Bonsoir! Je vais aujourd'hui aborder l'espéranto sous un angle particulier qui ne sera pas celui de la communication directe entre les hommes, c'est à dire les échanges, les voyages, le dialogue, les rencontres...
ça c'est bien sûr l'angle sous lequel il est le plus souvent abordé et c'est tout à fait logique car c'est d'ailleurs un succès pour ceux qui connaissent.
Si vous voulez en savoir plus, je vous invite d'ailleurs à visiter le blog de Dominique C. !
L'objet de ce billet concerne en fait un autre usage de l'espéranto, également sous exploité d'ailleurs pour le plus grand malheur de l'humanité, et qui pourrait pourtant être aussi d'un grand apport à la culture en général et à la compréhension des peuples...
(Eh oui, rien que ça! )
Je veux parler de l'espéranto en tant que langue auxiliaire neutre , outil novateur et ideal pour la traduction.
Petite tentative de démonstration...
"traduttore, traditore!"
"Traducteur , traître " nous dit ce proverbe italien. Et il est à lui tout seul une illustration concrète de la problèmatique de la traduction puisqu'il ne vous aura pas échappé que la similitude phonétique entre les deux mots italiens disparaît en français et que le proverbe perd ainsi toute sa "force" une fois traduit...
Dommage, non?
Ainsi en va t il toujours des traductions. Parce qu'une langue est à elle toute seule une manière de penser et d'appréhender le monde, la traduction non seulement ne permet pas de refléter fidèlement la façon de voir le monde de "l'autre", celui qui écrit dans une autre langue que nous mais, pire, en nous obligeant à chercher un équivalent dans notre langue maternelle on est parfois obligé de déformer, faute de mieux, les propos originaux.
Pour m'être moi même parfois attelé à quelques traductions de textes littéraires ou journalistiques, je sais que le problème est tout bonnement insoluble.
Voici un exemple très concret: la traduction de polars américains en Français.
Prenons l'écrivain Donald Goines, auteur notamment de "justice blanche, misère noire", "enfant de putain" et de "l'accro". Ses romans (publiés dans les années 70 aux états unis, une vingtaine d'années après en France) décrivent d'une façon directe, crue et imagée la vie dans le ghetto noir de Detroit. Il fait bien entendu un usage intensif de l'argot, du "street slang".
Comment rendre, en français, ses dialogues argotiques de la rue aux Etats Unis?
Le traducteur a grosso modo deux solutions : soit prendre un argot "neutre " si tant est que ça existe, un argot vieilli, un peu suranné, que l'on comprend certes mais qui ne nous parle pas vraiment. Cela a l'avantage de rester plus ou moins fidèle au texte... mais celui ci perd de sa saveur.
Ou alors, une autre solution pour donner de la vie au texte serait d'utiliser le parler "actuel" du milieu français.
Mâtiné entre autres de verlan, de mots d'origine arabe et manouche, l'argot français d'aujourd'hui est évidemment tout aussi riche et inventif que le street slang ricain. Problème: est ce que ça sonnerait juste si deux voyous Noirs de Détroit des 70's parlaient de "pécho cinq G de rabla" (to score an eigth of junk) ou d'aller "méfu une poukave de merde" (to go whack a fuckin' rat) ou encore de "se faire péter par les schmidts" pour "to get one's ass busted by the pigs"?..
ça sonnerait bien peut être, le rythme serait là... mais ça ferait tout de même un peu bizarre et décalé..
C'est bien entendu valable pour toutes les langues et plus encore au fur et à mesure qu'on s'éloigne de la langue d'origine. Je ne vous parle là que de l'anglais, imaginez donc les romans traduits du japonais...
... Ou de l'arabe! Et pour prendre un autre exemple complètement différend des romans noirs américains mais tout aussi parlant, je voudrais vous parler du Coran.
(Eh oui, de même que Bakounine disait, que "La Bible [...] est un livre très intéressant et parfois très profond, lorsqu'on le considère comme l'une des plus anciennes manifestations, parvenues jusqu'à nous, de la sagesse et de la fantaisie humaines..." eh bien moi outre la Bible comme livre, je kiffe le Coran, même si je suis un athée un kfar (impie) tout ce que vous voulez.. mais passons!..)
Le Coran , donc... Qui peut croire un seul instant que, pour excellente qu'elle soit, une traduction du Coran en français soit capable de rendre le souffle, la puissance de la langue arabe utilisée dans ce Livre?
(rappelons d'ailleurs au passage que l'idée même de traduction du Coran vers une autre langue a fait débat dans la communauté musulmane à l'époque..)
Voici un exemple avec une courte sourate que j'affectionne particulièrement pour ses sonorités , la sourate 99 "le Tremblement de terre"
(Plutôt que de mettre la phonétique j'ai mis des vidéos des versets chantés pour ceux qui veulent savoir ce que j'entends par sonorités puissantes. Il y a deux versions, ça dure respectivement 45 secondes et une minute )
Personnellement je préfère celle ci:
Voici donc la traduction de Kasimirski (publiée chez Garnier Flammarion) de cette sourate:
1- Lorsque la terre tremblera d'un violent tremblement,
2- Qu'elle aura secoué ses fardeaux
3- L'homme demandera : qu'a t elle?
4- Alors elle racontera ce qu'elle sait,
5 - Ce que ton seigneur lui inspirera.
6 - Dans ce jour les hommes s'avanceront par troupes pour voir leurs oeuvres.
7 - Celui qui aura fait le bien du poids d'un atome le verra,
8 - Et celui qui aura commis le mal du poids d'un atome le verra aussi.
N.B. je ne mets nullement en cause la traduction de M. Kasimirski ce n'est pas du tout mon propos et ce serait d'autant plus malvenu que je n'ai pas un millième de sa science de l'arabe! Je veux juste montrer qu'une traduction nous fait perdre beaucoup toute fidèle qu'elle veuille être...
Voici maintenant une traduction qui se rapproche au maximum de l'original arabe, en gardant notamment l'ordre des mots et les répétitions:
1 Quand tremblera la terre de son tremblement de terre
2 et fera sortir la terre ses charges
3 et dira l'homme "qu'est ce qu'elle a?
4 ce jour elle racontera ce qu'elle sait
5 ce que ton seigneur lui révèlera
6 ce jour les hommes se mettront en groupes désordonnés pour regarder ce qu'ils ont fait
7 et celui qui a fait le plus petit grain de bien il le verra
8 et celui qui a fait le plus petit grain de mal il le verra
... ça ressemble plus à l'original, son côté "percutant".. mais ce n'est pas du bon français c'est le moins qu'on puisse dire. Alors, "que faire" (comme disait Lénine) pour essayer de coller au maximum à l'original, mais sans que cela devienne limite incompréhensible ?!
Pour résoudre ce problème, à part apprendre couramment TOUTES les langues de la terre, il existe une solution facile et très, très pertinente . l'espéranto.
Je ne vais pas vous en faire trois pages, encore une fois je vous renvoie au blog de Dominique ou pour des informations plus basiques, à Wikipedia, mais en gros l'esperanto est une langue "inventée" à partir d'une base de vocabulaire majoritairement (histoire de donner une cohérence) d'origine française à 70%, allemande à 20% et russe à 10% -en gros, et procédant par contre à l'instar de beaucoup de langues orientales par ajouts de suffixe et préfixes à des racines (de façon ultra régulière) ce qui permet d'enrichir à volonté, voire de créér soi même son vocabulaire compréhensible par tous les autres locuteurs !
Outre la formation des mots à volonté et de façon régulière sans exceptions à partir de racines, l'espéranto nous laisse une totale liberté quant à l'ordre des mots dans la phrase. Et comme c'est une langue neutre qui ne nous ramène à priori à rien "d'affectif" ou de très "contextualisé" comme dans notre langue maternelle, on se rapproche plus qu'on ne pourra jamais de la langue d'origine avec le texte traduit en espéranto (ou "espérantisé").
Et ainsi, comme encore une fois c'est une langue neutre, pas de risque donc de mélanges incongrus comme j'expliquais plus haut avec l'argot du 9-3 pour remplacer celui de Detroit...
D'ailleurs pour les grossieretés, le péjoratif, l'espéranto dispose aussi de tout l'attirail linguistique nécessaire, et s'en sert parfois. (Eh oui il y a même du rap hardcore en Espéranto. ou de sites de cul..)
Enfin, un dernier exemple que je pique là à Claude Piron: imaginez par exemple une langue qui ait un mot concis et très courant pour dire "l'enclos à chèvre", un mot qui "percuterait", en plus, aurait une belle sonorité..
Enclos à chèvre; le terme en français sonne moyen il faut le reconnaître.
En espéranto, il suffit de l'inventer à partir de Kapro la chèvre et le suffixe -ejo pour "le lieu": cela donne tout simplement Kaprejo, que n'importe quel espérantiste comprendra comme "le lieu pour les chèvres". Et le tour est joué... Magique, non? Un sacré coup de pouce pour la traduction en tous cas!
(cette histoire de racines est un point commun à l'arabe et à l'espéranto.. En espéranto: lerni étudier donne lernejo école; en arabe darassa étudier madrassa école! ou kitab livre maktaba bibliothèque, en arabe le préfixe ma- équivaut au suffixe-ejo en espéranto!)
Bref, parmi ces digressions, si vous avez suivi, vous aurez compris que pour ceux qui n'ont pas le temps d'apprendre toutes les langues, mais qui voudraient découvrir d'autres littératures le plus fidèlement possible au texte original, l'espéranto est une superbe alternative.
Bonne nuit
NB un petit bonus: le Coran en version bilingue intégrale ARABE et ESPERANTO !!! (fichier PDF)