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Billet de blog 26 mars 2013

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Le monde s'effondre!

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Auteur Nigérian de langue anglaise, le grand Chinua Achebe s'est éteint le 21 mars dernier. Il allait avoir 83 ans.

photo : Stuart C. Shapiro/Wikipédia

Médiapart a signalé la nouvelle ici : http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/240313/chinua-achebe-lecrivain-qui-donne-sa-voix-lafrique ,
renvoyant en fait vers un article du Guardian (en anglais):  http://www.guardian.co.uk/commentisfree/2013/mar/24/chinua-achebe-african-literature
Je voudrais pour  ma part à cette (triste) occasion rendre un petit hommage à ce grand auteur africain et, si ce n'est déjà fait, vous inviter à le découvrir.

Je ne vais pas constituer ici un dossier à base de copier-coller de Wikipédia  mais me contenter simplement de livrer mon appréciation personnelle et mes "souvenirs de lecture", puisque j'ai découvert cet auteur il y a plus de vingt ans...
Ceci dit, pour ceux qui voudraient en savoir plus sur la vie et l'oeuvre de Chinua Achebe:
http://en.wikipedia.org/wiki/Chinua_Achebe en anglais, article très complet et détaillé (normal, pour un auteur majeur de la langue anglaise!);
Et aussi : http://news.brown.edu/pressreleases/2013/03/achebe
sinon, il y a également : http://fr.wikipedia.org/wiki/Achebe (qui est seulement une "ébauche d'article" mais... en français)
J'ai découvert le grand Chinua Achebe voici plus de vingt ans, à travers son tout premier roman, "Things Fall Apart" ("le monde s'effondre").
Je n'ai pas connu cet auteur par hasard, ni sur les recommandations d'un ami, mais tout simplement... parce qu'il était au programme de la première année de DEUG d'anglais à l'Université de Nanterre.
J'en profite pour encourager vivement tous ceux qui hésiteraient à le faire, à découvrir cet auteur de préférence en version originale anglaise.
Ce n'est pas un hasard s'il est étudié en première année de fac, c'est à dire juste après le baccalauréat:
Achebe n'est pas un auteur difficile à lire en anglais, bien au contraire. Sa langue est simple, concise, limpide... et donc très accessible pour qui dispose d'un niveau "moyen" dans la langue de Shakespeare. (rien à voir avec Cormac Mc Carthy en V.O. par exemple...)
Les trois premiers romans de Chinua Achebe sont : "Things Fall Apart" (le monde s'effondre), "No Longer at Ease" et "Arrow of God". Ils ont été publiés pour la première fois à la fin des années 1950/début des années 1960, et on les retrouve maintenant en un seul volume, sous le nom de "The African Trilogy").

La trilogie, dont l'action se déroule sur plusieurs générations, nous permet de découvrir une partie de l'histoire des Igbo (ethnie d'origine d'Achebe) et bien sûr de ce que l'on appelle aujourd'hui le Nigéria, l'un des pays les plus "riches" (en pétrole, notamment) et les plus peuplés d'Afrique Noire.

Le tout premier roman d'Achebe, "Le monde s'effondre", est l'un des livres qui m'ont le plus marqué.. Il fait partie de ces chefs d'oeuvre que n'ai pas (encore?) eu l'occasion de relire depuis plus de vingt ans, mais dont je me souviens encore très bien.

Things Fall Apart nous conte la vie d'Okonkwo, un fermier dans village Igbo au Nigéria, avant, puis pendant l'arrivée des blancs et particulièrement des prètres-missionnaires.
A travers la vie d'Okonkwo, on découvre toute une société, ses traditions et coutumes naturellement (le rite de la noix de Kola à chaque réception  où l'un fend la noix et la tend à l'autre...) mais aussi -c'est entre autres ce qui m'avait marqué dans le livre- son organisation, y compris sociale et politique.
Ainsi, je me souviens par exemple qu'Achebe racontait que, dans le village, les hommes reconnus coupables d'homicide étaient "condamnés" au bannissement pour une période donnée (cinq ou sept ans, je ne me souviens plus..) et devaient se rendre dans un autre village durant ce laps de temps, pour y vivre, on imagine de façon un peu isolée. Une fois la peine accomplie,  le "condamné" pouvait retrouver son village, la justice ayant été rendue et les victimes apaisées.
J'avais trouvé cela fort intéressant, moi qui suis fondamentalement opposé à la prison et qui tente de réfléchir à des alternatives...
On découvre aussi dans ce livre les croyances des Igbos, et la magie bien sûr.
Ainsi ces obangje, esprits malins qui pénètrent le corps des enfants à naître pendant la grossesse de leurs mères, pour les faire arriver mort-nés. Il faut enterrer ces enfants loin du village, au fond des bois, pour ne pas que l'esprit retrouve son chemin et revienne.
Mais il revient parfois quand même... 
Alors, on prend le bébé mort né, et pour enlever à l'esprit le goût de ces maléfices, on mutile le nourrisson mort - né (qui n'est autre que l''obangje en fait) et on va ensuite l'enterrer, cette fois au plus profond de la forêt.
... Mais parfois, l'obangje revient malgré tout, et il arrive ainsi qu'un femme mette au monde un enfant mort né qui portera les cicatrices des mutilations du bébé précédent!
L'histoire des Obangje m'avait impressionné. 
Ainsi, Achebe nous décrit ce petit monde, somme toute paisible, sa culture, avec ses joies et ses tourments... et puis, tragique évènement s'il en est, l'arrivée des blancs vient tout bouleverser à un point qu'on a du mal à s'imaginer - et amène ainsi le monde à s'effondrer.
Je ne raconterai bien sûr pas la fin de "Things Fall Apart", pour ne pas déflorer l'intrigue, mais Achebe nous montre là un des aspects les plus ignobles de la colonisation, à savoir la tentative d'anéantissement total, d'annihilation de la culture Igbo par les blancs, et tout particulièrement les curés - les "missionnaires" qui ne reculeront devant aucun moyen pour ce faire.

Le billet de Médiapart citait Nelson Mandela parlant d'Achebe:  « En sa compagnie, les murs de la prison tombaient ».  La poétesse Américaine Maya Angelou disait pour sa part à propos de Things Fall Apart que c'était un livre où "tous les lecteurs croisent leurs frères, leurs soeurs, parents et amis, et se croisent eux-mêmes le long des routes du Nigéria".

.... Je trouve que c'est exactement cela! Et pour finir sur une note un peu plus gaie, voici une anecdote qui, j'espère, illustrera le propos de Maya Angelou :

Savez vous pourquoi les moustiques ont cette satanée habitude de venir bourdonner tout particulièrement au creux de nos oreilles et de faire entendre ce petit bruissement si caractéristique?

Chinua Achebe m'a expliqué pourquoi. Je vous le redis.. (mais avec mes mots!.)

Voilà:  dans un passé lointain, il se trouve que le moustique était fou amoureux de l'oreille et qu'il voulait l'épouser.
Aussi la demanda-t-il en mariage.
L'oreille éclata de rire: "toi, moustique, minuscule et si chétif, et tu voudrais m'épouser, moi, l'oreille? laisse moi rire, maigre comme tu es, tu ne survivras pas!".
Blessé, humilié, amer, le moustique se retira.

... Mais depuis ce jour, il ne manque pas de venir se rappeler régulièrement au souvenir de l'oreille en venant bourdonner tout près d'elle, pour lui murmurer: "je suis toujours là, chétif certes, mais endurant...je suis toujours là!"

... Et c'est ainsi qu'au moins une fois chaque été, alors que j'essaye de trouver le sommeil en subissant les attaques des moustiques, j'ai toujours une petite pensée pour Chinua Achebe!

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