Elie Wiesel : Les larmes des étoiles 3 juil. 2016 Par Abonnée2008 Blog : Abonnée2008
Son tombeau médiatique sera grand. Trop grand sans doute pour lui qui aurait préféré être davantage entendu de son vivant. Pas pour la gloire personnelle, pour l'honneur de l'Humanité. On imagine sa lassitude dans un monde qui voit s'amonceler tous les prémices d'une nouvelle horreur généralisée.
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Ce matin, une citation d'Elie Wiesel fait flores. Elle parle de la nécessité de prendre parti car la "neutralité" ne profite qu'aux persécuteurs. Espérons que nombre d'étourdis mondains vont lire ce qu'ils écrivent eux-mêmes, se roulant dans les liens littéraires disponibles sur la toile mais ne songeant pas une minute à en appliquer les principes.
Pour le reste, on peut lui laisser la parole. Voici quelques extraits de "Le Cas Sonderberg", écrit en 2008. Une forme de testament ?
[Les années s'écoulent et laissent des moments comme des cicatrices. Angoisse et espoir persévèrent dans leur inlassable combat. [Il] est inquiet, troublé. Il a compris que son avenir pouvait lui être mesuré. Il n'est plus jeune, sa mémoire est fiévreuse, son corps résiste mal au poids des années....La vie d'un homme est-elle un drame ou une farce sans vrai début ni fiin ?.... Il s'agit de vivre la vérité de chaque instant. D'espérer que d'autres espèrent à leur tour. Les heures s'ajouteront aux heures, les nuits aux nuits, les masques aux visages.... Faire de chaque journée une source de grâce, de chaque heure un accomplissement, de chaque clin d'oeil une invitation à l'amitié. Tant que le rideau n'est pas tombé, tout reste possible.
La vie, un couloir entre deux abîmes ? Mais alors, à quoi bon s'acharner ? D'une façon ou d'une autre l'éternité est contenue dans l'instant qui s'évanouit.
Il n'est plus en vie. Il m'avait fait lire son testament : contrairement à la coutume américaine, éviter les oraisons funèbres, les réduire au strict minimum. Et surtout, que l'on ne cherche pas à se servir de la circonstance pour "célébrer sa vie", comme on le dit ici, en racontant des histoires drôles. Dignes, sobres et tristes les funérailles.
Tant que tu vis, tu es immortel car ouvert à la vie des vivants. Une présence chaleureuse, un appel à l'action, à l'espérance, au sourire, même face au malheur, une raison de croire malgré les échecs et les trahisons, croire en l'humanité de l'autre, cela s'appelle l'amitié. Voilà le secret de ce que, si pauvrement, on appelle la vie ou le destin de l'homme.
Mais il sait que, à en croire les Sages, quand un Juste meurt, Dieu pleure et fait pleurer les cieux. Et leurs cris se réverbèrent dans l'immensité de l'océan. Alors il est donné à ses enfants de cueillir les larmes des étoiles pour abreuver le coeur de l'orphelin, ouvert malgré tout et pour toujours à une impossible joie, toujours en quête d'une réunion, enfin, avec ses vrais parents disparus, qui n'étaient pas des personnages de théâtre.]
Il est ici question de dignité, de décence, de grandeur. Peut-être ce "roman" contient-il quelques clés pour comprendre ce que l'on nomme son "âme". Il aurait sans doute été horrifié de voir tourner hier sur lérézos une ignoble image d'abord qualifiée de montage de l'armée soviétique, puis de document de l'armée américaine, censée le représenter sur le bas-flanc d'Auschwitz, croupissant au milieu de ses pareils en déshumanisation.
Il donne aussi quelques instructions en forme d'avertissement moral : que sa fin ne soit pas un barnum. Est-ce trop demander que de rendre justice à l'âme d'un Juste ?
[Jamais je n'oublierai cette nuit, la première nuit de camp, qui a fait de ma vie une nuit longue et sept fois verrouillée.
Jamais je n'oublierai cette fumée.
Jamais je n'oublierai les petits visages des enfants dont j'avais vu les corps se transformer en volutes sous un azur muet.
Jamais je n'oublierai ces flammes qui consumèrent pour toujours ma foi.
Jamais je n'oublierai ce silence nocturne qui m'a privé pour l'éternité du désir de vivre.
Jamais je n'oublierai ces instants qui assassinèrent mon Dieu et mon âme, et mes rêves qui prirent le visage du désert.
Jamais je n'oublierai cela, même si j'étais condamné à vivre aussi longtemps que Dieu lui-même. Jamais]
N'oublions jamais. C'est sans doute le seul véritable hommage à lui rendre.
Pour A. qui l'avait rencontré à N-Y et qui est très triste.
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- 03/07/2016 12:36Par Abonnée2008
Extrait de "Se taire est impossible", petite plaquette dans laquelle il dialogue avec Jorge Semprun.
[La singularité fondamentale et foncière, c'était le plan, le projet de l'ennemi d'anéantir tout un peuple jusqu'au dernier. Les enfants qui n'étaient pas nés étaient condamnés. Quand je pense aux enfants... Les enfants me font pleurer. Quand je pense aux enfants -c'est beau, c'est tendre, c'est discret, on voit les photos maintenant, n'est-ce pas - qui allaient, comme ça, calmement, doucement, sans crier, sans se plaindre, à la mort. Je me demande, comment ont-ils pu faire ? Tu sais Jorge, j'espère que jamais les tueurs n'obtiendront de pardon. Je ne veux pas que Dieu leur pardonne pour ce qu'ils ont fait aux enfants. Jamais.]

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Inlassablement, la cause des enfants. Ici le 13 novembre 2008, honoré par la maison où il fut accueilli en 1945 et qui porte désormais son nom.
- 05/07/2016 13:14Par Abonnée2008
"il est le premier que j’aie entendu théoriser sur la sombre imbécillité des tenants de la compétition victimaire exigeant déjà que chacun choisisse ses morts – Juifs ou Khmers… martyrs de tel génocide ou de tel autre…"
http://laregledujeu.org/2016/07/04/29509/saintete-d-elie-wiesel/
09/07/2016 17:59 par XXXX Est-ce que cette belle déclaration s'applique avec la même force aux enfants palestiniens assassinés par les colons israéliens? "j'espère que jamais les tueurs n'obtiendront de pardon." J'espère aussi.
- 12/07/2016 12:23Par Abonnée2008 en réponse au commentaire de XXXX le 09/07/2016 17:59
Sans doute. Mais cela n'a rien à voir ici. On parle d'Elie Wiesel, de sa vie et de son oeuvre. Pas la peine de mobiliser le califat pour s'assurer que la question palestinienne n'est étrangère à aucun des sujets que l'on a le malheur d'aborder en ce club. Que je sache, il n'a jamais tué personne.
- 12/07/2016 12:26Par Abonnée2008
Intéressante citation qui pourrait sans doute s'appliquer aussi à Michel Rocard, en politique. Extraite par Sophie Chauveau de "L'Art de Manet", écrit par Jules de Marthold :
"Chaque époque est dotée par le ciel d'un artiste chargé de saisir la vie de son temps et d'en transmettre l'usage aux époques suivantes. C'est toujours des pierres dont on a lapidé l'homme qu'est fait le piédestal de sa statue."