Sur l'autre rive, un peuple silencieux se presse autour des rafiots.
Ils sont tous jeunes, femmes et hommes à franchir la première frontières de l'espoir. Le crépuscule empourpré confondait les visages en une masse sombre et compacte tournée vers le large. La mer en creux s'abîmait dans l'obscurité; elle échangeait au large avec le ciel de terre ses parfums âcres et salés.
Une main, puis une autre et enfin toutes les mains au bruit du moteur se levèrent en silence comme pour saluer notre départ.
La côte disparaissait. La houle en mouvement sous les boudins de caoutchouc déformait le bateau, puis ils reprenaient leurs places pour subir le prochain assaut d'une vague plus profonde. Le mal de mer s'installait parmi nous. Le roulis sera notre compagnon de traversé ! Quand une lame de fond passait par-dessus bord et inondait ceux assis à la proue les giflant de plein fouet, nos corps fatigués se resserraient.
Venue de contrée éloignée de la Méditerranée nous n'avions pas tous la même langue. Et d'ailleurs à quoi cela aurait pu servir ? Le froid retenait nos mâchoires fermées et les ouvrait en spasmodie pour chasser le vide qui s'était creusé dans nos ventres. Nous avions le haut le cœur et une tristesse d'abandon pour ceux qui avaient réuni une grosse somme d'argent donné au passeur.
Avant le départ, dans nos soumissions à l'exil, aucun de nous n'avait emporté une nourriture de voyage.
Et puis certains de nous sorti de prison pour être conduit sur une plage déserte avait été dépossédé de tout et jeté sans ménagement dans les embarcations.
.Le mobile collé à l'oreille certain écoutait les info.
Nul ne peut s'opposer à la Liberté d'exile ni barrer la route à une personne demandeuse d'asile. Alors que L’immobilisme de l’Europe est à l'origine de ce marché insupportable d'illusions, La chasse inexistante aux trafiquants mafieux fait subir aux migrants cette désespérance dans le chaos des intérêts des deux rives. La plaie béante en mer s'élargie chaque nuit dans ce piège cynique. Jusqu'a l'absurde, l'Italie, favorable à une intervention militaire en Libye, fait pression sur les autres États pour obtenir un mandat de destruction des bateaux des trafiquants. En vain » De courtes conversations sur la Déclaration universelle des droits de l’homme s'engage justifiant ainsi chacun à quitter son pays et chercher refuge ailleurs.
Avec l'aube le vent et le froid se glissaient dans les moindres Interstices de nos vêtements et glaçaient nos corps mouillés. Les enfants après s'être apaisé se réveillèrent en pleurant. Ils avaient faim. Les hommes s'affairaient a écoper la masse d'eau pour ne pas nous laisser déborder par les embruns et les voies d'eau. Chaque mouvement du bateau déplaçait l'eau de l'avant vers l'arrière et recommençait le vas et viens. Elle emportait avec elle excréments et vomissures des clandestins qui dans la peur de cette nuit s'étaient souillés. La mer moutonnait et chacun scrutait l'horizon à l'affut des premiers rayons. Aucun de nous ne savait où nous allions. Quand à l'horizon dans la blancheur du soleil un homme se leva, il bouscula tout ceux qui se trouvaient sur son passage se frayant un chemin vers l'arrière. Il n'y eu plus aucun mot. Un coup sourd porté au thorax fit basculé le barreur à la mer. Aux cris d'épouvantes nous venions d'estimer le poids de notre solitude. L'homme avait repris la barre et mît le cap sur nos malheureux destins. Les femmes ramassaient leurs voiles et protégeaient les enfants apeurés. Elles épluchaient de rares oranges rescapées des fouilles pratiquées la veille avant l'embarquement. Elles humectaient avec précaution les lèvres asséchées meurtries par le sel et le vent. Dans ce naufrage de l'espoir nous appelions ensemble un ciel plus clément nous venir en aide. Les petits serrés avec vigueur contre nos poitrines et nos bouées de sauvetage en collier nous coupaient le souffle. Les premières contractions d'une femme, accroupie dans ce marigot de gémissements et de douleurs nous plongeaient dans la sidération.
Les mouettes pleuraient au-dessus de nous. Elles survolaient le sillage du bateau. Des algues nageaient à la surface annonçant l'approche des côtes.
Dans ce naufrage de l'espoir
Voir venir un ciel clément,
Voir venir l'enfant,
Te voir venir du Sénégal
Madické, rêve de rejoindre Fatou
… « Mais comment lui expliquer la face cachée l'exile, lui qui voit la France comme une Terre promise où réussissent les footballeurs sénégalais, où vont se réfugier ceux qui, comme Sankèle, fuient leur destin tragique ?
Comment empêcher Madické et ses camarades de bâtir des châteaux en Espagne, quand l'homme de Barbès, de retour au pays gagnera en notabilité en escamotant sa véritable vie d'émigré et qu'il abreuvera de récits où la France est une Arcadie imaginaire ? »
«... Une femme à plat ventre échoue sur la grève. Elle attendait son enfant.
Alain Avril 2015
Making Of
Ancienne ministre de la Culture du Mali, écrivaine et militante altermondialiste, Aminata Traoré a décidé de pousser un cri de colère et de révolte face à la manière dont l'Europe gère la crise des migrants noyés en Méditerranée. Cette intellectuelle malienne âgée de 68 ans est une habituée de la critique de l'état du monde : en 2013, elle avait même été privée un temps de visa français pour s'être montrée critique vis-à-vis de l'intervention française dans son pays. Une voix dérangeante mais qui mérite d'être entendue. Merci à l'ami Patrice Barrat pour nous avoir fait passer son témoignage. Pierre Haski