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Billet de blog 14 novembre 2025

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Fin de vie

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

FIN DE VIE
Elle a 93 ans.
Incontinente, incapable de marcher, de se lever, d’utiliser un bras. Elle somnole sans dire un mot. Très rarement connaît-elle un moment de conscience où elle peut communiquer, mais elle ne se souvient de rien de son passé immédiat.
Sa seule activité consiste à se faire emmener à la salle à manger de l’Ehpad où elle réside… pour un repas qu’elle mange difficilement. Tout de suite après, son seul désir est qu’on la ramène dans sa chambre, qu’on l’allonge sur son lit et qu’on la laisse là, sans lumière, jusqu’au prochain repas.
Cette femme a une histoire : mort de ses parents pendant la guerre, cachée, puis vivant dans l’hôtel d’une famille amie, entourée de l’état-major SS. Par la suite, adoptée par un parent… lycée, université, mariage, maternité. Un mariage raté, puis des liaisons difficiles où sa gentillesse naturelle a été exploitée. Toujours disciplinée, sérieuse, travaillant dans diverses organisations universitaires.
Plusieurs accidents de voiture détruisent son dos, mais elle continue à travailler jusqu’à sa retraite dans des postes de responsabilité.
Elle vieillit doucement, entourée d’amis et d’une famille la plupart du temps géographiquement éloignée. Elle vit dignement, indépendamment, jusqu’au jour où la vieillesse ne lui permet plus de vivre seule.
Une fois en Ehpad, le déclin vient vite.
Maintenant, elle vit là dans un état végétatif, le cœur affaibli, démunie, sans recours… totalement dépendante de l’aide des autres. Elle pourrait vivre encore un jour, six mois, plus. Son docteur ne sait pas. Il sait seulement qu’elle risque de mourir dans un avenir relativement proche.
Je suis son frère et je viens de passer quatre jours avec elle… sans pouvoir véritablement communiquer. Quelques mots au plus, mais des mots lourds de conséquences, car elle ne veut plus vivre. Lire dans ses yeux sa solitude, sa honte d’être dans un état si pitoyable, vivant sans dignité.
Je n’avais qu’une envie : trouver un moyen de lui permettre de finir sa vie… lui éviter de vivre dans cet état de dégradation complète.
Elle qui avait vécu, malgré tous ses malheurs, de manière digne, honnête, généreuse envers tous, attentive aux problèmes des autres.
Elle qui ne demande aujourd’hui qu’une chose : finir cette vie devenue infernale, le plus vite possible.
Alors, Mesdames et Messieurs les législateurs, où vous cachez-vous ? Derrière vos principes ? Derrière vos arguments rationnels ?
Rien ne vous donne le droit de légiférer sur la fin de vie d’un être humain si cette personne, en toute conscience, ne veut plus vivre.
Vos arguments, on les connaît. Beaucoup sont fallacieux, d’autres sont basés sur des dogmes.
Oui, donner libre cours au suicide ou à la fin de vie assistée peut mener à des excès. La nature humaine est souvent bien moche. L’être humain peut être vil. La protection du malade est importante et nul ne peut nier les bienfaits des soins médicaux. Mais il ne suffit pas de maintenir une personne en vie… c’est la qualité de cette vie qui compte !
« Vivre, naturellement, n’est jamais facile. On continue à faire les gestes que l’existence commande, pour beaucoup de raisons, dont la première est l’habitude. Mourir volontairement suppose qu’on a reconnu, même instinctivement, le caractère dérisoire de cette habitude, l’absence de toute raison profonde de vivre, le caractère insensé de cette agitation quotidienne et l’inutilité de la souffrance. »
Albert Camus, Le Mythe de Sisyphe

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