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Billet de blog 15 janvier 2018

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La Coalition arabo-islamiste anti-Yennayer en Afrique du Nord

Le texte ci-dessous est une réponse à l'article de Youcef Benzatat, intitulé «Yennayer 2968, une imposture berbériste». Le texte de Y. Benzatat nie des faits historiques avérés tout en essayant de créer une confusion au niveau des dates et des personnages. En outre, son texte reflète la pensée d'une tendance, en Algérie, qui est mal à l'aise avec l’identité amazighe.

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Le texte de Youcef Benzatat, intitulé ''Yennayer 2968, une imposture berbériste'' est une réaction qui dissimule très mal la rage de cet individu, à l’image d’une partie de la population algérienne, et le goût amer que lui laisse cette consécration de Yennayer comme jour férié et payé. Ce qui gêne en réalité, c'est le début de traduction de ce calendrier amazigh, qu’il qualifie de ''berbériste'' en calendrier civique en Algérie : Yennayer 2968. Vu sous cet angle, la crainte et la rage de la coalition anti-Yennayer en Algérie tout comme dans le reste de l’Afrique du Nord, est ''compréhensible''. Cette coalition, pour rappel, englobe les islamistes, les nationalistes arabes et les intellectuels anti-''berbéristes'' qui se défendent d'être islamistes ou nationalistes arabes. Pour donner une forme de légitimité à sa haine, Benzetat substitue le vocable ‘berbérisme’, au mot amazigh ou berbère tout court. Ce sentiment anti-amazigh est flagrant rien qu'en considérant les qualificatifs utilisés (''berbériste, ethnocentriste conservateur, raciste, etc.).

Revenons-en maintenant aux pseudo-arguments donnés dans le texte par l’auteur qui, apparemment, ne sait pas ce qu’est le rôle d’un calendrier.

L’auteur souligne dans son texte un anachronisme pris de Wikipédia concernant une supposée bataille de Sheshonq, un guerrier amazigh, contre le pharaon égyptien Ramses III, pour signifier aux lecteurs que toute cette histoire de Sheshonq, amazigh devenu pharaon, est inventée de toute pièces. Et comme il a dû se rendre compte au fur et à mesure de ses recherches qu’il ne peut pas nier que Sheshonq fut Amazigh et devint pharaon d’Égypte, l’auteur a essayé de modifier son conte en puisant dans son imaginaire selon lequel le Shoshenq qui était devenu pharaon d’Égypte était en fait un général dont les arrières grands-parents étaient amazighs mais naturalisé égyptiens ! C’est le comble de la mauvaise fois ! Ce sont-là des contre-vérités historiques. Tout cela pour accommoder sa petite cervelle qui n’accepte pas que l’on dise qu’un Amazigh est devenu pharaon d’Égypte. Il accepte encore moins que l’on revitalise cette date en la choisissant comme date de départ du calendrier amazigh. En réalité, au moment de prendre le pouvoir en Égypte, Sheshonq régnait déjà sur un territoire allant de la partie orientale de la Libye actuelle jusqu’au delta du Nil. Son ascension au trône d’Égypte est relatée en fresques dans les palais du pharaon et constituent la source de cette information pour les historiens. On y distingue clairement les hommes de Shoshenq, les Lebbous (libyens aujourd’hui) en tenue traditionnelle libyenne (donc amazighe).

Après avoir décidé que celui que l’on présente comme Shehonq amazigh était égyptien, l’auteur s’attèle ensuite à démêler Yennayer de l’année 2968, prise comme date de départ du calendrier amazigh. Pour commencer, cette confusion ne réside que dans la tête de Benzatat. En effet, les concepteurs de ce calendrier, militants de la première heure de la langue et de la culture amazighes exilés par Boumédiene, n’ont jamais évoqué de lien direct entre Yennayer (le 12 ou 13 janvier peu importe) et l’année 950 AV.-J., qui correspond à l’année où Shoshenq I, Amazigh de Libye, fut couronné pharaon d’Égypte et fondateur de la 22ème dynastie. Ce sont deux faits distincts et c’est la fonction classique du calendrier de les synthétiser.

Autrement dit, le calendrier, en plus d'indiquer les jours de semaine et les dates en les jumelant, ainsi que le début de chaque mois de l'année, il a aussi pour rôle de synthétiser les dates phares comme les événements historiques liés à un peuple, sa culture et sa civilisation. Outre ces dates, un calendrier doit aussi spécifier le début de son ère et c’est justement là que le bât blesse et vous allez comprendre pourquoi dans les lignes qui suivent.

Les concepteurs du calendrier chrétien, devenu universel, font démarrer l’ère chrétienne à la naissance de Jésus. Tout le monde l’a accepté, sauf les Musulmans qui ont conçu leur propre calendrier en choisissant la date de l’hégire (fuite de Mohammed et ses compagnons de la Mecque à Médine) comme début de l’ère musulmane. Les Musulmans l’ont acceptée.

Les militants amazighs, dont les attributs identitaires, culturels et linguistiques furent frappés de déni par les régimes en Afrique du Nord, rebaptisée Maghrib El-Arabi, (Maghreb arabe, à charge à M. Benzatat de déterminer qui est raciste et ethnocentriste ici) ont organisé une riposte intellectuelle en fouillant dans leur histoire. Ils ont découvert un évènement historique capital occulté, un amazigh devenu pharaon d’Égypte. Ils ont choisi ce repère pour indiquer le début de l’ère amazighe dans le calendrier. Les Amazighs l’ont aujourd’hui accepté. Ainsi, le calendrier nous donne l’occasion de parler de Yennayer et de Shosehnq en même temps, car c’est le rôle et la vocation du calendrier. La coalition anti-« berbériste » nous dit oui à Yennayer mais non au calendrier amazigh. Pour eux les Amazighs ne devraient pas avoir leur calendrier. Pourquoi ? L’ère chrétienne, l’ère musulmane et l’ère amazighe, voilà où le bât blesse. On ne veut pas que la civilisation amazighe rivalise avec la civilisation arabo-musulmane ! Décodé, le message de Benzatat et ses semblables équivaut à ceci: on ne doit pas laisser les Amazighs officialiser leur propre calendrier ! Cependant, au lieu de le dire de façon aussi crue, les intellectuels anti « berbéristes » font toute sorte de courbettes en criant au loup, au blasphème, à la perversion de l’Histoire, etc. L’arabo-islamisme a poussé les Amazighs à créer leur propre calendrier, qu’on le veuille ou pas, et les Amazighs, de Siwa aux Îles canaries, du Niger à la côte méditerranéenne, l’ont acceptés. Point barre.

Karim Achab, docteur en linguistique

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