Lors de mon premier jour en tant que boursier à l'Académie américaine de Berlin, au milieu du mois de janvier, l'une des autres nouvelles arrivantes, une Allemande qui vit aux États-Unis depuis trois décennies, a fait remarquer que la vue sur le lac Wannsee était magnifique depuis la salle à manger de la villa où logent les boursiers, et qu'elle serait encore plus belle au printemps. « En tant que Juif », a répondu un autre boursier, « je ne peux tout simplement pas regarder cette vue sans me rappeler que cette maison était occupée par un nazi qui a été jugé à Nuremberg, ou que nous ne sommes qu'à quelques pas de la villa où s'est tenue la conférence de Wannsee. »
« En tant que Juif » : cette expression m'a toujours mis mal à l'aise, même si je l'ai moi-même parfois utilisée. Trop de phrases défendant l'indéfendable ont commencé par-là, surtout depuis le 7 octobre. Elle évoque un lointain souvenir de persécution collective tout en cautionnant la persécution actuelle. Il y avait cependant quelque chose de sinistre dans ce lac, surtout lorsque le soleil se montrait et que l'on se surprenait à penser aux fêtes organisées par Walther Funk dans la villa, où Goebbels était apparemment un invité fréquent.

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Quelques semaines plus tard, nous avons marché péniblement sous la pluie et dans le froid jusqu'à la villa où s'était tenue la conférence de Wannsee. Le guide, bien informé et énergique, nous a expliqué que certains magnats de l'industrie qui pensaient pouvoir contrôler Hitler avaient assisté à cette conférence, au cours de laquelle la mise en œuvre de la Solution finale avait été discutée. Que le régime américain soit ou non qualifié de « fasciste », il était difficile de ne pas penser à Trump, Musk, Stephen Miller et leurs nouveaux amis Zuckerberg et Bezos. La coalition au pouvoir n'a pas beaucoup changé : des voyous, des fanatiques, des carriéristes, des entrepreneurs et des escrocs. En partant, on nous a indiqué qu'il y avait un café. Tenu par une Israélienne, il était annoncé par une pancarte indiquant : « Savourez une babka Jewlicious ».
J'ai continué à rencontrer des spécialistes des « études judéo-allemandes » ou de la « culture de la mémoire » à Berlin. Le mot « mémoire » semblait généralement signifier « mémoire des Juifs ». D'une certaine manière, il ne pouvait en être autrement. Il ne fait aucun doute que l'Allemagne a le devoir de commémorer l'Holocauste. Mais il est frappant de constater le peu d'intérêt accordé aux autres populations qui ont subi la discrimination raciale ou la violence de la part des Allemands : les travailleurs immigrés turcs et leurs descendants, les réfugiés syriens et les Palestiniens, sans parler des Namibiens dont les ancêtres ont été victimes d'une campagne génocidaire allemande antérieure, ou des Roms qui ont péri aux côtés des Juifs dans les camps. La « culture de la mémoire » est utilisée pour désigner presque exclusivement les relations germano-juives entre 1933 et 1945.
Et dans le cadre de la politique de Staatsräson, qui a fait de la défense d'Israël un pilier central de l'État allemand, la leçon de l'Holocauste semble être que les Juifs doivent rester éternellement protégés afin que l'Allemagne puisse expier sa culpabilité, même si l'État qui prétend aujourd'hui parler au nom des Juifs commet des crimes de guerre – voire un génocide – contre un autre peuple.
Pour s'assimiler à la société allemande, les enfants d'immigrés musulmans sont encouragés à ne pas s’identifier aux victimes juives du pays et sont plutôt invités à se considérer comme des auteurs potentiels d'un génocide contre les Juifs. Comme l'a fait valoir l'anthropologue Esra Özyürek dans Subcontractors of Guilt : Holocaust Memory and Muslim Belonging in Postwar Germany (2023), les programmes d'éducation sur l'Holocauste destinés aux élèves musulmans laissent entendre que leurs ancêtres portent également une part de responsabilité dans le judéocide et donnent des descriptions très exagérées de l'antisémitisme et de la collaboration des musulmans (le grand mufti palestinien de Jérusalem pendant le mandat britannique, Hajj Amin al-Husseini, occupe ici une place importante, comme dans les discours de Netanyahu).
Si l'immigration a suscité une colère généralisée en Allemagne et contribué à l'essor de l'AfD, parti d'extrême droite, la présence d'une population musulmane de plus en plus nombreuse a également aidé la société allemande à se libérer du poids de la mémoire, lui permettant de projeter la responsabilité de l'antisémitisme sur les personnes d'origine moyen-orientale et de réaffirmer ainsi la vigilance de l'Allemagne face à son passé. C'est le revers de la « culture de la mémoire ». Comme l'AfD et les chrétiens-démocrates l'ont compris, tant que l'on condamne l'antisémitisme musulman, on peut continuer à attaquer les « maux » de l'immigration, comme si la xénophobie et le racisme n'avaient aucun lien avec le passé allemand.
« Les mots étrangers en allemand sont les Juifs de la langue », écrit Adorno dans Minima Moralia. On entend un mélange de langues à Berlin, en particulier dans des quartiers comme Neukölln, et la plupart des graffitis sont en anglais. Mais il existe des endroits où les mots étrangers sont interdits. L'utilisation de l'arabe est interdite lors des manifestations. Il en va de même pour l'hébreu. Un intellectuel allemand que je connais depuis longtemps m'a dit avoir été choqué d'entendre des propos antisémites lors d'une manifestation contre Gaza. Quand je lui ai demandé ce qu'il avait entendu, il m'a seulement répondu « de la rivière à la mer » et « mondialisez l'Intifada ».
Ses inquiétudes sont typiques des intellectuels de gauche de sa génération. Grand lecteur de Habermas, il a grandi dans les années 1960 et est assez âgé pour se souvenir de la tentative d'attentat à la bombe contre le centre communautaire juif de Berlin-Ouest en 1969, ainsi que de la participation de la gauche radicale aux détournements d'avions par le Front populaire de libération de la Palestine. Pour un courant minoritaire mais influent de la gauche allemande, connu sous le nom d’« anti-Deutsch », seule l'adhésion à un sionisme militant permettra à l'Allemagne de tuer le nazi qui se cache dans l'âme de chaque Allemand. Mon ami méprise Netanyahu et tout ce qu'il représente, mais dans chaque chant pro-palestinien, il entend les échos du terrorisme des Brigades rouges et, derrière cela, de la Jeunesse hitlérienne. Cela ne laisse que peu ou pas de place aux Palestiniens en Allemagne – la plus grande diaspora palestinienne d'Europe – pour exprimer leur colère face à la destruction de Gaza.
« L'incapacité de l'Allemagne à prendre en compte la guerre d'Israël contre Gaza relève d'une pathologie », m'a dit un universitaire, allemand du côté de sa mère et palestinien du côté de son père. Il voulait dire que l'obsession des Allemands pour les Juifs est telle que les Palestiniens comme lui sont rendus invisibles – ou, pire encore, considérés comme une menace irrémédiable pour la réconciliation germano-juive. Incapable de trouver un emploi stable en Allemagne, il a passé une grande partie de la dernière décennie à enseigner à l'étranger, principalement dans le monde arabe, où il est considéré comme ce qu'il n'arrive jamais à être chez lui : un Allemand.
Les artistes et les intellectuels – souvent des juifs de gauche – sont une autre source d'inquiétude pour les Allemands en matière d'antisémitisme. J'ai rapidement perdu le compte des personnes que j'ai rencontrées qui avaient perdu leur financement ou leur emploi, ou qui n'avaient pas été embauchées, parce qu'elles avaient été vues lors d'une manifestation ou avaient signé une pétition en faveur de la Palestine, et étaient considérées comme ayant violé « Staatsraison ». Plusieurs universitaires que j'ai rencontrés avaient pris l'habitude de communiquer sur Signal pour garantir la sécurité de leurs conversations et se réunissaient dans leurs appartements plutôt que dans leurs universités, où les événements publics sur la Palestine sont pratiquement interdits.
Un simple tweet de Volker Beck, politicien du Parti vert et désormais militant contre l'antisémitisme (ou, plus précisément, l'antisionisme), semblait suffire pour faire annuler un événement. Lorsque l'architecte israélien Eyal Weizman, directeur de Forensic Architecture, et Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la Palestine, sont arrivés à Berlin en février pour faire une conférence à l'Université libre, Beck s'est insurgé contre eux sur X, et leur conférence a rapidement été déplacée hors du campus. Le public de l'événement reprogrammé était, selon les normes allemandes, inhabituellement hétérogène : des jeunes de diverses origines ethniques, dont beaucoup portaient des keffiehs.
Lors de la séance de questions-réponses, certains ont déclaré avoir été « traumatisés » par la violence des discours à leur encontre – et par la violence de la police, qui frappe souvent les manifestants lors des manifestations pro-palestiniennes à Kreuzberg et Neukölln, deux quartiers à forte population musulmane. À l'extérieur du lieu de la réunion, la police attendait dans ses véhicules, comme si elle s'attendait à une émeute.
Les graffitis sont souvent utilisés pour exprimer la dissidence sur la question palestinienne. Un matin, en me promenant dans Kreuzberg, j'ai vu une recommandation inhabituelle d'un graffeur : « Lisez Le paradoxe juif de Nahum Goldmann ». Dans ce livre, publié en 1978, Goldmann, un leader sioniste aux tendances hétérodoxes, mettait en garde contre le « culte de l'État » du sionisme. Cela lui a valu la colère des partisans d'Israël, qui lui en voulaient particulièrement d'avoir cité David Ben Gourion disant :
« Pourquoi les Arabes devraient-ils faire la paix ? Si j'étais un dirigeant arabe, je ne conclurais jamais d'accord avec Israël. C'est naturel : nous avons pris leur pays. Certes, Dieu nous l'a promis, mais qu'est-ce que cela peut leur faire ? Notre Dieu n'est pas le leur. Nous venons d'Israël, c'est vrai, mais il y a deux mille ans, et qu'est-ce que cela peut leur faire ? Il y a eu l'antisémitisme, les nazis, Hitler, Auschwitz, mais était-ce leur ? Ils ne voient qu'une seule chose : nous sommes venus ici et nous leur avons volé leur pays. Pourquoi devraient-ils l'accepter ? »
La véracité de cette citation a été contestée, mais d'autres dirigeants israéliens ont tenu des propos similaires.
« Je ne saurais vous dire combien d'Allemands que je connais se sont rendus en Israël et se sont fait photographier avec une kippa », m'a confié une personne qui vit à Berlin depuis plusieurs années. « C'est comme s'ils voulaient se sentir victimes, tout en se sentant supérieurs. La défense de l'État israélien est l'un des principes fondamentaux de la maison d'édition Axel Springer ! » – l'une des plus grandes entreprises médiatiques au monde. « Mais avec la campagne de famine, a-t-elle poursuivi, on commence à voir des fissures apparaître – même les Allemands ont du mal à défendre cette position. »
Un historien allemand que je connais m'a parlé du rôle du Conseil juif, qui insiste sur le fait que l'antisionisme est intrinsèquement antisémite. Il m'a dit que lorsque l'historien Uffa Jensen, de l'Université technique de Berlin, a soutenu l'adoption de la définition de l'antisémitisme de Jérusalem, et non celle de l'IHRA, le président du Conseil central des juifs d’Allegmagne [Zentral Rat der Juden in Deutschland] l'a accusé de « dérouler le tapis rouge aux extrémistes de gauche et aux sympathisants du Hamas ».
Après un événement à l'université Humboldt, un jeune journaliste du Taz, un journal de gauche, m'a demandé ce que Frantz Fanon aurait pensé du 7 octobre. J'ai répondu que, qu'il ait approuvé ou non le massacre de civils, il aurait compris la colère et le désespoir qui ont donné lieu à l'attaque. J'ai également rappelé son observation selon laquelle la répression coloniale revêt souvent « l'aura d'un génocide authentique », Gaza étant un exemple typique de vengeance se transformant en anéantissement. Dès que la question palestinienne a été évoquée, un silence presque palpable s'est abattu sur la salle.
Début mai, la journaliste égyptienne Mona El-Naggar a donné une conférence puissante à l'Académie américaine sur son film consacré à deux Palestiniens fuyant la destruction de Gaza. À la fin de son intervention, le silence était à nouveau presque total. Le réalisateur Volker Schlöndorff s'est levé pour prendre la parole, car « quelqu'un devait poser une question ». On a alors demandé à El-Naggar si elle craignait que la haine causée par la guerre n'incite les jeunes de Gaza à rejoindre l'État islamique. Personne n'a évoqué la haine qui a permis aux Israéliens d'assassiner des Palestiniens en masse et de célébrer la destruction dans des posts Instagram.
Un collègue de l'Académie a demandé à El-Naggar pourquoi elle avait choisi comme sujets des Palestiniens aussi séduisants et bien connectés (il les a décrits plus tard comme des « petits Monas » (1). Voulait-elle que ses sujets soient « accessibles » pour les spectateurs occidentaux ? Même si c'était le cas, qui pourrait le lui reprocher ? Anne Frank n'était pas représentative des victimes de la Shoah, dont la plupart étaient des Juifs pauvres d'Europe de l'Est, largement considérés comme « étrangers » et essentiellement différents – les « autres » internes de l'Occident.
J'ai été interviewé au sujet de Fanon dans une galerie de Moritzplatz par Emilia Roig, une politologue française basée à Berlin qui est devenue une célébrité des réseaux sociaux grâce à ses livres et ses publications sur la race et l'intersectionnalité. Ses ancêtres sont un microcosme de l'histoire impériale française : des colons français en Algérie, y compris des terroristes de l'OAS ; des Juifs algériens qui sont devenus français à la fin du XIXe siècle après le décret Crémieux ; des Noirs de Martinique ; des Blancs de la métropole. Elle est arrivée avec un petit chien. « Il ne supporte pas d'être seul », m'a-t-elle dit ; il a grogné quand j'ai essayé de le caresser. Il est rapidement devenu évident qu'elle n'était pas venue seule avec son chien, mais accompagnée d'une petite armée de partisans qui claquaient bruyamment des doigts après chacune de ses remarques.
« Je vais m'attirer des ennuis en disant cela en Allemagne », a-t-elle déclaré, avant de décrire l'Holocauste comme rien de plus que la violence coloniale européenne infligée à ses compatriotes européens, un symptôme de l'effet « boomerang » évoqué par Aimé Césaire dans Discours sur le colonialisme. J'ai répondu que ni Césaire ni Fanon n'avaient minimisé l'horreur du génocide nazi.
La dernière question venait d'un jeune Allemand noir qui demandait ce que Fanon aurait dit de la montée des gouvernements autoritaires dans le monde postcolonial et de l'échec de la violence, le remède qu'il avait choisi, à produire des résultats plus libérateurs. J'ai répondu en observant que Fanon était douloureusement conscient que les révolutions qu'il soutenait pouvaient aboutir à un régime répressif dirigé par une « bourgeoisie nationale », mais que, comme il est mort en 1961, nous ne pouvons trouver de réponse à ce dilemme dans ses écrits. De plus, Fanon, qui demandait à son corps de « faire de moi un homme qui questionne toujours », aurait été perplexe de voir que certains lecteurs, plus d'un demi-siècle après sa mort, considèrent ses écrits comme des textes sacrés. Il croyait au « saut de l'invention » comme expression de la liberté humaine. Notre tâche en tant que lecteurs, ai-je suggéré, était de rester fidèles à son esprit critique et radical, même si nous allions au-delà de Fanon. « Au-delà de quoi ? » a crié une femme dans le public. Encore des claquements de doigts. Plus tard, on m'a dit que les partisans de Roig étaient venus à l'événement pour me chahuter parce qu'en n'applaudissant pas l'Opération Déluge al-Aqsa, j'essayais de « récupérer le sionisme ».
Quelques jours plus tard, lors d'un événement à Potsdam, on m'a demandé ce que Fanon dirait du monde tel qu'il est aujourd'hui. J'ai répondu que je l'imaginais horrifié par la destruction de Gaza par Israël, par la persécution des réfugiés et par les guerres brutales pour les ressources au Congo. Un journaliste du Taz, résumant l'échange, a écrit :
« La réponse d'Adam Shatz est beaucoup plus fleurie, affirmant – comme c'est souvent le cas dans ce milieu – qu'aujourd'hui, Fanon serait du côté des “ Palestiniens ”. Au moins, il mentionne l'exploitation impérialiste des ressources naturelles du Congo par la Chine, mais il reste silencieux sur la guerre au Soudan ! Malheureusement, rien n'est révélé non plus sur le colonialisme belliqueux de la Russie en Ukraine. Si la honte est un sentiment révolutionnaire, comme l'a apostrophé Karl Marx, alors on pourrait ressentir de la honte. »
Une chercheuse du Moyen-Orient travaillant à Berlin m'a raconté une conversation qu'elle a eue avec son supérieur allemand après le 7 octobre. (La direction de son université avait rapidement annoncé sa solidarité absolue avec Israël et son engagement pour la sécurité de ses étudiants juifs, conformément à la raison d'État.) Elle venait de rentrer d'un voyage à Beyrouth et a dit à son directeur qu'elle trouvait difficile d'être arabe en Allemagne, où l'on comprenait si peu, et encore moins, la situation des Palestiniens.
« Je peux imaginer que tout cela vous semble très différent en raison de nos positions divergentes », répondit sévèrement sa superviseure. « Mais je considère le Hamas comme une organisation terroriste. » « C'était surréaliste », déclara la chercheuse. Sa superviseure « me parlait comme si elle supposait que j'approuvais ce qui s'était passé le 7 octobre ». Dix-huit mois plus tard, la superviseure admit que cela « commençait à ressembler à un génocide à Gaza ».
Tout au long de mon séjour à Berlin, j'ai entendu des Allemands critiquer discrètement Israël, affirmant que des « fissures » commençaient à apparaître dans la raison d'État. Ces fissures prenaient parfois des formes inquiétantes, notamment un soulagement d'être débarrassé du fardeau de la mémoire de l'Holocauste, comme si la Palestine était une invitation à enfin enterrer l'Holocauste plutôt qu'à en tirer les leçons pour la destruction de Gaza.
Une femme de ma connaissance m'a raconté qu'une amie, une Juive américaine, avait rompu avec son petit ami allemand après qu'il lui eut dit qu'il trouvait l'Holocauste trop douloureux pour s'y intéresser, et qu'il ne le faisait donc pas. Lorsqu'elle lui a proposé de visiter un site commémoratif de l'Holocauste à Berlin, il s'est mis à parler de Gaza, lui disant avec colère qu'il ne soutenait plus la guerre d'Israël et que la plupart des Allemands étaient d'accord avec lui. Quand elle l'a interpellé sur son refus d'aborder des sujets difficiles comme l'Holocauste, il a fondu en larmes et s'est enfui.
À la mi-mai, alors que mon séjour touchait à sa fin, le New York Times rapportait que même les généraux israéliens admettaient désormais que Gaza était « au bord de la famine ». Le ton du gouvernement allemand commençait également à changer. Le chancelier Merz, chrétien-démocrate et partisan d'une ligne dure envers Israël, a déclaré qu'il trouvait les frappes aériennes continues contre Gaza « incompréhensibles » ; le ministre des Affaires étrangères, Johann Wadephul, a déclaré que l'Allemagne ne devait plus exporter d'armes utilisées pour violer le droit humanitaire à Gaza et a qualifié les souffrances des Palestiniens d'« insupportables ». Felix Klein, responsable allemand de la lutte contre l'antisémitisme, a déclaré que le fait d'affamer la population de Gaza et d'aggraver délibérément la situation humanitaire dans cette région n'avait rien à voir avec la défense du droit d'Israël à exister, et a appelé à un débat sur la raison d'État.
Le 8 août, quelques mois après mon départ de Berlin, Merz a annoncé que le gouvernement allemand suspendait les exportations d'« équipements militaires pouvant être utilisés dans la bande de Gaza ». Selon Reuters, entre le 7 octobre 2023 et le 13 mai de cette année, l'Allemagne avait accordé des licences d'exportation pour des équipements militaires d'une valeur de 485 millions d'euros. Y aura-t-il encore quelqu'un à Gaza pour profiter de ce prétendu revirement de situation ?
(1) très occidentalisés, laïques et à la mode
Adam Shatz est le rédacteur pour les États-Unis de la London Review of Books, et l’auteur de Frantz Fanon, une vie en révolutions (2024, Éditions de la Découverte), qui est récemment apparu en poche.
Ce texte a initialement été publié dans la London Review of Books, vol. 47, No. 14 : Berlin Diary