Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
Paragraphe 1er : Provocation aux crimes et délits.
Article 24
- Modifié par Loi n°2004-1486 du 30 décembre 2004 - art. 20 JORF 31 décembre 2004
- Modifié par Loi n°2004-1486 du 30 décembre 2004 - art. 22 JORF 31 décembre 2004
Seront punis de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article précédent, auront directement provoqué, dans le cas où cette provocation n'aurait pas été suivie d'effet, à commettre l'une des infractions suivantes :
1° Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne et les agressions sexuelles, définies par le livre II du code pénal ;
2° Les vols, les extorsions et les destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, définis par le livre III du code pénal.
Ceux qui, par les mêmes moyens, auront directement provoqué à l'un des crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation prévus par le titre Ier du livre IV du code pénal, seront punis des mêmes peines.
Seront punis de la même peine ceux qui, par l'un des moyens énoncés en l'article 23, auront fait l'apologie des crimes visés au premier alinéa, des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou des crimes et délits de collaboration avec l'ennemi.
Seront punis des peines prévues par l'alinéa 1er ceux qui, par les mêmes moyens, auront provoqué directement aux actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal, ou qui en auront fait l'apologie.
Tous cris ou chants séditieux proférés dans les lieux ou réunions publics seront punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 5° classe.
Ceux qui, par l'un des moyens énoncés à l'article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende ou de l'une de ces deux peines seulement.
Seront punis des peines prévues à l'alinéa précédent ceux qui, par ces mêmes moyens, auront provoqué à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap ou auront provoqué, à l'égard des mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal.
En cas de condamnation pour l'un des faits prévus par les deux alinéas précédents, le tribunal pourra en outre ordonner :
1° Sauf lorsque la responsabilité de l'auteur de l'infraction est retenue sur le fondement de l'article 42 et du premier alinéa de l'article 43 de la présente loi ou des trois premiers alinéas de l'article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, la privation des droits énumérés aux 2° et 3° de l'article 131-26 du code pénal pour une durée de cinq ans au plus ;
2° L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal.
Pour la Cour de cassation, la liberté d’expression n’autorise pas l’appel au boycott des produits israéliens.
29 octobre 2015 Ghislain POISONNIER, MAGISTRAT
La chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu le 20 octobre 2015 un arrêt selon lequel la liberté d’expression n’autorise pas l’appel au boycott des produits israéliens, qui dès lors constitue un délit punissable en France.
Neuf militants de la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) avaient formé un pourvoi en cassation contre l’un des deux arrêts rendus par la Cour d’appel de Colmar le 27 novembre 2013. Rejetant le pourvoi des militants condamnés, la Cour de cassation a jugé que l’appel lancé aux consommateurs par des militants associatifs à ne pas acheter des produits israéliens constitue bien un délit – celui d’appel à la discrimination nationale – et que la condamnation prononcée par la Cour d’appel de Colmar était donc conforme au droit.
Rappelons que ces militants avaient participé à une action BDS en 2010 dans un supermarché dans la région de Mulhouse. Ils y avaient proféré des slogans, distribué des tracts et porté des vêtements appelant au boycott des produits israéliens. Poursuivis par le procureur, ils avaient été relaxés en première instance par le tribunal correctionnel de Mulhouse le 15 décembre 2011. L’arrêt de la Cour d’appel de Colmar les avait néanmoins reconnus coupables de l’infraction de provocation à la discrimination nationale. L’infraction retenue était celle prévue par l’article 24 alinéa 8 de la loi de 1881 sur la presse qui réprime d’un an d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende quiconque qui aura « provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Il s’agissait ici spécifiquement de la provocation (par tous moyens, écrits, slogans, port de vêtements etc.) à la discrimination envers les producteurs et fournisseurs de biens (considérés comme un « groupe de personnes ») à raison de leur appartenance à la nation israélienne.
Le recours à un tel texte – conçu en 1972 pour lutter contre les discriminations dont sont victimes les personnes physiques et en aucun cas pour interdire les appels pacifiques au boycott de produits issus d’un État dont la politique est critiquée – semblait pourtant heurter la règle de l’interprétation stricte du droit pénal. Il semblait également être en contradiction avec l’exigence de prévisibilité de la norme pénale, la lecture dudit texte ne permettant guère à un citoyen de se douter que les propos tenus relatifs au boycott peuvent être répréhensibles. Et ce d’autant plus que les exemples ne manquent pas de citoyens, d’associations, d’artistes, d’intellectuels et mêmes de responsables politiques ayant appelé dans un passé récent à boycotter les produits en provenance d’un Etat violant les droits de l’homme (Afrique du Sud de l’apartheid, Rhodésie, Russie, Chine, Iran etc).
Pour la Cour d’appel de Colmar, peu importe que les militants en question soient membres d’une association et répondent à un mot d’ordre national et international de boycott des produits israéliens ; peu importe que ladite association condamne fermement toute forme d’antisémitisme et de racisme et rejette sans équivoque le boycott des personnes ; peu importe que l’action engagée dans le supermarché ait été totalement pacifique, sans aucune dégradation ou voie de fait et en l’absence de plainte du magasin ; peu importe que la liberté de commercer de tous les acteurs concernés – consommateurs, vendeurs et producteurs – ait été préservée ; peu importe encore que les militants agissent en vue d’obtenir le respect du droit international par les autorités israéliennes ; peu importe enfin que certains produits israéliens soient frauduleusement étiquetés (puisque provenant des colonies israéliennes illégales au regard du droit international) et les consommateurs ainsi trompés. L’arrêt du 27 novembre 2013 indiquait : « la provocation à la discrimination ne saurait entrer dans le droit à la liberté d’opinion et d’expression dès lors qu’elle constitue un acte positif de rejet, se manifestant par l’incitation à opérer une différence de traitement à l’égard d’une catégorie de personnes, en l’espèce les producteurs de biens installés en Israël ». Plusieurs juridictions du fond, dont la Cour d’appel de Paris, avaient jugé exactement l’inverse, à savoir que l’appel au boycott des produits israéliens est couvert par la liberté d’expression dans une société démocratique, s’appuyant ainsi sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg (voir aussi). D’où l’idée, dans le cadre du pourvoi en cassation, de s’appuyer sur le droit européen.
Le pourvoi soutenait que le texte de l’article 24 alinéa 8 de la loi de 1881 sur la presse ne pouvait pas être appliqué à des militants appelant au boycott de produits issus d’un Etat dont la politique est critiquée, car cela violerait leur droit à la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. En clair, il était demandé à la Cour de cassation de juger que la loi nationale (l’article 24 alinéa 8 de la loi sur la presse) devait être écartée ici en raison de sa contrariété au droit européen qui lui est supérieur (l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme).
L’arrêt du 20 octobre 2015 considère qu’il n’y a pas de contrariété entre les deux normes telles qu’appliquées au cas d’espèce. Pour la Cour de cassation, les appels au boycott des produits israéliens peuvent être interdits pénalement au nom de « la défense de l’ordre » et de « la protection des droits d’autrui », deux limitations expressément prévues par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, la liberté d’expression n’étant pas un droit sans limite. Par « la défense de l’ordre », il faut entendre par là la défense de l’ordre public afin d’éviter des troubles possibles ou des problèmes de sécurité. Par « la protection des droits d’autrui », il faut entendre par là la protection des droits des producteurs et fournisseurs de biens israéliens.
Cependant, force est de constater que ces limitations ont été avancées par la Cour de façon péremptoire et appliquées à des militants pacifiques s’exprimant sur un sujet d’intérêt général et international majeur sans aucune véritable prise en considération des impératifs liés au débat démocratique et sans aucune mise en balance des intérêts en jeu. En quoi l’action pacifique menée à Mulhouse a-t-elle créé un trouble à l’ordre public ou posé des problèmes de sécurité ? En quoi les droits des producteurs israéliens ont-ils été atteints – nécessitant d’agir pour leur « protection » -, alors qu’à aucun moment l’exercice du libre commerce n’a été empêché par les militants ? Et même si tel a été le cas, en quoi cela peut-il justifier cette puissante atteinte à la liberté d’expression et ainsi une telle restriction du débat démocratique sur un sujet d’intérêt public ? La Cour de cassation ne fournit aucune indication à ce sujet, pas plus d’ailleurs que la Cour d’appel de Colmar … Il faut espérer que la Cour européenne des droits de l’homme soit saisie de cette affaire pour clarifier ces éléments. Sa jurisprudence, traditionnellement plus protectrice de la liberté d’expression que celle de la Cour de cassation, donne espoir à tous ceux qui sont choqués par une décision qui isole totalement la France.
Avec cet arrêt du 20 octobre 2015, notre pays devient le seul Etat au monde – avec Israël – à pénaliser les appels citoyens à ne pas acheter de produits israéliens. Dans tous les grands pays démocratiques, les demandes répétées du gouvernement israélien de pénaliser les appels au boycott ont été rejetées, au nom de la liberté d’expression, de la nécessité d’un débat démocratique (pouvant nécessiter de la controverse) sur des sujets internationaux et du respect de la vie associative. Cette pénalisation à la française intervient à un moment où le mouvement boycott désinvestissement sanctions (BDS) progresse partout dans le monde, que ce soit dans les entreprises, les universités, les milieux artistiques, les églises, les syndicats, les partis politiques. Que l’on soit pour ou contre BDS comme moyen d’obtenir une solution fondée sur le droit international dans le conflit israélo-palestinien, personne à l’étranger ne conteste le caractère pacifique de ce mouvement et son droit à agir et à se développer, notamment par les appels au boycott, y compris des produits israéliens.
Ghislain Poissonnier, magistrat