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Billet de blog 29 juillet 2025

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Le gaullisme agricole ou la reconquête de notre souveraineté

Vingt ans après le référendum bafoué de 2005, une nouvelle fracture démocratique s’ouvre autour de la loi Duplomb. Face à l’échec de l’Europe, à la soumission des élites et à l’explosion des cancers liés à l’agro-industrie, un mouvement citoyen exige le retour d’un État stratège. Une France nourricière, digne, indépendante. Un gaullisme agricole du XXIe siècle.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En 2005, les Français ont dit non à la Constitution européenne. Ce non a été clair, net, souverain. Trois ans plus tard, Nicolas Sarkozy – qui affirme à qui veut l’entendre qu’il est l’héritier naturel de De Gaulle – l’a balayé d’un vote au Parlement. Le peuple a parlé, on a décidé sans lui. Ce jour-là, quelque chose s’est brisé dans notre démocratie.
Cette fracture originelle, jamais réparée, a ouvert la voie à une dérive durable du pouvoir. Vingt ans plus tard, presque jour pour jour, l’histoire se répète avec la loi Duplomb. Une nouvelle fois, le pays dit non — cette fois aux pesticides, aux lobbies chimiques, à la malbouffe. Et une nouvelle fois, le pouvoir répond : circulez, il n’y a rien à voir. La loi est maintenue coûte que coûte. Les pseudo-experts rémunérés par les multinationales distribuent leurs éléments de langage dans les médias, la machine à propagande tourne à plein régime pour étouffer l’insurrection morale avant qu’elle ne dégénère en rébellion citoyenne.

Ce contraste met en lumière un déficit croissant de représentativité : tandis que des partis historiques s’effondrent dans les urnes, cette pétition, portée sans parti ni financement, devient l’expression politique la plus massive de ces dernières années. Elle révèle une rupture profonde entre le peuple et les élites, entre la société vivante et un système qui l’étouffe. Cette pétition a reçu plus de voix que le PS ou LR à la dernière présidentielle, alors que ces deux partis continuent de prétendre représenter un peuple qui les rejette chaque jour un peu plus. La virulence avec laquelle la droite rejette cette pétition est un aveu de faiblesse.

Initiée par Éléonore Pattery, une jeune femme de 23 ans, cette pétition — aux plus de 2 millions de signatures en un temps record — n’avait pas vocation à devenir un acte politique. Et son auteure, avec une maturité rare et une lucidité admirable, a immédiatement refusé de tomber dans le piège tendu par certains médias : celui de se retrouver à défendre seule une cause écrasante face au rouleau compresseur médiatique — une machine souvent alignée, de fait, sur les intérêts des lobbys. Elle a laissé le soin aux spécialistes, aux collectifs aguerris, de prendre le relais, d’éclairer l’opinion, d’informer, de structurer. Cette modestie n’a pas affaibli le mouvement : elle lui a donné de la force, du sérieux, de la profondeur.
Face à cela, la réaction des institutions est glaçante. Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale, a affirmé que « la loi sera promulguée quoi qu’il arrive », admettant tout au plus un débat, mais refusant tout recul. Elle oublie qu’en démocratie, un débat ne remplace pas un processus parlementaire légitime : le réexamen des amendements a été court-circuité. Et surtout, elle feint d’ignorer qu’avec plus de 2 millions de signataires, un référendum d’initiative partagée peut être déclenché. Ce déni institutionnel alimente la colère populaire, et pourrait bien faire vaciller l’édifice.

Tous les responsables politiques qui se réclament aujourd’hui du gaullisme — à droite, au centre, parfois même à gauche — en ont trahi l’essence. De Gaulle n’a jamais rêvé d’une agriculture livrée aux marchés mondiaux, soumise aux fluctuations des cours et aux intérêts étrangers. Il voulait une agriculture nationale, pensée comme un pilier stratégique du pays : planifiée, encadrée, avec des prix garantis, des coopératives fortes, et un maillage équilibré du territoire. Il ne parlait pas de libre-échange, il exigeait l’autosuffisance. Il ne signait pas d’accords commerciaux au rabais, il défendait les producteurs comme on défend une frontière. Aujourd’hui, ceux qui se prétendent ses héritiers valident des traités qui étranglent nos agriculteurs, acceptent que la malbouffe s’impose dans les cantines, et abandonnent la santé publique aux lobbys. L’agriculteur, autrefois cœur battant de notre souveraineté, n’est plus qu’un exécutant éreinté, contraint de produire ce qu’on lui dicte pour survivre. Mais produire quoi ? Pour qui ? À quel prix ? Le court-termisme, la rente chimique, le diktat des géants de l’agroalimentaire ont tout balayé. Il ne reste ni vision ni projet. Seulement des ruines et une colère froide qui monte.

Et n’oublions pas : se nourrir n’a jamais été un simple besoin primaire dans l’idéal français. C’est un art de vivre, une culture de la table où le goût, la convivialité et la santé forment un tout, reconnu et admiré dans le monde entier. Si nous sacrifions nos produits, nos terroirs, notre exigence du goût, que nous reste-t-il ? Quelle place reste-t-il à notre identité si même la table devient fade, formatée, toxique ?

Aux agriculteurs qui craignent de perdre leur marché à l’international, n’ayez pas peur. L’exportation a sa place, elle en aura toujours. Mais elle ne peut plus être un dogme, un totem, une prison. Produire pour l’étranger ne doit se faire que lorsqu’il y a excédent, non par principe. Une agriculture paysanne digne veut nourrir son voisin, pas des actionnaires à l’autre bout du monde. Et vous, paysans de France, êtes essentiels. Votre mission est noble. Elle ne se résume pas à une balance commerciale, elle construit la santé, la stabilité, l’âme d’un pays.
Et si nous devions commencer quelque part, c’est peut-être par vous demander pardon. Pardon de vous avoir laissés seuls pendant si longtemps, seuls à lutter contre les normes absurdes, contre les lobbys chimiques, contre les grandes surfaces qui vous pressent comme des pions jetables. Nous vous avons abandonnés, et pendant ce temps, vous, vous nourrissiez ce pays. Réconcilions-nous. Ce que nous voulons, c’est qu’une tomate ait du goût, qu’un roquefort nous saisisse les narines, qu’un melon sente le soleil. Pas des simulacres brillants sous plastique. Mais comment vous faire confiance, diront certains, si le marché reste ouvert à tout vent, si votre travail est sans cesse concurrencé par du moins-disant sanitaire, fiscal, social ? Ce n’est pas à vous qu’il faut poser la question. C’est à ceux qui signent les traités.

L’Union européenne, en perte de légitimité démocratique, continue d’agir contre l’intérêt de ses peuples. Fin juillet, elle a signé un nouvel accord avec les États-Unis, imposant aux consommateurs européens des produits traités aux hormones, aux antibiotiques, aux intrants interdits ici. Aucun contrôle, aucune réciprocité. Ce nivellement par le bas est une trahison. Une humiliation pour nos agriculteurs. Un abandon sanitaire. Pire : les engrais utilisés dans nos champs contiennent toujours du cadmium, un métal lourd toxique reconnu comme cancérigène. Le phosphate marocain, qui représente 70 % des réserves mondiales, est particulièrement riche en cadmium, à des niveaux largement supérieurs à ceux d’autres sources. Et pourtant, ces importations se poursuivent, inondent nos cultures, contaminent nos sols et nos corps. En toute légalité. En toute hypocrisie.

Les effets sont là. Les cancers explosent chez les moins de 50 ans. Rien qu’entre 1990 et 2019, l’incidence mondiale a augmenté de 79 %, et la mortalité de 27 % sur cette tranche d’âge. Les cancers colorectaux, du foie, du pancréas, du rein — tous liés au système digestif ou aux hormones — progressent rapidement, avec une nette corrélation entre leur hausse et la dégradation de l’alimentation (sources : The Lancet Oncology, 2023 ; Institut Gustave Roussy ; IARC). Si les perturbateurs endocriniens ne sont pas l’unique cause de cette hausse, leur rôle est indéniable, aggravé par une alimentation industrielle omniprésente. Et qui paie ? La Sécurité sociale. L’État. Nous. Car c’est là l’autre scandale : le mariage de connivence entre les géants de l’agrobusiness, de la chimie et du médicament. Ceux qui fabriquent la malbouffe, les intrants, les pesticides sont parfois les mêmes qui financent les traitements contre les maladies qu’ils ont contribué à provoquer. Ce n’est plus une chaîne de production : c’est une chaîne de captation. Captation des corps, des esprits, des budgets publics.

Et cela commence par affirmer clairement que l’alimentation est un enjeu stratégique, un bien commun, un pilier de notre souveraineté. Les États qui réussissent à construire des systèmes agricoles résilients l’ont compris depuis longtemps.

  • Cuba : de 2008 à 2020, réduction de 40 % des importations alimentaires grâce à l’agroécologie urbaine, avec plus de 400 000 fermes produisant 20 % des légumes du pays (FAO, 2020).
  • Algérie : réduction de 35 % des importations de blé grâce à des programmes d’irrigation et de semences ayant permis un doublement des rendements céréaliers depuis 2010 (Ministère de l’Agriculture, 2023).
  • certains états de l’Inde, mais aussi: le Kirghizistan, Bhoutan, Madagascar, Pérou, Russie, Venezuela, Zimbabwe, Algérie, Cuba bannissent la culture et l’importation d’OGMs.

Eux, ne parlent pas de gaullisme. Mais ils l’appliquent. Ils planifient. Ils protègent. Ils investissent sur le long terme. Et désormais, ce sont eux qui commencent à exporter leurs excédents sains, traçables, sans OGM, à destination d’une clientèle internationale lassée des scandales sanitaires à répétition. L’ironie est brutale : pendant que ces pays construisent un modèle vertueux, la France s’enfonce dans l’absurde. Pays de terroirs, d’appellations, de goût, elle devient une zone de transit pour des denrées sans saveur, sans âme, sans norme. Une caricature d’elle-même. Une puissance agricole déchue, incapable de défendre ses paysans, incapable d’imposer ses standards.

Mais la France n’est pas morte. Elle est encore debout. Elle a encore des femmes et des hommes capables de dire non. De se lever. De rappeler que notre souveraineté ne se brade pas. Que notre agriculture n’est pas un détail. Qu’un enfant a le droit de manger sans poison. Que le travail d’un paysan vaut plus que les dividendes d’un fonds de pension. Nous ne demandons pas un miracle. Nous exigeons un projet. Un cap. Une rupture. Nous voulons un gaullisme agricole du XXIe siècle. Pas un slogan : une politique. Une colonne vertébrale. Une volonté organisée. Une vision de long terme. Un véritable gaullisme agricole repose sur trois piliers simples et solides:

  • Un monopole territorial pour les filières essentielles – fruits, légumes, céréales, protéines. Il ne s’agit pas d’interdire l’importation, mais de garantir que la France peut, à tout moment, nourrir ses enfants. Avant d’exporter, on nourrit les siens. Avant de spéculer, on planifie.
  • Un grand service public d’investissement agricole : transformation écologique, mutualisation des outils, relocalisation des filières.
  • Une fiscalité offensive contre les produits ultra-transformés et les importations toxiques, et une fiscalité incitative pour le local de qualité : baisse de TVA, soutien aux cantines vertueuses.

Ce n’est pas un rêve. C’est un devoir. Et c’est un choix politique clair : celui du dirigisme assumé. Car contrairement aux dogmes libéraux, le marché ne régule pas tout. Le marché, en matière agricole, tue. Et cette colonne vertébrale existe déjà. La marque C’est qui le patron ?! garantit un revenu décent au producteur, en alignant les prix sur les attentes des consommateurs éclairés. Acheter en AMAP, aller au marché, soutenir Biocoop, ce sont des actes de résistance pacifique. Des gestes qui construisent une autre société.

En septembre, cette mobilisation pourrait bien dépasser celle des gilets jaunes. Non pas par la colère brute, mais par la structuration. Ce mouvement, porté par la société civile, les familles, les agriculteurs, les médecins, les consommateurs, a déjà les contours d’un nouveau Tiers-État. À l’aube d’une crise sociale majeure, l’Europe est à la croisée des chemins. Avec le traité signé avec les États-Unis, comment s’adaptera-t-elle pour se protéger d’un dumping agricole qui ne dit pas son nom ? Se soumettra-t-elle ou assumera-t-elle enfin sa mission protectrice ? L’heure n’est plus à l’aveuglement : elle est à la décision.

Signez la pétition d’Éléonore Pattery : https://www.change.org/p/stop-loi-duplomb

Rejoignez une AMAP, achetez local : chaque geste est un pas vers la reconquête de notre souveraineté alimentaire.

Sources :

  • The Lancet Oncology, 2023 — Global Burden of Early-Onset Cancer
  • Institut Gustave Roussy — Étude cancers précoces (2023)
  • IARC — Fiche toxicologique du cadmium
  • FAO — Agroecology in Cuba: 2008–2020 overview
  • Ministère de l’Agriculture d’Algérie, 2023 — Rapport sur l’autosuffisance et les rendements céréaliers
  • Commission européenne, 2018 — Cadmium in phosphate fertilizers
  • INRAE — Effets des pesticides et perturbateurs endocriniens
  • Corporate Europe Observatory — Toxic Liaisons, 2022
  • C’est qui le patron ?! — www.lamarqueduconsommateur.com
  • Pétition loi Duplomb : https://www.change.org/p/stop-loi-duplomb

Nota bene : Deux sujets essentiels mériteraient un développement ultérieur, tant leur impact sur l’avenir agricole est décisif.

D’abord, la place centrale de l’agriculteur dans le cycle de la biodiversité : sans lui, pas de sols vivants, pas de pollinisateurs, pas de régénération naturelle. Une agriculture relocalisée, respectueuse des équilibres, est aussi un rempart contre l’effondrement écologique.

Ensuite, la captation structurelle des aides de la PAC : une majorité de ces fonds européens, censés soutenir les agriculteurs, sont accaparés par une minorité d’exploitations industrielles ou de grandes fortunes foncières, pendant que les producteurs locaux, eux, reçoivent des miettes. Une réforme radicale s’impose pour que la PAC redevienne un instrument de justice agricole et non un levier d’aggravation des inégalités.

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