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Billet de blog 22 décembre 2023

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Une vieille branche

Sur la beauté de la pensée de la vieille paysanne qu'était ma grand-mère

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En Juin dernier, alors que le printemps s’époumonait et commençait  à s’essouffler de sa propre chaleur, j’apprenais la mort de ma grand-mère. Elle avait vécu presque un siècle, elle avait vu mes dents de lait tomber les unes après les autres et a laissé derrière elle un héritage dont une part semble m’échapper. Une poignée de sable dans mes mains moites. Le lègue n’est pas visible, seulement palpable.

La vie qu’elle a mené et la mienne sont aux antipodes.

Je me balade à travers l’Europe depuis mes 20 ans, je n’ai pas de maison, du taf -le moins possible-, je parle plusieurs langues, je pète, je squat, j’ai « des mœurs légères » et aucune envie de faire un pas en arrière vers une vie plus conventionnelle. 

Ma grand-mère, elle, a vécu toute sa vie dans le même creux de vallée, à  côté de la même source, comme nos ancêtres pendant deux-cents ans avant elle. Elle a connu des guerres, l’arrivée de l’électricité dans sa maison, des tracteurs, le mix-soupe, la télévision et question pour un champion. Elle a arrêté l’école à 11 ans, son père étant mort quelques années plus tôt des effets secondaires de la guerre, la famille était trop pauvre pour les études d’une paire de mains qui pouvait s’occuper des chèvres et récolter les betteraves. Elle disait qu’elle aurait voulu être institutrice. Parfois, elle corrigeait les fautes d’orthographes dans mes cahiers. 

Elle parlait un dialecte qui a presque disparu à l’heure actuelle, que je ne comprends pas et parle encore moins. Elle fait partie d’un vieux monde. Elle fait partie d’un vieux monde que l’on imagine couleur sépia, qui se fait avaler par des représentations aussi clichées que fantasmées où les paysans et paysannes restent avec de fausses nuances les imbéciles attendrissant’es, les gens « simples » incarnant des traditions devenues spectacles. De ma grand-mère ce n’est pas le spectacle que je veux garder.

Le jour de sa mort, j’écrivais ceci :

“Il y de longues, très longues histoires qui portent des noms discrets , qui s’habillent dans les magazines de la Redoute et rangent bien leurs jeux de cartes dans le tiroir sous la table. Des histoires quelconques, passées dans l’ombre de l’histoire, jamais sous le feu des projecteurs mais dans le soleil d’avril, lorsque le coucou réapparaît dans les peupliers.

Une histoire, la canne posée devant la porte, la porte donnant sur une mangeoire à oiseaux, et les oiseaux qu’elle compte, qu’elle connaît, qu’elle reconnaît au point qu’elle donne un prénom à quelques-uns d’entre eux. Qui donc donne des prénoms aux moineaux ? Celles et ceux qui lorsqu’ils fait beau prennent le temps de s’asseoir, de voir autour d’eux, la vie qui s’ébahit et s’éteint, le battement d’aile des hirondelles dans la grange, le nid vide l’année passée, le nid plein l’année d’après, les tricots qui s’entassent dans les pièces  à demi-sombre, jamais vraiment beaux, chaud et doux toujours par contre, n’est-ce pas ce qui compte? 

Non cette histoire n’a pas toujours été douce mais elle en avait de la douceur. Elle en avait, du sucre dans les étagères, et des attentions, lorsqu’elle faisait semblant de perdre pour nous faire gagner, nous, petites histoires neuves avec si peu de passé. 

L’écureuil lui tenait compagnie lorsqu’elle, immobile, invisible, savait se faire oublier. Qui donc, sait voir les écureuils de près? Celles et ceux qui du silence apprennent les surprises? Celles et ceux qui dans le silence, distinguent la musique. Elle manquera aux arbres d’à côté, elle vieille branche qui savait la forêt et le lila, qui fleurit si tôt cette année, elle leur manquera comme elle nous manquera et mes larmes ressemblent aux siennes lorsqu’au pas de la porte elle me saluait en sachant que loin , si loin je partirai, plus loin qu’elle n’a jamais été. Ma chère et tendre qui dans ce monde de fous, aux allures si étranges, métamorphes, avait la cohérence d’un vieux chêne. Un siècle presque gravé dans la peau, la guerre et les galettes sans beurre, le monde qui change à l’échelle d’un village. La disparition des cordonniers et des petits cafés, la ligne de train couverte de ronces, sur les photos en noir et blanc, les jeunes filles en longues robes blanches se reflètent dans l’eau du lac. Je ne traverserai jamais ce qu’elle a traversé, je ne suis pas du même temps, je ne respire plus le même air mais mes veines sur mon poignets ont l’errance des racines et des brindilles. En quête d’eau et de lumière, n’est-ce donc point ce qui m’anime? 

De commun dans notre histoire nous avons si peu, à part une idée peut-être de ce qui compte. Au diable les ambitions d’un monde destructeur, les fleurs poussent dans la liberté des jachères et sous le soin des petites mains. Qu'ont donc compris ceux et celles qui pensent que la vie se gagne alors qu’elle se construit. 

La vie se construit pas à pas et s’émerveille si on la laisse faire un peu. Elle ne peut avoir de maître sans se ternir, elle ne peut avoir que des alliers pour s’épanouir. La mort quant à elle, fait partie du paysage, au pied du frêne abattu par la tempête, les perces-neiges appellent le printemps. Lentement. 

Mamie, mes quêtes de sens m’emmènent souvent au fond de l’absurde, mais là-bas, mon fil d’Ariane est une corde à foin, et de ça, nous créons des cabanes où il fait bon vivre. Fait nous conscience pour la suite, nous ne laisserons pas la vie mourir.”

Je terminerai par un rêve qu’elle aimait raconter : dans son rêve, mon grand-père avait été élu président de la république, et voilà que les deux fouillait dans l’armoire à la recherche d'habits correctes: "Mais tu peux pas aller à Paris avec un pantalon plein de trous!"  et puis moi, j'ai rien à me mettre de toutes manières, ca m’en fera une belle première dame" disait-elle. Alors, mon grand-père refuse de devenir président et ma grand-mère dit “ tant mieux! Ça c’est pas pour nous et puis, on en a des choses à faire, on va pas laisser les chèvres toutes seules”

Et oui, on en a bien d'autres choses à faire que de faire semblant de faire partie de leur monde.

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