Rima Hassan a finalement succombé aux pressions et aux calculs, révélant le personnage politique qu’elle incarnera désormais. Elle l’a montré sur Instagram, en infantilisant ses propres partisans à la manière de Jean-Luc Mélenchon, puis en les achevant par une leçon méprisante : la Palestine, dit-elle, a besoin de soutiens « plus solides et plus intelligents » qu’eux. Comme si ceux qui l’ont portée n’étaient qu’un public acquis et interchangeable. Comme si elle seule incarnait la cause palestinienne. Mais son réveil risque d’être brutal, car la communauté qui l’a soutenue ne pardonne pas les traîtres et connaît cette cause depuis bien plus longtemps qu’elle. Elle l’a défendue avant elle, et elle la défendra après elle. L’opportunisme et son corollaire individualiste, voilà ce qui tue les causes. Mélenchon pense encore avoir une chance en 2027, mais il vient de perdre, au profit de De Villepin, une part majeure de son électorat.
Rima Hassan a commis une faute politique et morale qui restera comme un tournant dans sa trajectoire. Elle qui se présentait comme l’incarnation de la constance, de la lutte anticoloniale et du droit international, a cédé face aux pressions marocaines, trahissant une partie de ses propres principes. Le paradoxe est criant : elle qui dénonçait l’hypocrisie occidentale sur la Palestine adopte aujourd’hui, à propos du Sahara Occidental, une géométrie variable qui relativise l’essentiel. Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne peut être absolu à Gaza et négociable à Laâyoune. Ce double standard fragilise son crédit moral et brise l’unité de ligne qui faisait sa force.
Le drame est que cette volte-face ne se comprend pas seulement comme une erreur individuelle, mais comme un calcul politique. En France, où les tensions diplomatiques avec Alger sont à leur comble, où la diaspora algérienne est stigmatisée et où les réseaux d’influence marocains sont actifs, elle a cru habile de flatter les uns au détriment des autres. Les Franco-Algériens, pensait-elle, sont acquis à la cause palestinienne et ne bougeront pas. Les Marocains, eux, exercent une pression plus directe, et c’est à eux qu’il fallait faire un geste. Mais ce raisonnement est une illusion. Car si les Franco-Algériens ne se détourneront jamais de la Palestine, ils se détourneront d’elle. Ils ne confondent pas la cause avec une figure. Et ils savent reconnaître la trahison, comme leur histoire l’a enseigné.
Cette erreur stratégique est d’autant plus grave qu’elle nie la réalité européenne. Car l’Algérie n’est pas isolée en Europe, seulement en France. À Madrid, à Bruxelles, à Berlin, à Rome, la cause sahraouie garde une légitimité et le partenariat avec Alger est recherché. En pensant franco-français, Rima Hassan se trompe d’échelle : ce qui semble rentable dans le microcosme parisien l’affaiblit au Parlement européen, où le Polisario reste reconnu comme interlocuteur légitime. Elle sacrifie la cohérence internationale pour un calcul local et éphémère.
Mais le plus grave n’est pas seulement tactique, il est moral. La Palestine a toujours soutenu le Sahara Occidental, et le Sahara Occidental a toujours été solidaire de Gaza. Les deux causes sont jumelles, deux luttes contre l’occupation et pour l’autodétermination. Le Maroc, lui, est un allié stratégique d’Israël, engagé dans les accords d’Abraham, partenaire militaire et sécuritaire de Tel-Aviv. S’aligner sur la ligne marocaine, c’est objectivement s’inscrire dans un axe qui contribue au siège de Gaza. Comment peut-on se dire porte-parole de la Palestine et valider, même implicitement, la colonisation du Sahara Occidental par l’allié direct d’Israël ?
Il y a dans cette posture une incohérence insoutenable. Elle dénonce le colonialisme quand il est occidental, mais elle le relativise quand il est arabe. Elle répète en somme que « la colonisation, entre frères, c’est acceptable ; la colonisation par les autres, c’est intolérable ». Mais où est la différence ? Les Israéliens ne sont-ils pas eux aussi des frères abrahamiques, descendants d’Abraham comme les Arabes ? Pourquoi tolérer chez un voisin ce que l’on combat chez un autre ? Ce relativisme détruit l’universalité de la lutte anticoloniale et la réduit à un instrument conjoncturel.
Elle adhère désormais aux thèses du « Grand Maroc », et dans son argumentaire bancal, elle déforme les arrêtés de l’ONU comme les arrêts de la CJUE sur la question du Sahara Occidental. Elle va jusqu’à affirmer que les Sahraouis sont la véritable raison du problème entre le Maroc et l’Algérie, minimisant ainsi des velléités expansionnistes qui existent à Rabat depuis bien avant qu’Israël n’apparaisse comme allié. Elle oublie que c’est l’Algérie qui a toujours pardonné au Maroc, et qu’aujourd’hui, elle doit accepter le droit des Algériens de tourner la page, une bonne fois pour toutes. Car c’est là le meilleur des cas : sinon, la guerre éclatera — et Rima le sait — le Maroc ne fera pas le poids, même flanqué de ses alliés français et israéliens. Le divorce est consommé entre les deux « frères ».
Elle ose même reprendre l’argument du Maroc selon lequel il aurait « investi des milliards » dans les territoires occupés, en omettant que ces milliards viennent du pillage des ressources naturelles sahraouies : phosphates, pêche, énergie. Ces investissements ne profitent pas aux Sahraouis mais aux colons marocains, exactement comme Israël qui construit routes, logements et infrastructures au bénéfice exclusif des colons en Cisjordanie. Justifier une colonisation par des « investissements » est l’argument classique des occupants : c’est confondre développement et dépossession.
Les Marocains et les Algériens partagent certes une langue et une religion, mais ils n’ont plus, depuis longtemps, de socle commun de culture et de valeurs qui fonde leur nation respective. Le Maroc continue de tenter de voler la culture algérienne pour la vendre aux touristes comme sienne, mais l’histoire, elle, n’est plus commune depuis bien longtemps. Les Marocains pactisent avec l’ennemi, tandis que la constance algérienne sur les valeurs du décolonialisme ne fait pas débat à travers le monde. Rima le sait pourtant, et c’est ce qui rend son revirement encore plus grave.
En adoptant cette ligne, Rima Hassan oublie d’où elle vient. Elle oublie que ce sont les Franco-Algériens, respectueux et loyaux, qui l’ont propulsée comme symbole. Elle oublie que l’admiration dont elle jouissait venait de cette fidélité, de cette capacité à incarner une cohérence. En s’identifiant à Larbi Ben M’hidi, elle s’est placée dans la filiation des combattants prêts à payer de leur vie pour ne pas trahir. Mais Ben M’hidi n’a jamais cédé aux pressions, lui qui disait qu’il fallait jeter la révolution dans la rue pour que le peuple la prenne en charge. En comparaison, sa posture paraît dérisoire : des like malheureux sur des commentaires vantant les affabulations marocaines, un refus de s’excuser, et une victimisation publique qui insulte plus qu’elle ne rassemble.
La réalité est que la majorité des Marocains en France et ailleurs s’allie depuis longtemps à l’extrême droite, et de plus en plus aujourd’hui, pour attaquer en continu l’Algérie. L’Algérie, elle, a choisi de tourner la page, avec le Maroc mais aussi avec la France, prisonnière des lobbys israéliens et marocains. Les Franco-Marocains voteront pour quiconque fera avancer l’agenda du Roi. Les Algériens, eux, votent à gauche - pour le moment - pour ceux qui portent les mêmes valeurs qu’eux, indépendamment des pressions. Pour Alger, Paris est devenu une cause perdue.
Pour les militants des causes justes Rima Hassan est au décolonialisme ce que Bruno Retailleau est au gaullisme : une carriériste affairiste qui a raté l’occasion de devenir le symbole de la gauche décoloniale disparue en France.
Il ne reste debout aujourd’hui que Dominique de Villepin, mais jusque quand ?
La vérité, c’est qu’elle a pris la grosse tête. Elle croit incarner à elle seule la Palestine, alors qu’elle n’en est qu’une voix. Elle oublie que la cause ne se réduit pas à une personne, encore moins à une stratégie électorale à courte vue. La Palestine survivra à ses volte-face. Les Franco-Algériens continueront à défendre Gaza, car c’est dans leur mémoire, dans leur chair, dans leur histoire. Mais ils se détourneront d’elle, car ils n’acceptent pas qu’une figure née de leur soutien se retourne contre eux. Elle découvrira alors le prix de l’effort, le prix de la fidélité, le prix de l’histoire. Car dans les luttes de libération, la loyauté n’est pas un luxe : c’est une colonne vertébrale. Et ceux qui la brisent finissent toujours par perdre le socle sur lequel ils croyaient régner.
Reste alors une question : est-elle mieux, in fine, que ceux qui avant elle ont vendu la cause palestinienne, cette cause-mère de toutes les luttes de décolonisation ? Car si l’on accepte que la colonisation puisse être tolérée entre « frères arabes », pourquoi ne pas souscrire aussi aux thèses israéliennes affirmant que l’État palestinien existe déjà en Jordanie ? La constance apporte le respect. Les calculs électoraux et la soumission aux lobbys n’enseignent qu’une seule leçon : ceux qui retournent leur veste sur une cause juste finiront toujours par être reniés, non seulement par leurs soutiens, mais par l’Histoire. L’Histoire, elle, n’appartient pas à ceux qui calculent, mais à ceux qui tiennent bon.