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Billet de blog 12 septembre 2012

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Tunisie : Le bassin minier de Gafsa aura-t-il raison de la contre-révolution?

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Tunisie : Le bassin minier de Gafsa aura-t-il raison de la contre-révolution ? 

Mardi 12 Septembre  2012

La révolution a mis à nu les dérives et la corruption au sein de la Compagnie des Phosphates de Gafsa (Cpg), le principal employeur dans le bassin minier des Gafsa, Une bombe à retardement..

Par Abderrazak Lejri  & Lakhdhar Souid*

La Compagnie des Phosphates de Gafsa (CPG) n’a pas échappé aux tentacules de la pieuvre de corruption de l’ancien régime dès qu’ils ont repéré les bénéfices mirobolants qui pouvaient être détournés par le truchement de marchés truqués via le mécanisme de la sous-traitance favorisé par la concussion d’une direction générale et des intermédiaires aux ordres.

 La spoliation institutionnalisée revenue au galop

Juste après le 14 janvier 2011,  l’une des premières revendications de la révolution fut le bannissement de la sous-traitance notamment dans le secteur public qui a été manipulée et dénaturée par le pouvoir déchu pour arroser ses obligés –constitués en mafia véreuse- par des milliards échappant à la concurrence tout en précarisant des milliers d’emplois précaires sous la forme d’un nouvel esclavage.

Les soulèvements des employés temporaires des sous-traitants pour la réintégration de leurs entreprises d’origine (CPG, TUNISAIR, et j’en passe) avec l’appui de l’UGTT (Union Générale des Travailleurs Tunisiens) n’a pas tardé à porté ses fruits, mais malheureusement les démons de la spoliation institutionnalisée ont subrepticement ressurgi et les mauvaises habitudes sont revenues au galop.

En mai 2011,  un des auteurs du présent billet avait traité de l’effet des retombées néfastes de la cessation de la sous-traitance –mesure par essence antiéconomique- et comment elle  fut utilisée en tant que simple intermédiation par une nébuleuse mafieuse tissée par la famille du pouvoir de Ben Ali et de ses hommes de main dans le bassin minier.

Au-delà du problème de la CPG -devenu l’abcès de fixation de toutes les revendications dans la région de Gafsa- ont été mis en exergue la démission et la permissivité de l’état et la spoliation des richesses de la région en faveur des régions habituellement privilégiées  sans contrepartie ou alternative de développement.

 Une importante marche antigouvernementale est venue le rappeler ce dimanche 9 septembre à Gafsa.

Les pertes astronomiques de la CPG

Juste après la révolution, concomitamment aux vagues de perturbation jusqu’à la paralysie de l’activité extractive et de lavage notamment à Metlaoui, le blocage de l’activité des sociétés de transport  du phosphate a creusé les immenses pertes de la CPG, cette dernière  ayant été acculée à indemniser les agents de transport  inactifs et à négocier le rachat des centaines d’engins coûteux  en filialisant ladite activité par la création de la  STTPM sans expertise préalable approfondie (Société Tunisienne de Transport des Produits Miniers).

Cette société, qui emploie 1200 personnes et dispose d’un parc hétérogène de 250 camions et 80 engins et dont beaucoup sont  inopérants serait incapable vu la vétusté de celui-ci  et l’absence de procédures rodées de maintenance, d’assurer plus de 40 % du transport entre les carrières (mines à ciel ouvert) et les usines  pour pouvoir prétendre au marché de l’acheminement du phosphate vers Sfax ou Gabès estiment certains cadres de la Cpg.

Le sempiternel problème du transport ferroviaire

Dans toute la Tunisie,  le rail et l’importance du réseau ferroviaire dont l’évolution est universellement considérée comme un indicateur de développement sont  en recul.

La Société Nationale des Chemins de Fer Tunisiens (Sncft) a eu une vision défaillante et n’a pas joué son rôle pour l’amélioration du réseau hérité de la période coloniale: ce dernier n’a pas connu une normalisation de la voie métrique vers la voie normale, de dédoublement des voies, de signalisation suffisante, d’électrification et une extension du réseau en rapport avec le fort développement du trafic  marchandises (Voir ce qu’en a écrit l’association ADS dans son ouvrage paru en octobre 2011) . la CPG en paye aujourd’hui les frais.

Ainsi, pour ce qui est du transport ferroviaire du phosphate (qui reste le moyen le plus approprié et le moins coûteux),  les problèmes sont dus en premier lieu aux difficultés endogènes à la  SNCFT pour insuffisance de personnel et de moyens matériels ce qui ne permet guère d’assurer le transport de la moitié de la production.

On estime qu’ en  moyenne l’activité de transport ferroviaire du phosphate est assurée uniquement par 8 trains par jour sur les 15 escomptés en situation normale pour transporter les 1400 à 2000 tonnes /jour sur les deux lignes 13 et  21 vers respectivement Sfax et Gabès (environ quarante wagons de 40 tonnes), la Cpg étant acculée à recourir au transport par camion (au tarif de 20 dinars la tonne au lieu de 5 dinars la tonne par voie ferrée) creusant davantage le déficit de son résulta.

S’y ajoute le facteur aggravant de l’insécurité due aux blocages occasionnés par les mouvements sociaux souvent dans les bourgs se trouvant sur la voie ferrée vers Sfax et Gabès où certains irresponsables ont  été jusqu’à utiliser des chalumeaux pour porter à fusion les barres de rail afin d’ empêcher le passage des trains.

Aucun citoyen digne de ce nom  ne peut acquiescer à ces agissements délictueux des sit-inneurs économiques qui  sont quelques fois manipulés mais l’opinion publique aurait été sans ambages du côté du gouvernement si les ministres de l’intérieur et de la justice -bridés par leur guide Ghannouchi Président du parti Ennahdha- montraient moins de mansuétude envers leurs affidés salafistes et leurs ultras qui commettent en toute impunité des dépassements bien plus intolérables contre les biens et les personnes.

Des esprits malins suggèrent à penser que les trois sociétés bénéficiaires du marché du transport terrestre du phosphate seraient derrière les sit-in sur les voies ferrées pour garantir une situation de rente juteuse dans le cadre de deux contrats de transport de 1 million de tonnes chacun..

Le retour en catimini des sociétés de sous-traitance 

Depuis plusieurs mois, la ville de Gafsa est traversée par une noria de gros camions neufs chargés de phosphate –souvent non bâchés- appartenant  à de nouvelles  sociétés de sous-traitance gérées en sous-main dit-on par d’ anciens rcdistes notoires qui se seraient coalisés pour récupérer une manne dont les soubresauts de la révolution les a momentanément privés.

L’ encombrement de la circulation  du au retard qui entache la finalisation de la rocade devant contourner la ville commence à exacerber la population du centre urbain  où -déjà sans cela- la circulation est kafkaïenne et  la nuisance et les risques qu’occasionnent la traversée de l’unique  radiale de la cité par ce défilé de camions dont les tournées peuvent atteindre plus de 500  par jour ont atteint des sommets,.

Ajoutés  à cela les dégâts occasionnés à la chaussée, le forcing et l’appât du gain entrainant des chargements de 40 tonnes au lieu de 25 par voyage et la transgression du cahier des charges signé avec la Cpg régissant  les modalités de ce transport.

Ce n’est qu’à Oum Lârayes où l’usine n’ayant  fonctionné que 4 jours depuis le début de l’année,  que la contestation empêche tout mouvement de camion vers la laverie située en pleine ville,

Une frange de la population estime que  la Cpg et le Groupe Chimique de Tunisie (Gct)  après avoir supporté les coûts faramineux de cessation de la sous-traitance (réintégrations du personnel, indemnisation des sociétés de sous-traitance, arrêts récurrents du transport….) viennent de renouer avec les pratiques mafieuses non transparentes d’enrichissement illicite de nouveaux vautours  (souvent pourvoyeurs de rétro-commissions) au lieu de renforcer les capacités de la filiale STTPM.

Le Gouverneur de la région et la  direction générale aux ordres laissent  faire arguant que les usines à Gabès, Sfax, Skhira et M’dhilla doivent continuer à fonctionner pour un impératif vital d’honorer leurs engagements envers des clients à l’export, mais la population n’a pas à choisir entre développement et impératifs environnementaux.

Le saut dans l’inconnu

A ces problèmes, il faut  ajouter le fait que la proclamation des résultats définitifs aux concours devant voir l’intégration officielle de 2 600 personnes sur 28 000 candidats a été différée au 12 Septembre par crainte de troubles.

Sans vouloir jouer à Cassandre,  on peut estimer que cela ne se passera pas obligatoirement dans la sérénité et personne ne peut prévoir comment se passera la transition managériale à la tête du groupe Cpg-Gct- lors du remplacement du Pdg actuel qui connaît l’entreprise pour y avoir exercé longtemps et qui devrait faire valoir ses droits  à le retraite en novembre prochain. Ce qui représente  un problème supplémentaire  qui s’ajoute à l’agenda du gouvernement actuel de la troïka qui n’est focalisé que sur les préoccupations électoralistes, laissant de côté le  développement socio-économiques relégué aux calendes grecques.

 Quand le dogme prime le socio-économique

Le climat insurrectionnel qui prévaut dans la région, nourri par les maintes promesses mirobolantes non tenues de rupture avec le schéma de développement du passé,  n’a pas encore profité de l’occasion inouïe offerte par l’avènement d’une révolution qui a été récupérée –en détournant le débat vers les problématiques identitaire, sociétale et religieuse-par des apprentis-politiciens cupides et opportunistes auxquels manque le sens de la nation, de d’état et de l’histoire.

Les  populations marginalisées de GAFSA  sont profondément écœurées par les élucubrations et les dérives des élites notamment  celles du parti islamiste Ennahdha  qu’une victoire à la Pyrrhus a grisées jusqu’à l’aveuglement  les amenant  à occulter et à se détourner des véritables causes, enjeux et objectifs des soulèvements populaires  que sont l’injustice, le chômage des jeunes, la précarité et le déséquilibre régional qui ont été les principaux facteurs du déclenchement de la révolution dont la première étincelle a éclaté à Redeyef en 2008,

La chose économique requérant plus de compétence que l’énoncé des préceptes dogmatiques ou religieux et l’instillation de la discorde accompagnés de menaces et d’agressions, le gouvernement de la coalition actuelle avec sa composante dogmatique  islamiste, n’ a pas réussi à cacher l’échec patent  de son action sur la majorité des dossiers.

Ce parti –qui a méprisé et humilié jusqu’à ce jour l’opposition démocratique désunie et  sans grands moyens  et  qui a mené avec arrogance une guerre frontale contre toutes les franges des populations, leurs libertés, leurs institutions, leur mémoire  et  leurs acquis - commence à paniquer sérieusement depuis que pointent à l’horizon et prennent forme et consistance des forces d’opposition structurées (mais non  exemptes de reproches) tel que le mouvement Nida Tounès menacant son maintien  au pouvoir. Et il y a fort à parier que c’est dans ces contrées –bastion historique de la résistance contre la colonisation puis contre la dictature menées par d’illustres figures-  que  la contre-révolution échouera.

* Citoyens natifs de Gafsa

http://blogs.mediapart.fr/blog/abderrazak-lejri

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