Revue de l’histoire des religions
Par Michel CHODKIEWIEZ
LE PARADOXE DE LA Ka’ba
L’un de ces maîtres, Sulamî, mort au début du XIe siècle, nous rapporte un dialogue
entre Shiblî, autre soufi éminent mais du IXe siècle celui-là et l’un de ses disciples qui revenait du hajj et qui relate lui-même cette conversation.
Les questions de Shiblî portent sur tous les rites prescrits, énumérés dans l’ordre où ils doivent être accomplis par le pèlerin.
Je ne résume ici que quelques-uns de ces échanges de répliques.
LE PARADOXE DE LA Ka’ba
« Shiblî me dit :
“T’es-tu dépouillé de tes vêtements [pour revêtir la tenue d’ihrâm] ?”
Je répondis : “Oui”.
Il me dit : “T’es-tu dépouillé en même temps de tous tes actes ?”.
Je répondis : “Non”.
“Alors, dit-il, tu ne t’es pas défait de tes vêtements…”
Il dit : “T’es-tu purifié par l’ablution ?”.
Je répondis : “Oui”.
Il dit : “T’es-tu purifié ce faisant de toutes tes infirmités ?”.
Je répondis : “Non”.
“Donc, dit-il, tu n’as pas accompli l’ablution…”
Un peu plus loin, Shiblî interroge son interlocuteur sur la talbiyya, la formule rituelle :
« “Me voici, mon Dieu, me voici !”
“Lorsque tu as prononcé la talbiyya, as-tu entendu l’appel auquel tu répondais ?”
“Non.” “Alors tu n’as pas prononcé la talbiyya.”
“Lorsque tu es entré dans la Mosquée, es-tu entré dans la Proximité divine ?”
“Non.” “Alors tu n’es pas entré dans la Mosquée.”
“Lorsque tu as vu la Ka’ba, as-tu vu ce pourquoi on la prend pour but ?”
“Non.”
“Alors tu n’as pas vu la Ka’ba.” »
Après une série d’autres questions, Shiblî conclut :
« Tu n’as donc pas fait le pèlerinage. Recommence-le ! »
Abu-L-Ala-Al MAARI
Deux sortes de gens sur la terre :
Ceux qui ont la raison sans religion,
Et ceux qui ont la religion et manquent de raison.
973-1057
Né et mort à Ma’amat al Numan, SYRIE
Les gens voudraient qu'un imâm se lève
Et prenne la parole devant une foule muette.
Illusion trompeuse, il n'est d'imâm que la raison,
Notre guide de jour comme de nuit.
Peut‐être dans les temples se trouvent‐ils des gens
Qui procurent la terreur à l'aide de versets,
Comme d'autres dans les tavernes
Procurent du plaisir.
Les lois divines ont semé parmi nous la rancune
Et nous ont apporté toutes sortes de malheurs
Combien les maîtres sont ignorants,
Même s'ils se prétendent
Scellés dans leur savoir.
La loi de leur époque a été annulée
Ah, s'ils pouvaient s'annuler comme elle !
O monde, je t'abandonne, car tes habitants
Sont unanimes dans l'ignorance : le tyran musulman
Et ses pactisants, celui qui montre ses intentions
Et l'ambitieux qui cache son jeu
La religion commerce de morts
Pour cette raison, c'est un objet invendable
Parmi les vivants.
Le livre est devenu trompettes des égarés,
Et les versets, mélodies.
Ils en ont joué, puis dans leur infamie,
Les ont agitées comme des épées
Sur l'homme paisible qui veille
Au clair de lune.
Je ne blâme pas l'athée,
Mais plutôt celui qui, craignant l'enfer,
Persiste dans sa furie
La raison ne peut s'étonner des lois,
Qu'elles soient païennes, musulmanes,
Juives ou chrétiennes.
Vos temples et vos bordels se valent.
Loin de moi, ô genre humain !
Puissé‐je reste sous terre et ne pas me lever
Quand Dieu vous appellera à la résurrection !
Il s'est marié ; Et après la première femme,
Il en a pris trois. Il a dit à son épouse :
"Un quart de ma personne te suffira."
Si elle s'en accommode,
Il la gratifiera d'une maigre pitance,
Mais si elle se tourne vers un amant,
Il la lapidera.
Foi, incroyance, rumeurs colportées,
Coran, Torah, Evangile
Prescrivant leurs lois...
A toute génération ses mensonges Que l'on s'empresse de croire et consigner.
Une génération se distinguera‐t-elle, un jour
En suivant la vérité ?
Les Hanifs ont commis des fautes,
Les Nazaréens se sont écartés du droit chemin,
Les Juifs errent dans la perplexité
Et les mages ont été égarés.
Si le pratiquant vise la duperie
Avec sa prière,
Celui qui la néglige volontairement
Sera plus proche de Dieu.