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Billet de blog 8 août 2025

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La France face à l’Algérie : le prix d’un aveuglement stratégique

En confrontant Alger pour des raisons politiciennes, Paris s’isole et se prive d’un marché clé. Héritage colonial, lobbies, myopie stratégique : la France risque de perdre l’Afrique une seconde fois. Paris suspend, Alger abroge — signe que le rapport de force s’est inversé. Cette fois, c’est Alger qui siffle la fin de la partie.

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Comment Paris se prive de l'Afrique par ses erreurs

En 2013, Paris et Alger signaient un accord présenté comme un jalon majeur de « normalisation » : facilités de visas pour les détenteurs de passeports diplomatiques et de service, accès simplifié aux marchés publics, avantages immobiliers réciproques pour les institutions culturelles et diplomatiques. Un texte voulu par François Hollande pour tourner la page des crispations historiques. Douze ans plus tard, l’histoire se termine dans un fracas diplomatique. Point souvent oublié : c’est la France qui fut à l’initiative de cet accord, et non l’Algérie — contrairement à ce que suggèrent de nombreux commentaires médiatiques.

Quand Paris annonce « suspendre » l’accord, comme pour se laisser une porte entrouverte, Alger répond par un mot qui claque comme un coup de sifflet final : « abrogation ». Plus de retour en arrière, plus de faux-semblants — l’accord est mort, et toute reprise nécessitera de tout renégocier, ligne par ligne, sur une feuille blanche. Ce n’est pas un simple geste technique : c’est un message politique limpide. L’Algérie envoie dire à Paris qu’elle en a fini avec les demi-mesures et les petites hypocrisies diplomatiques.

Les conséquences sont immédiates et lourdes : fin des facilités d’entrée et de circulation pour les diplomates français, remise en cause des avantages immobiliers accordés aux institutions françaises, gel de programmes bilatéraux entiers. Mais le symbole dépasse ces aspects pratiques : Alger montre qu’elle ne subit plus, qu’elle fixe désormais le tempo, et qu’elle ne craint pas d’engager un bras de fer si la France persiste à l’humilier publiquement.

C’est un avertissement sans fard : continuer sur cette voie, c’est s’exposer à une escalade dont les conséquences pour Paris seraient incalculables, bien au-delà du seul champ bilatéral. Car en rompant ainsi, Alger sait aussi que la France se coupe d’un levier stratégique en Afrique et en Méditerranée. Et dans cette partie, c’est l’Algérie qui vient de siffler la fin du match.

Un passé colonial qui freine Paris

La relation franco-algérienne reste prisonnière d’un vieux logiciel. Paris, héritière d’un passé colonial lourd, semble incapable de concevoir l’Algérie comme un partenaire à égalité, alors que les équilibres économiques et géopolitiques s’inversent.

Historiquement, l’indépendance algérienne en 1962 fut bien plus qu’une décolonisation nationale : elle agit comme un détonateur pour l’ensemble des indépendances africaines francophones. Sans ce basculement, il est probable que les indépendances marocaines et tunisiennes de 1956, puis celles d’Afrique subsaharienne en 1960, n’auraient pas été obtenues aussi rapidement.

Ce n’était pas un geste de bienveillance : Paris avait accordé plus tôt l’indépendance au Maroc et à la Tunisie par calcul stratégique, pour éviter de se battre sur trois fronts et concentrer ses forces sur la guerre d’Algérie. Cette mémoire reste vive : pour Alger, son indépendance est un acte fondateur qui dépasse ses frontières ; pour Paris, c’est un traumatisme impérial qui conditionne encore les réflexes politiques.

Comment Paris se marginalise face à l’Italie, aux États-Unis et à l'Allemagne

Les signaux d’isolement se multiplient. La visite en Algérie de Massad Boulos, émissaire américain, sans escale à Rabat, a été vécue au Maroc comme une humiliation : un signe que Washington traite Alger comme un État souverain de plein droit, là où Rabat reste arrimé à Paris. Cette frustration marocaine a été alimentée par une campagne médiatique relayant une fausse lettre de Donald Trump au roi Mohammed VI — inexistante, mais destinée à sauver la face.

Pendant ce temps, l’Italie et l’Allemagne consolident leurs positions. En 2025, Rome reste le premier partenaire gazier de l’Algérie, avec de nouveaux chantiers d’hydrogène vert et de connectivités portuaires et numériques déjà engagés, renforçant à la fois les flux commerciaux et l’intégration technologique entre les deux rives et plus de quarante accords signés lors d’une fastueuse visite d’État. Berlin, de son côté, a invité Abdelmadjid Tebboune pour une visite d’État et acté une coopération renforcée dans le solaire, la formation technique et l’hydrogène, notamment à travers le projet South2 Corridor, dont le tracé contourne la France.

Dans le même temps, la France tente de rattraper son retard. Le géant maritime CMA CGM, fleuron tricolore du transport et de la logistique, cherche à investir massivement — plusieurs milliards d’euros — dans la modernisation et la gestion de ports algériens stratégiques. Mais ces projets restent gelés, conséquence directe de la détérioration des relations politiques.
Résultat : pendant que Paris piétine, Rome avance, intégrant déjà Alger dans sa stratégie portuaire méditerranéenne, un réseau de corridors maritimes et ferroviaires connectant l’Algérie au cœur industriel de l’Europe. Côté français, CMA CGM se heurte à un mur politique : la diplomatie bloque ce que l’économie réclame, laissant le terrain libre aux concurrents.

À Paris, cette concurrence est vécue comme un camouflet. Sur certaines chaînes d’opinion, on entend que “l’Italie ne craint pas assez la France pour commercer avec Alger” — aveu implicite d’un néo-colonialisme toujours présent dans l’imaginaire politique français.

Lobbies : qui fausse le débat français ?

La diplomatie française vis-à-vis de l’Algérie est influencée par des réseaux d’intérêts qui ne se cachent plus.
Lobbies pro-marocains: inquiets de la montée en puissance d’Alger et actifs dans les médias et les cercles politiques.
Réseaux pro-israéliens: opposés de longue date à la position algérienne sur la Palestine.
Héritiers des intérêts coloniaux: soucieux de préserver une vision hiérarchisée des relations.

Le scandale dit du “Marocgate” au Parlement européen (2022-2023) a révélé des pratiques de cash-for-influence impliquant l’ex-eurodéputé Pier Antonio Panzeri et le diplomate marocain Abderrahim Atmoun, visant à influencer les votes sur le Sahara Occidental et les droits humains. Ces méthodes trouvent un écho en France, où des chiffres gonflés sur l’AFD ou l’aide publique à l’Algérie circulent sans vérification.

L’affaire AFD : chiffres gonflés et communication politicienne

En 2025, plusieurs personnalités, dont Sarah Knafo (Reconquête!), ont affirmé que l’Algérie recevrait 800 millions d’euros par an de la France, allant jusqu’à évoquer 9 milliards dans ses vidéos devenues virales. Ces montants amalgamaient transferts privés, budgets multilatéraux et programmes régionaux, sans rapport direct avec Alger.

En réalité, l’AFD n’opère pas en Algérie : le pays refuse l’endettement extérieur. Les données officielles situent l’aide publique au développement à environ 132 millions d’euros, principalement via des projets profitant aux entreprises françaises. On est donc loin d’un “chèque annuel” versé par Paris. Cette exagération illustre la facilité avec laquelle certains discours trouvent un écho dès qu’ils permettent de cibler un adversaire extérieur.

Maroc vs Algérie : un contraste économique

Le Maroc a longtemps été présenté comme la “vitrine stable” du Maghreb. Mais derrière cette image, les fragilités structurelles sont profondes : chômage des jeunes dépassant 22 % (Banque mondiale, 2023 - 37%  selon le Haut Commissariat au Plan Marocain), forte dépendance au tourisme, à l’immobilier et aux transferts de la diaspora. Sa diplomatie du phosphate, fondée sur l’exploitation illégale des ressources du Sahara Occidental, est fragilisée par les normes environnementales : ce phosphate est l’un des plus chargés en cadmium au monde, métal lourd toxique dont l’usage agricole est de plus en plus restreint en Europe.

L’Algérie, de son côté, dispose d’atouts structurels souvent sous-estimés : un marché de 45 millions d’habitants, des ressources diversifiées, et une politique publique qui privilégie l’investissement productif. Contrairement au Maroc, elle a réduit sa dépendance alimentaire et investi dans les filières stratégiques.

Classement économique : l’Algérie parmi les économies à revenu intermédiaire-supérieur, contrairement au Maroc

Selon les dernières données du Groupe de la Banque mondiale, en juillet 2024 l’Algérie a été reclassée au sein des économies à revenu intermédiaire‑supérieur, aux côtés de puissances émergentes comme la Turquie ou le Brésil. En revanche, le Maroc figure toujours dans la catégorie des revenus intermédiaires inférieurs.

Investissements étrangers : un basculement silencieux
Les cinq dernières années ont vu affluer des capitaux étrangers vers l’Algérie, signe d’un changement de perception des investisseurs.

Secteur énergétique
Accords avec ENI (Italie) et TotalEnergies pour le gaz naturel et l’hydrogène vert.
Coopération avec l’Allemagne sur le solaire (Desertec 2.0).
Partenariats avec la Chine et la Turquie pour la construction de centrales électriques.

Industrie lourde et matériaux
Projets sidérurgiques avec Tosyali (Turquie) et investissements italiens dans la production d’acier.
Développement du complexe intégré fer de Gara Djebilet, et le projet intégré de phosphate de Tebessa/Bejaia avec extraction à faible teneur en cadmium.

Agro-industrie
Contrats avec des groupes italiens, canadiens et brésiliens pour la production de céréales et le dessalement de l’eau de mer.
Modernisation de la filière laitière avec Danone Algérie et Lactalis, en partenariat avec des coopératives locales.

Automobile et transport
Usine FIAT à Oran, bientôt suivie par un projet Volkswagen.
Création d’une filière locale de composants, avec transfert de technologie.

Logistique et infrastructures
Lancement du port de Cherchell pour le transbordement international.
Modernisation du réseau ferré avec un projet de LGV reliant l’Est et l’Ouest.
Développement de la route transsaharienne et d’un réseau de fibre optique jusqu’à la frontière nigérienne, ouvrant de nouvelles perspectives commerciales vers l’Afrique subsaharienne

Investissements internes : une politique volontariste
L’État algérien finance aussi massivement des projets structurants :

LGV/Train : doublement des lignes stratégiques, amélioration du fret pour l’exportation.
Mines : exploitation du gisement de fer de Gara Djebilet et valorisation locale en acier.
Phosphate intégré : production nationale d’engrais à faible cadmium, réduisant la dépendance aux importations.
Nouvelles technologies : retour de talents comme l’Algéro-Canadien Karim Zaghib, expert mondial des batteries, pour piloter des projets de stockage énergétique.
Gestion de l'eau: l’Algérie réalise aussi un exploit discret mais stratégique dans la gestion de l’eau. Les stations de dessalement, autrefois conçues et gérées par des consortiums étrangers, sont désormais construites, maintenues et exploitées majoritairement par des équipes algériennes, réduisant drastiquement la dépendance aux pièces importées. Cette montée en compétence permet de livrer des infrastructures en un temps record, garantissant l’approvisionnement des zones côtières et industrielles, tout en bâtissant une véritable filière locale du dessalement capable de rivaliser à l’échelle méditerranéenne.


Une dynamique économique soutenue

Selon l’Office national des statistiques (ONS), la croissance hors hydrocarbures a atteint +5,7 % au premier trimestre 2025, tirée par l’agriculture, la construction et l’industrie manufacturière. Les réserves de change dépassent 70 milliards USD, offrant une marge de manœuvre rare dans la région.

Cette dynamique est aussi démographique : la classe moyenne progresse, soutenue par une politique de redistribution ciblée sur le logement, les salaires publics et les subventions énergétiques. 


Les perspectives régionales : Sahel, Sahara Occidental, Émirats

La reconfiguration diplomatique autour de l’Algérie ne se limite pas à sa relation bilatérale avec Paris. Elle s’inscrit dans un jeu régional où les lignes bougent rapidement, du Sahel aux monarchies du Golfe.

Au Sahel, l’Algérie entretient une relation ambiguë avec l’Alliance des États du Sahel (AES – Mali, Burkina Faso, Niger). Officiellement, Alger défend la stabilité et la souveraineté de ces États, mais les divergences sont nettes. Les régimes militaires sahéliens, soutenus par un afflux de financements et de promesses d’investissements en provenance des Émirats arabes unis et du Maroc, voient dans Alger un acteur concurrent, trop indépendant pour se plier à leur diplomatie transactionnelle. L’Algérie, qui a longtemps servi de médiateur dans les conflits régionaux, se retrouve aujourd’hui en position d’observateur vigilant, privilégiant la sécurisation de ses frontières et ses propres intérêts économiques à toute ingérence directe.

Sur le Sahara Occidental, la fracture reste totale entre Alger et Rabat. Le soutien constant de l’Algérie au Front Polisario, en contradiction avec la position marocaine et les reconnaissances partielles du “plan d’autonomie”, maintient ce dossier comme un verrou stratégique. Mais les évolutions récentes fragilisent la diplomatie du phosphate marocain : les critiques internationales sur l’exploitation illégale des ressources sahariennes, combinées à la mise en avant par Alger de ses propres gisements de phosphates à très faible teneur en cadmium – en particulier via le projet intégré de phosphate de Tebessa/Bejaia et dans une autre mesure via le projet intégré fer de Gara Djebilet/Tindouf/Bechar – changent la donne sur les marchés. Le Maroc, qui utilisait son avantage phosphatier comme levier diplomatique, voit désormais ce capital s’éroder.

Les Émirats arabes unis complètent ce tableau. Partenaires économiques du Maroc, ils cherchent à étendre leur influence en Afrique du Nord et au Sahel via des investissements massifs et une diplomatie directe. Leur implication croissante dans les infrastructures, la logistique et les télécoms du Maroc est vue par Alger comme une tentative de remodeler les équilibres régionaux. En réponse, l’Algérie renforce ses liens avec le Qatar et diversifie ses alliances avec l’Italie, l’Allemagne, la Turquie et la Chine, tout en consolidant ses coopérations énergétiques avec les États-Unis.


L’humiliation diplomatique de Rabat : l’épisode Massad Boulos

La tournée nord-africaine de Massad Boulos, émissaire américain et figure influente des réseaux économiques proches de Donald Trump, a constitué un tournant diplomatique de l’été 2025. En choisissant délibérément de se rendre à Alger puis à Tunis sans faire escale à Rabat, Boulos a envoyé un signal géopolitique d’une rare clarté : Washington considère désormais l’Algérie comme un partenaire stratégique de premier plan, tandis que le Maroc apparaît comme un allié secondaire, cantonné à un rôle plus régional.

Cette omission volontaire a été perçue à Rabat comme une humiliation au sommet de la monarchie alaouite. Les cercles proches du palais ont parlé en privé de “désintérêt blessant” et d’un “signal négatif” envoyé à un moment où le Maroc comptait justement capitaliser sur son rôle dans les dossiers sahariens et sécuritaires pour renforcer ses liens avec Washington. La déception est d’autant plus vive que Rabat avait multiplié ces dernières années les gestes en direction des États-Unis – notamment en matière de normalisation avec Israël et de coopération militaire – dans l’espoir d’obtenir un soutien plus marqué sur le Sahara Occidental.

Sur les réseaux sociaux, l’affaire a pris une ampleur inattendue. Les hashtags dénonçant un “camouflet diplomatique” ou évoquant un “revers humiliant” se sont propagés, dopés par les vidéos de manifestations à Tanger, où une partie de la population a exprimé sa colère contre la situation économique et la perception d’un isolement diplomatique croissant. Cette agitation numérique et de rue a mis en lumière une faille dans la narrative officielle d’un Maroc “incontournable” sur la scène internationale.

C’est dans ce climat que Mohammed VI prononce un discours du trône inattendu : il y évoque la fin des tensions avec l’Algérie, « sans vainqueur ni vaincu ». Lu en France comme une main tendue, ce langage diplomatique s’apparente plutôt, pour les spécialistes, à un aveu d’échec stratégique : après des années de confrontation, le Maroc n’a pas obtenu la reconnaissance internationale de sa position sur le Sahara et voit Alger renforcer ses alliances.

C’est dans ce climat tendu que l’intervention publique d’Emmanuel Macron sur l’Algérie, le 6 août 2025, prend un relief particulier. Pour plusieurs analystes, la sortie présidentielle a eu pour effet – sinon pour objectif – de reprendre l’espace médiatique et de détourner l’attention d’un épisode qui affaiblissait non seulement Rabat, mais aussi la ligne pro-marocaine défendue par certains cercles parisiens. La coïncidence temporelle est trop parfaite pour ne pas alimenter les spéculations : la “claque Boulos” à Rabat aurait servi de toile de fond à une offensive verbale française contre Alger, histoire de rééquilibrer l’image et de rassurer certains alliés diplomatiques au Maghreb.

L’épisode révèle surtout un changement de paradigme dans le triangle Washington–Alger–Rabat. En snobant Rabat, les États-Unis montrent qu’ils sont désormais prêts à traiter Alger comme un acteur stratégique indépendant, capable de jouer un rôle clé dans les dossiers énergétiques, sahéliens et méditerranéens – sans passer par le filtre français ou marocain. Pour Alger, c’est une confirmation que sa politique de diversification des alliances, notamment vers la Russie, la Chine, l’Italie et maintenant les États-Unis, porte ses fruits.

Paris, dans cette nouvelle équation, semble en position défensive. Incapable d’imposer une ligne autonome vis-à-vis d’Alger, dépendante d’alliances avec Rabat qui montrent leurs limites, la diplomatie française apparaît de plus en plus comme un acteur périphérique, réagissant aux événements plutôt que les provoquant. Dans le jeu à trois entre Washington, Alger et Rabat, la France court désormais le risque de devenir un spectateur, voire un simple commentateur, d’une partie qu’elle a longtemps prétendu arbitrer.


Cinq pistes de coopération France–Algérie

Pour sortir de l’impasse actuelle et éviter que Paris ne devienne un acteur périphérique dans la région, cinq axes concrets pourraient structurer une nouvelle relation équilibrée :

  • Énergie et hydrogène vert
    Développer des projets conjoints de production et d’exportation d’hydrogène vert, combinant le savoir-faire technologique français et les atouts climatiques et fonciers algériens. L’Algérie dispose déjà d’accords avancés avec l’Allemagne et l’Italie ; il est encore temps pour la France d’entrer dans la course.
  • Industrie et transfert de technologie
    Co-produire des véhicules électriques et thermiques avec une part croissante de composants locaux. Après l’implantation de Fiat et les discussions avancées avec Volkswagen, Paris pourrait proposer une plateforme franco-algérienne pour la mobilité durable, avec transfert de compétences et formation.
  • Agroalimentaire et sécurité hydrique
    Coopérer sur le dessalement de l’eau de mer, les semences à haut rendement et la modernisation des filières céréalières. L’Algérie investit massivement dans l’autosuffisance alimentaire et pourrait bénéficier d’un partenariat technique français, notamment via des coopératives agricoles mixtes.
  • Éducation et recherche
    Mettre en place des doubles diplômes dans les secteurs stratégiques – énergie, numérique, intelligence artificielle, agronomie – en associant grandes écoles françaises et universités algériennes. Le retour au pays de chercheurs comme l’Algéro-Canadien Karim Zaghib, expert mondial des batteries, montre le potentiel de cette dynamique.
  • Sécurité et diplomatie régionale
    Relancer un dialogue stratégique discret sur le Sahel, la Méditerranée et les flux migratoires. La France pourrait accepter que l’Algérie joue un rôle de médiateur, plutôt que de chercher à imposer ses vues par le biais de Rabat ou de l’UE.

Conclusion géopolitique et économique

L’Algérie n’est plus un acteur passif dans le jeu franco-africain. Sa montée en puissance économique, sa diversification diplomatique et sa stabilité politique relative dans une région agitée la placent aujourd’hui au centre de plusieurs dynamiques stratégiques. Les investissements étrangers se multiplient :

Céréales : modernisation des silos et importations ciblées pour équilibrer les stocks stratégiques.
Lait : partenariat avec des producteurs européens, américains et surtout qatari  pour développer la filière locale et réduire la dépendance.
Électricité : projets de centrales solaires et interconnexions régionales via Medlink.
Gaz et acier : renforcement des capacités d’exportation vers l’Italie et l’Espagne, et montée en gamme des produits sidérurgiques.
Automobile : usine Fiat en production, discussions avec Volkswagen pour un second site.

Pour Paris, la conclusion est claire : continuer à s’arc-bouter sur une posture pro-marocaine exclusive, en sous-estimant la transformation profonde de l’Algérie, c’est risquer de se couper durablement d’un marché de 45 millions d’habitants, d’une puissance énergétique majeure et d’un acteur diplomatique central en Méditerranée. La perte ne serait pas seulement commerciale : elle serait stratégique, car elle priverait la France d’un relais clé vers l’Afrique et d’un partenaire capable de peser sur les dossiers sécuritaires du Sahel et de la Méditerranée occidentale.

Alors, l’Algérie est-elle aussi isolée que l’on essaie de nous le faire croire ? Ou bien faudrait-il admettre que, dans ce dossier comme dans tant d’autres, la réalité est souvent l’exact contraire de la version servie au grand public lorsque l’analyse émane de Paris ? La France a encore le choix : persister dans le déni, prisonnière de récits façonnés par ses lobbies et de réflexes hérités du passé colonial, ou accepter de bâtir un partenariat d’égal à égal avec Alger, fondé sur des intérêts mutuellement assumés.

L’histoire jugera de sa capacité à choisir la seconde voie. Mais le temps presse : dans un monde où les places se gagnent ou se perdent rapidement, rester figé dans l’illusion d’une centralité perdue pourrait bien être le plus coûteux des paris.

Et, pour ce qui est de Boualem Sansal et Christophe Gleizes, condamnés respectivement à cinq et sept ans de prison en Algérie pour « atteinte à l’unité nationale » et « apologie du terrorisme », Emmanuel Macron — comme une partie de la droite politique française — semble saisir chaque incident diplomatique comme prétexte pour attaquer Alger. On assiste à une résurgence symbolique du « coup de l’éventail du dey », cette logique de réaction disproportionnée héritée d’un imaginaire colonial. Pendant ce temps, d’autres Français détenus à l’étranger, comme le Franco-Marocain défenseur des droits humains Maati Monjib — incarcéré dans les tristement célèbres prisons héritées de Hassan II, où la torture demeure dénoncée par de nombreuses ONG — ou encore les prisonniers français Cécile Kohler, Jacques Parisen et le franco-allemand Lennart Monterlos en Iran, ne bénéficient pas du même traitement médiatique ni politique. Selon les chiffres du ministère des Affaires étrangères, au 1er septembre 2024, 1 658 ressortissants français étaient incarcérés à l’étranger, sans que cela ne suscite un tel battage public.


Sources

ONS Algérie, Comptes nationaux T1 2025
Banque mondiale, PIB/habitant 2024, Indicateurs chômage Maroc 2023
FAO, Rapport agriculture Algérie 2024
AFD, Communiqué juillet 2025
Mediapart, “Réseaux pro-marocains à Paris”, 2024
Le Monde diplomatique, “Malentendus France-Algérie”, 2023
Politico, “Marocgate: Cash-for-influence scandal”, 2023
Financial Times, “Morocco influence probe”, 2023
Déclarations officielles de Massad Boulos, août 2025
Discours du roi Mohammed VI, août 2025
Ministère de l’Énergie algérien, rapports 2024–2025
Presse algérienne : El Moudjahid, APS

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