout le pays.

Ce n’est donc pas un caprice corporatiste régionaliste mais une question de principe non négociable de reconnaissance devant l’Histoire surtout après les promesses non tenues du Ministre des affaires sociales, du gouverneur de la région et d’autres députés.

Au-delà des compensations exigibles et attendues,  les citoyens de Redeyef se soulèvent encore aujourd’hui   pour la symbolique de leur exclusion de la reconnaissance en tant que principaux contributeurs à l’ avènement d’une révolution qu’ils étaient les premiers à initier quand d’autres se terraient comme des rats ou négociaient une trêve ou un compromis avec le dictateur Ben Ali à l’occasion de la campagne électorale de 2009 (pour rappel c’est à Redeyef que les panneaux électoraux Ben Ali 2009 ont été déchirés et remplacés par « Ben Ali 2080 ou Ben Ali 2500 »)

Il est anecdotique de rappeler au passage que la région de Redeyef a été une des rares à contester le changement de 1987 amenant Ben Ali au pouvoir le désignant pour ce qu’il était : un coup d’état !

Rappel  du soulèvement  à Redeyef  et de la féroce répression dans un blocus réel et médiatique

Certains députés de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) doivent relire l’histoire pour découvrir comment en six mois de blocus depuis janvier 2008 toute la ville de Redeyef a subi une féroce répression de la police de Ben Ali et de l’armée quand des milliers d’éléments des forces de l’ordre précédés par des blindés et aidés par les milices du RCD (Parti du président déchu) ont procédé à un ratissage guerrier en recourant à des arrestations violentes et musclées sans autre forme de procès, à des brutalités au sein même des foyers, à des enlèvements, à des tabassages en règle et jusqu’aux  tirs à balle réelle faisant plusieurs victimes, le tout se traduisant par plus de 300 procès., 

Il faut mentionner que les premières motivations de ces soulèvements dénonçaient les pratiques de corruption lors de l’embauche à la CPG (Compagnie des Phosphates de Gafsa)  et clamaient tout haut dans un silence assourdissant des médias nationaux dont les officiels d’entre eux,  les revendications de justice sociale, de droit au travail et à la dignité, ceux là  mêmes qui ont été mis en avant dès le 14 Janvier 2011.

En ce temps là, à  part les dénonciations par les militants de la société civile, la ligue Tunisienne des droits de l’homme (LTDH), le comité pour le respect des libertés et des droits de l’homme en Tunisie (CRLDHT), les évènements sont restés confidentiels, n’auraient été les relais internationaux tel que le CSPBM –Paris (Comité de Soutien aux Habitants du Bassin Minier de Gafsa).

Durant  six mois, en catimini, la répression était si féroce que certains habitants étaient obligés comme le faisaient leurs ancêtres les fellagas – de se réfugier dans les montagnes limitrophes allant  jusqu’ à la désertion groupée pour briser  l’encerclement étouffant après avoir épuisé toutes les formes de lutte : grève de la faim , grève générale, sit-in, etc..

La punition collective d’une région potentiellement riche

Il est inscrit dans l’histoire que la région qui a fourni à la Tunisie d’authentiques résistants lors de l’occupation Française tel Lazhar Cheraïti ou Abdellaziz El Akremi martyr du soulèvement de 1962 (qui sera inhumé au carré des martyrs à Gsar Gafsa ce dimanche 6 janvier 2013) doit continuer la nécessaire lutte contre l’injustice face au pouvoir central.

Le baume qu’a représenté l’embauche des jeunes diplômés chômeurs  au sein de la CPG ne présente qu’une régularisation des départs à la retraite datés de 2007 qui sont d’ailleurs à l’origine des soulèvements de 2008 n’a pas fait dévier les citoyens de tout le bassin minier de leur revendication principale à savoir  qu’au moins 20 % des revenus du phosphate soient  réinvestis dans la région comme s’y est engagé le Président Marzouki dans un meeting à Gafsa où il a rappelé l’exemple similaire de l’effort consenti par l’office chérifien du phosphate au Maroc .

Dans cette région qui est un véritable «scandale géologique», d’éminents spécialistes ont mis en exergue les immenses richesses minérales et substances utiles du sol et sous-sol en argiles rares, silices nobles et pierres marbrières,  lors  de la journée du 5 juin 2012 tenue à l’invitation du président Marzouki et en sa présence quand les élus et cadres de la région ont débattu de la «valorisation des richesses naturelles de Gafsa » en présence d’une brochette de ministres dont le ministre de l’industrie Chakhari.

A cette occasion, le gouverneur nahdhaoui avait annoncé solennellement devant l’assistance que l’étude du projet de cimenterie d’El Guettar Gafsa était bouclée et que le début des travaux ne saurait excéder 2 à 3 mois, promesse non encore tenue à ce jour.

Le détournement du projet de cimenterie de El Guettar Gafsa

La genèse du projet initial remonte pourtant à 1973,ce dernier ayant été repris par les Américains en 1992 puis en 2003 par une nébuleuse espagnole du nom d’ARICAM sous l’impulsion d’un ingénieur géologue Tunisien de la CPG ayant exercé à Redeyef de 1998 à 2003

Le projet avait  été remis sur le tapis en 2006 lors de la création de Carthage Cement  quand des hommes d’affaires véreux avec la complicité de M Belhassen Trabelsi gendre du président déchu vont monter une société fictive pour en céder les parts à prix d’or aux espagnols.

Depuis 2009  un consortium Espano-portugais avec des associés Tunisiens nommé GARCA Capital reprennent le projet  sous le nom de «CIMENT DE LA MEDITERRANEE GAFSA» avec des attributs qui en font une unité de taille :Capital 400 Millions de dinars, production 100 000 T dont 30 % sont destinés à l’export, avec à la clé 2000 emplois et des  procédés écologiques

Les citoyens de la région viennent de dénoncer les élucubrations empêtrées du ministre de l’industrie pour justifier le détournement du projet de cimenterie d’El Guettar Gafsa (qui nous rappelle la polémique au sujet du gaz de schiste) par un trio de ministres de la troïka en faveur d’un projet similaire à Médenine monté par le neveu du Ministre du développement .

Voilà comment, les islamistes -supposés propres sur eux et craignant Dieu-usent d’un pouvoir transitoire pour faire feu de tout bois dans une posture qui n’a d’égal que la cupidité gloutonne des Trabelsi.

Depuis début 2011 et jusqu’ à nos jours, les citoyens d’El Guettar-Gafsa ne cessent de dénoncer ces dérives face à un gouvernement autiste dont certains  membres affairistes véreux veulent faire main basse sur les richesses du pays en une seule mandature  battant le record des Ben Ali –Trabelsi en 23 ans de pouvoir.

Les facteurs favorisant  d’autres soulèvements.

Deux ans après le déclenchement de la révolution, si dans de rares secteurs ou contrées, des signes d’apaisement commencent à être perceptibles, il n’en est pas de même dans cette région où règne un véritable climat d’insurrection et de désobéissance civile, où tous les indicateurs et  acquis ont régressé, la pollution devient intolérable, la sous-traitance est revenue avec des prête-noms dans le domaine du transport du phosphate par camion, où la problématique de l’eau fait peser de sérieuses menaces imminentes sur l’oasis et où la population ne comprend pas qu’on puisse annuler une ligne aérienne opérationnelle depuis 1968.

Loin des tractations politiciennes en cours pour le partage du pouvoir, le syndicaliste Adnane Hajji dans sa coutumière diatribe anti-Nahdha   à l’occasion de la grève générale d’hier à Redeyef  a fustigé la continuelle injustice que subit la population de la région de la part d’un gouvernement dont il a souligné la duplicité, l’incurie et l’échec.

Hamma Hammami du front populaire le rappellera certainement lors du meeting qui aura lieu à Gafsa le 6 janvier : Aucun projet ultralibéral à base spéculative ne pourra passer : Ni celui d’Ennahdha ni celui de Nida Tounès, mouvement créé par Béji Caïd Essebsi  (ancien premier ministre) qui tous les deux n’ont qu’un objectif unique et identique : Faire main basse sur la machine RDC (Rassemblement Constitutionnel Démocratique, ex parti de Ben Ali démantelé juridiquement mais dont les cellules souterraines ne demandent qu’à resservir ) notamment ses bases locales pour gagner les prochaines élections!

 *Citoyen natif de Gafsa

http://blogs.mediapart.fr/blog/abderrazak-lejri

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