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Billet de blog 7 novembre 2025

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Réforme de l’ONU… et si, l’Algérie ?

La réforme du Conseil de sécurité de l’ONU s’impose. Et si l’Algérie obtenait un siège permanent ? Longtemps jugée discrète, elle allie légitimité historique, stabilité diplomatique et crédibilité internationale. Une hypothèse qui interroge le nouvel équilibre du monde — et la place d’une France face à son ancienne colonie redevenue influente.

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La réforme du Conseil de sécurité de l’ONU n’est plus une chimère. Depuis des décennies, les appels à une représentation plus juste des continents marginalisés se répètent. L’Afrique, à travers le consensus d’Ezulwini, revendique au moins deux sièges permanents. L’Asie et l’Amérique latine réclament elles aussi leur place. Mais que se passerait-il si, dans ce nouvel ordre, l’Algérie obtenait un siège permanent ? L’idée paraît encore audacieuse, pourtant elle révèle une logique profonde : le pays possède les attributs d’une puissance diplomatique singulière, plus légitime qu’on ne le croit.

L’Algérie se distingue par une constance diplomatique rare. Contrairement au Nigéria ou à l’Afrique du Sud, dont la politique étrangère a oscillé selon les crises internes et les alliances changeantes, Alger a bâti depuis l’indépendance une ligne claire : neutralité, non-alignement, respect du cadre onusien. Elle fut parmi les premiers soutiens de la Chine pour son retour à l’ONU en 1971, elle a œuvré pour la libération de Mandela et la fin de l’apartheid, elle a porté la cause palestinienne sans tomber dans l’excès rhétorique, et même lorsqu’elle présidait le Conseil de sécurité sans reconnaître Israël, elle a respecté scrupuleusement le protocole diplomatique. Cette discipline a forgé une réputation unique : celle d’un État qui ne cède ni aux caprices des blocs, ni aux emballements idéologiques.

Le critère économique ne suffit pas à juger. Certes, l’Afrique du Sud et le Nigéria sont souvent cités comme favoris, mais les derniers chiffres du FMI montrent que l’Algérie a désormais dépassé le Nigéria en PIB nominal (267 milliards de dollars contre 252 pour Abuja en 2023), tandis que sa stabilité énergétique en fait un fournisseur vital pour l’Europe. L’armée algérienne est l’une des plus solides du continent, dotée d’une autonomie stratégique que peu d’États africains possèdent. Mais le Maroc, malgré ses affinités avec l’Occident, n’a ni la masse critique ni l’aura diplomatique : son PIB est deux fois inférieur à celui de l’Algérie (FMI, 2024), et le contrôle strict de l’information sur le Sahara occidental (RSF, 2025) limite son rayonnement panafricain. La diplomatie algérienne a réalisé une véritable remontada lors de la dernière séance du Conseil de sécurité sur la question du Sahara occidental, rééquilibrant un texte initialement biaisé et réaffirmant la primauté du droit international. Certes, Rabat pourra toujours briguer un siège non permanent dans un futur lointain, mais à y regarder de près, même cela paraît fragile : les pays africains lassés de ses postures sur le Sahara ne lui accorderaient plus le consensus minimal. Ce réveil douloureux ouvrirait les yeux des Marocains sur l’endoctrinement dont ils sont victimes, croyant que leur voisin algérien n’est qu’un alter ego. En France aussi, ce serait la fin d’une illusion : celle d’un Maghreb homogène où Maroc et Algérie se vaudraient, où Rabat serait plus “mature” qu’Alger. La réalité éclaterait : ils partagent une langue mais n’ont rien en commun, et surtout pas la même crédibilité internationale.

Pour l’Afrique, l’équation reste complexe. Le consensus d’Ezulwini réclame deux sièges permanents : l’un irait presque naturellement à l’Afrique du Sud, l’autre au Nigéria. Mais cette mécanique est contestée : l’Égypte revendique sa centralité géopolitique, le Kenya et l’Éthiopie leur rôle africain. C’est ici que l’Algérie devient un candidat de compromis. Elle offre un visage double : africain et arabe, maghrébin et méditerranéen, tiers-mondiste mais respectueux des équilibres internationaux. En donnant un siège à Alger, l’ONU satisferait deux revendications à la fois, africaine et arabe, réduisant le nombre de chaises à tirer dans une salle déjà trop étroite.

Une telle accession serait une déflagration diplomatique. Pour le Maroc, ce serait une relégation historique, la preuve que le leadership maghrébin ne se mesure pas au marketing ou à l’entregent occidental, mais à la profondeur historique et à la constance. Pour la France, ce serait un séisme symbolique. Depuis De Gaulle, Paris s’imagine voix universelle, puissance indépendante et médiatrice. Mais la France d’aujourd’hui, alignée sur Washington, a perdu son rôle d’équilibriste. Voir l’Algérie reprendre ce flambeau gaulliste — celui de la neutralité et de la dignité internationale — serait un choc pour l’ego français, encore prisonnier du non-dit colonial. L’opinion publique, peu préparée, n’y verrait qu’une incompréhension. Les élites médiatiques orchestreraient un déni : minimiser l’événement, insister sur la “vraie influence” de la France, ridiculiser la prétention algérienne. Mais le fait brut resterait : l’ex-colonie incarnerait la posture qu’avait naguère la puissance coloniale. L’ironie serait cruelle : ce que les Français appellent doctrine gaullienne, les Algériens le vivent déjà depuis Boumediene, dans une doctrine d’indépendance et de constance. En d’autres termes, ce que la France a perdu, l’Algérie l’a préservé.

À cela s’ajoute l’effet allemand. Berlin réclame depuis longtemps son siège permanent, et il est probable qu’une réforme globale de l’ONU lui ouvre enfin la porte. L’entrée de l’Allemagne, combinée à celle de l’Algérie, réduirait encore le prestige français. Paris ne serait plus la voix unique de l’Europe ni l’interlocuteur privilégié de l’Afrique et du monde arabe. Ce double mouvement serait vécu comme une relégation : l’Allemagne pour l’Europe industrielle, l’Algérie pour le Sud global. La France se retrouverait dans une position paradoxale : membre fondateur mais marginalisé, héritier d’une grandeur qu’elle n’assume plus, obligé de choisir entre le déni ou l’introspection.

Les autres grandes puissances ajusteraient leur regard avec pragmatisme. Les États-Unis testeraient la fiabilité énergétique et sécuritaire d’Alger, sans hostilité si la méthode reste prévisible. La Chine applaudirait une victoire du Sud global, mais Alger veillerait à préserver son autonomie. La Russie verrait un allié tacite contre l’hégémonie occidentale, mais l’Algérie saurait équilibrer par des explications de vote juridiques et non politiques. Les pays arabes, eux, trouveraient un partenaire respectueux de la Palestine et stabilisateur dans la Méditerranée. L’Union africaine pourrait saluer ce choix si Alger se présente non pas comme un rival du Sud, mais comme la voix procédurielle qui porte des priorités communes : Sahel, climat, financement des opérations de paix.

Pour la France, deux chemins s’ouvriraient. Le premier, le plus probable, serait celui du déni : grincer des dents en silence, maquiller la perte de prestige, se replier dans une posture défensive. Le second, plus audacieux, serait l’introspection : reconnaître l’histoire coloniale, assumer l’Algérie comme un partenaire égal et non plus comme une périphérie. Dans ce scénario, une alliance Paris–Alger au Conseil de sécurité aurait une puissance géopolitique inédite. La France, voix européenne, nucléaire, membre fondateur, trouverait dans l’Algérie la voix africaine et arabe manquante. Ensemble, ils couvriraient trois continents, redeviendraient des médiateurs entre blocs, et offriraient à l’ONU une alternative crédible au duel Washington–Pékin. Mais pour cela, il faudrait un courage politique rare, capable de rompre avec des décennies de déni.

L’Algérie, par sa constance, sa neutralité et son respect du droit international, s’est forgée une légitimité que peu de pays africains égalent. Le Nigéria a la population, l’Afrique du Sud l’économie, mais l’Algérie a la mémoire et la discipline. Si demain l’ONU se réforme et que les sièges permanents s’élargissent, Alger pourrait être ce choix inattendu mais naturel : la voix d’un Sud global qui refuse la soumission, mais sait parler à tous. Et ce jour-là, la véritable bombe ne serait pas pour l’ONU, mais pour la France : accepter de voir dans son ancienne colonie non plus une blessure, mais un miroir de ce qu’elle fut, et de ce qu’elle aurait pu rester.

Sources

  • FMI, World Economic Outlook Database, avril 2024 (données PIB Algérie, Nigéria, Maroc, Afrique du Sud).

  • Banque mondiale, World Development Indicators (données démographiques comparées).

  • Nations Unies, Résolution 2758 (1971) : rétablissement de la République populaire de Chine à l’ONU, soutenu par l’Algérie.

  • Nations Unies, Résolution 418 (1977) : embargo sur l’Afrique du Sud, adopté avec l’appui actif de l’Algérie.

  • Union africaine, Consensus d’Ezulwini (2005) : revendication de deux sièges permanents africains au Conseil de sécurité.

  • International Crisis Group, North Africa Report n°227 : Time for International Re-engagement in Western Sahara, 2021.

  • Conseil de l’Union européenne, Conclusions sur le partenariat UE-Algérie, 2022.

  • Ministère allemand des Affaires étrangères, Positionspapier zur Reform des Conseil de sécurité de l’ONU, 2023.

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