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Billet de blog 7 décembre 2023

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L'horloge tourne : la justice climatique, c'est maintenant !

Auteur : Mohammad Akmal Shareef, directeur pays d'Action contre la Faim au Bangladesh

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le village de Rekhamari, dans la division de Khulna au Bangladesh, sera bientôt sous les eaux. Comme partout dans le pays, la colère liée à la crise climatique est ici une réalité. Sohanur Rahman, porte-parole de la « Campagne d'alerte rouge », une initiative de jeunes en faveur du climat, m'a fait part d'une rencontre déchirante avec une vieille femme de Rekhamari. Comme le reste du village, elle va bientôt perdre son logement à cause de l'érosion des berges. Sohan, lors de sa récente visite à Rekhamari, lui demande "Comment allez-vous ?". La vieille femme répond par un sourire. Il lui demande à nouveau "Pourquoi souriez-vous ?". La femme répond : "Que puis-je faire d'autre, personne n'est là pour nous écouter ou nous soutenir, bientôt je perdrai tout ce que j'ai". Dans tout le pays, nous voyons des millions de ces "sourires", mais derrière chaque visage, il y a une histoire de peur, de désespoir, de colère et un sentiment d'impuissance.    

Je me rends cette semaine à la 28e conférence mondiale sur le climat à Dubaï pour parler au nom des millions d'enfants, de femmes et d'hommes dont l'histoire est similaire et qui souffrent déjà lourdement des conséquences de la crise climatique. Le Bangladesh est l'un des pays les plus touchés au monde par la crise climatique[1]. Rien que cette année, le pays a connu trois cyclones, ce qui n'était jamais arrivé auparavant. L'élévation du niveau de la mer signifie que de nombreuses villes côtières sont régulièrement sous l'eau. Les pluies de plus en plus abondantes inondent les champs et les pâturages et détruisent les moyens de subsistance de la population. On estime que d'ici 2050, une personne sur sept au Bangladesh sera déplacée en raison de la crise climatique[2]. 

Le gouvernement bangladais est loin de disposer des ressources financières suffisantes pour aider toutes les personnes touchées qui en ont besoin. Sans parler des investissements qui seraient nécessaires pour se prémunir contre les futurs dommages climatiques, étendre la protection contre les catastrophes et passer à une agriculture résiliente au climat. En outre, le Bangladesh n'est qu'un des nombreux pays du Sud à se trouver dans la même situation. Les bangladais font partie des populations qui ressentent le plus les conséquences catastrophiques de la crise climatique, alors qu'ils ne contribuent qu'à une fraction des émissions mondiales. C’est injuste ! 

Les États pollueurs tels que la France ont une responsabilité historique et actuelle. Et c'est maintenant qu'il faut agir ! Avec mon organisation, Action contre la Faim, je fais campagne en ce sens lors de la COP28. 

Améliorer l'accès des pays du Sud au financement de la lutte contre le dérèglement climatique 

L'objectif de 100 milliards de dollars US par an pour le financement international du climat, convenu lors des négociations multilatérales sur le climat, a échoué à plusieurs tentatives. En conséquence, des mesures importantes visant à atténuer la crise climatique et à s'adapter au dérèglement climatique sont retardées, et la confiance entre les parties s'amenuise. Même si la France contribue largement au financement mondial de la lutte contre le dérèglement climatique avec 6 milliards d’euros par an, le gouvernement français ne peut pas se reposer sur ses lauriers. Et bien que les pays de l'OCDE aient récemment annoncé que l'objectif de 100 milliards avait finalement été atteint, ce chiffre n'est plus valable, compte tenu des besoins croissants et de l'incapacité collective des pays riches à agir à temps. Après tout, les contributions manquées et la perte de confiance de ces dernières années doivent être compensées - pour permettre de progresser dans les négociations en vue d'une élimination équitable et rapide des combustibles fossiles. 

En outre, l'accès au financement climatique doit être facilité pour les pays du Sud. Les groupes de population les plus vulnérables sont les plus touchés par les pertes et les dommages causés par la crise climatique - et ce sont précisément ces communautés que les ressources financières mondiales n'atteignent souvent pas du tout. Cela doit changer. Davantage de fonds climatiques doivent être mis en œuvre en coopération directe avec la société civile locale, car les expertes et les experts locaux sont souvent les mieux placés pour décider des solutions et des innovations adaptées à chaque contexte. Ils doivent être soutenus pour permettre l'accès de tous aux systèmes d'alerte précoce et aux outils d'adaptation.  

Cela inclut également la mise en œuvre du Fonds pour les pertes et dommages convenu l'année dernière et rendu opérationnel cette année lors du premier jour de la COP28. Alors que les pays prennent leurs engagements financiers envers le fonds pour les pertes et dommages, nous demandons que les fonds soient accordés sous forme de subventions et non de prêts. Un point très important : La structure de gouvernance du fonds doit être basée sur les principes d'équité, d'inclusion et de justice. Les pays les plus pauvres et les moins développés doivent pouvoir accéder facilement au fonds. 

Renforcer les systèmes alimentaires résistants au climat 

Pour de nombreuses personnes dans le monde, la crise climatique est avant tout une crise de la faim. Les vagues de chaleur, les sécheresses et les inondations se multiplient et détruisent les champs, les cultures et les sources d'eau. D'ici à 2050, jusqu'à 80 millions de personnes auront moins de nourriture sur leur table en raison de la crise climatique[3]. Et notre production alimentaire elle-même contribue massivement à la crise climatique : les systèmes alimentaires mondiaux sont actuellement responsables d'un tiers des émissions de gaz à effet de serre[4]. Pourtant, il existe des alternatives durables : des approches telles que l'agroécologie et la souveraineté alimentaire permettent de concilier la résilience des communautés avec la durabilité et la justice sociale, grâce à une production diversifiée, locale et biologique.  

Au Bangladesh, Action contre la Faim soutient un programme qui aide les agricultrices et les agriculteurs des zones inondées à restructurer leur agriculture. Grâce à nos formations, nous les aidons à reconstruire les terres agricoles détruites et leur enseignons des méthodes agroécologiques innovantes. Nous créons des étangs pour recueillir l'eau et construisons des digues de protection contre les inondations. Les fruits et légumes sont cultivés sur les berges des étangs, sur les digues et sur des grilles à la surface de l'eau. Notre projet a permis d'augmenter considérablement les rendements des agricultrices et agriculteurs de la région[5]. 

Des exemples positifs comme celui-ci doivent absolument être discutés à Dubaï, lorsque les gouvernements parlent de mesures de protection du climat dans l'agriculture ! La France doit veiller à ce que, lors de cette conférence sur le climat, l'agroécologie soit discutée en tant qu'approche indépendante et prioritaire de la protection du climat et de l'adaptation. 

Notre travail le montre : nous pouvons faire la différence. Avec les communautés touchées par le dérèglement climatique, nous trouvons, chaque jour, de nouvelles façons de vivre dans un environnement changeant. Mais pour mettre en œuvre cette adaptation assez rapidement dans le monde entier, nous avons besoin d'une volonté politique commune et de la mise à disposition des ressources nécessaires. Nous devons doubler nos efforts en matière d'adaptation au dérèglement climatique en doublant l'engagement des ressources. Le financement actuel de l'adaptation n'est pas suffisant. Nous avons le devoir d'aider les gens comme ceux du village de Rekhamari, ce qui ne sera pas possible sans nos efforts collectifs. La France et les autres États pollueurs ont une responsabilité cruciale à cet égard. Lors de la conférence sur le climat de Dubaï, ils doivent poser des jalons décisifs et insuffler un sentiment d'espoir. 

Mohammad Akmal Shareef, directeur pays d'Action contre la Faim au Bangladesh. Il occupe ce poste depuis août 2022. Au cours des 25 dernières années, il a travaillé dans le secteur de l'aide et a participé à de nombreuses initiatives au niveau régional et mondial pour faire progresser la justice et les droits humains dans les communautés qui souffrent de l’exclusion.  

[1] Eckstein, D.; Künzel, V.; Schäfer, L. (2021): Global Climate Risk Index 2021: Who suffers Most from Extreme Weather Events? Weather-related Loss Events in 2019 and 2000-2019: https://www.germanwatch.org/en/19777 

[2] Rahman, M.M.; Chakraborty, T.K.; Al Mamun, A.; Kiaya, V. (2023): Land- and Water-Based Adaptive Farming Practices to Cope with Waterlogging in Variably Elevated Homesteads", in Sustainability 2023, 15, 2087: https://doi.org/10.3390/su15032087 

[3] See Sixth Assessment Report of the IPCC (2023): https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-cycle/ 

[4] See "Special Report on Climate Change and Land" of the IPCC, Summary for Policymakers (2019): https://www.ipcc.ch/srccl/chapter/summary-for-policymakers/ 

[5] Rahman, M.M.; Chakraborty, T.K.; Al Mamun, A.; Kiaya, V. (2023): Land- and Water-Based Adaptive Farming Practices to Cope with Waterlogging in Variably Elevated Homesteads", in Sustainability 2023, 15, 2087: https://doi.org/10.3390/su15032087 

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