Si je vous dis, avec la voix de Bernard de La Villardière et la musique qui va avec :
« PROSTITUTION.
BANDE ORGANISÉE.
VOL.
ARNAQUE.
ABUS DE CONFIANCE.
BANDITISME. »
Vous me dites, vous me dites ?
Vous me dites, avec la voix d’un·e candidat·e de Question pour un Champion :
Proxénétisme, bien suuuur ! Et proxénétisme sauce M6, avec les images associées du grand-méchant non-blanc.
Et si ce n’est pas votre réponse, c’est que vous êtes sans doute déjà engagé·e dans une branche politisée qui vous a appris que ce genre d’introduction est un petit arbre fantasque qui cache une forêt dramatique. Parce qu’ici, à l’instar de cette star de Bernard, nous allons tenter de démanteler les pratiques d’une mafia. D’une mafia pimpante au business plan impeccable, bien inscrite dans le palmarès des réussites capitalistes de ce siècle numérique.
En novembre 2011 se créait Le Pot Commun. Maurice de la compta est ravi, son cadeau de départ à la retraite a été financé par tou·te·s ses collègues grâce à cette plateforme de récolte de dons. Riri, Fifi et Loulou, créateurs de la boite et cousins de leur état, sont tout aussi ravis, puisqu’empochant au passage entre 2,9 et 4 % des participations de Karine, Jeff et les autres. Tout le monde est content.
Un mois après, nos politiques de droite et de gauche ont voté à l'Assemblée, avec un rare consensus, la loi de pénalisation des clients, affirmant "la position abolitionniste" de la France en matière de prostitution. Et depuis, associations communautaires et abolitionnistes, avec un rare consensus, ont en vain dénoncé les ravages de cet acte, réaffirmant les positions tragiques dans lesquelles cette loi met les travailleur·euse·s du sexe.


De son côté, le Poct Commun grandit grandit grandit, rachète en masse ses concurrents, et créer le Pot Solidaire, qui incite les petits bonhommes blancs avec des gros cœurs dessinés sur le site à sauver l’enfant non-blanc souriant au tee-shirt sale représenté sur l’image de com. En réalité, il s’agit davantage de ne pas louper le coche des cagnottes solidaires qui se sont multipliée depuis 2018 pour palier les soutiens étatiques manquant (les cagnottes de grève des gilets jaunes ont notamment soulevé des sommes particulièrement juteuses.).

L’année où le Pot Commun se fait racheter par Natixis, filiale du Groupe bancaire BPCE, la loi de pénalisation des client·e·s entre en vigueur (2016). Des milliers de personnes précarisées à des points inimaginables, à des points de non-retours, des centaines d’individus agressées, violées, et des dizaines de femmes assassinées dans l’indifférence générale et un contexte d’isolation délétère. Des femmes qui travaillaient comme elles le pouvaient, et dont le corps fut, parce qu’elles travaillaient comme elles le pouvaient, retrouvés découpés, ligotés, étranglée, torturés, poignardés, défenestrés, poussés au suicide ou encore renversés volontairement par une voiture. Ces corps-là, que la loi oblige à cacher, n’ont pas vécu de sort moins cruel que celui de Samuel Paty. Et qui, si ce ne sont leurs sœurs, frères, adelphes, seraient pourtant capables de nommer une seule de ces femmes ?
Ces marginalisations désastreuses, l’association toulousaine Grisélidis en perçoit précisément les impacts. Et c’est justement pour tenter d’en limiter les dégâts qu’elle a choisi, en décembre 2019, de lancer son Pot Solidaire, après avoir fourni un dossier colossal de justificatifs pour valider l’admission de leur cagnotte. Et non pas pour financer le fonctionnement interne de la structure, mais pour redistribuer l’argent aux TDS précacrié·e·s, et ce, donc, avant la pandémie. Depuis, l’association a été reconnue d’utilité générale, ce qui lui permet de défiscaliser les dons qu’elle reçoit. Mais depuis aussi, 2020 a essuyé la crise que l’on connaît, et la collecte s'est soudainement mise au service des nouveaux impératifs impérieux, de distributions d'aides vitales.
Car si le virus n’épargne aucun individu, les épidémies paupérise certaines catégories de personnes et pas d’autres. Quand les commissions des cagnottes solidaires offrent alors une perspective lucrative aux starts-up de collectes de dons, les TDS, en première ligne des indifférences gouvernementales, s’enlisent dans une misère menaçante.
Sans aide, iels vacillent entre la peur du virus et le besoin d’argent, mais entre le risque d’être contaminé·e·s et l’assurance de ne plus avoir de quoi manger, le choix est vite fait. Les personnes concernées et les structures associées se mobilisent, alertent les médias, le gouvernement. Et si ce dernier ne répond pas, les cagnottes en ligne rencontrent un superbe succès. Nous avons beau évoluer dans une société abolitionniste qui tente vaille que vaille de nous entrer dans le crâne des stéréotypes défigurants, il existe apparemment un nombre incroyable d’individus non-dupes, capable de soutenir des personnes qui en ont simplement besoin. Grisélidis a donc eu la surprise de récolter en quelques mois 16 000 €. La situation est urgente, l’association pioche dans ses fonds avant de recevoir l’argent dans ses caisses, et distribue la somme par ratio d’environ 30 €, 550 fois, pendant le premier confinement.
En juin, Grisélidis envoie son premier mail de demande de virement des 16 000 €. L’argent tarde a être versé sur son compte. Mais pas d’inquiétude, la somme a bien été validée par le Pot Commun, ça prend toujours un peu de temps ces choses-là.
En août, 175€ supplémentaires sont récoltés, que réclame alors Grisélidis. La somme est versée sur le compte bancaire. Parfait, cela signifie que les papiers sont en règle, que tout fonctionne, et que les 16 000 € ne devraient pas tarder. Puis tout le monde part en vacances, épuisé par ces mois de paniques.
En septembre Grisélidis souhaite ouvrir une autre cagnotte, et donc fermer la première. Elle en fait part au Pot Solidaire. Mais n’a toujours pas de signe de leur part.
En octobre, Grisélidis reçoit enfin des nouvelles de sa cagnotte... par des messages de contributeurices, qui lui demandent pourquoi leurs dons ont été remboursé. C’est donc grâce à ces alertes que l’association comprend que l’argent récolté était en train d’être rendu à leurs donateurices. Oui enfin... pas tout l’argent. Parce que le Pot Commun a ponctionné au passage sa « petite » commission de 4 %. Et les personnes dont la carte bleue utilisée pour le don a expiré n’ont pas non plus été remboursées. « Oh, ben il y a 2000 € qui peuvent être récupéré de gens qui ont changé de carte bleue… Vous les voulez ? » demande guillerette l’opératrice du Pot Commun à la directrice de Grisélidis. Une péremption de carte bleue, voilà donc à quoi tient la promesse d’une structure reconnue pour soutenir des personnes mises en danger par une situation de crise mondiale.
Ah et c’est précisément dans cette situation de crise mondiale que le Pot Commun a décidé de fermer son « Pot Solidaire » à toutes les associations. Bravo les gars. Supprimer l'accès à des récoltes d'argent en masse en temps de crise planétaire, c'est tout de même faire preuve d'un sens du timing très précis. Précisément puant, disons. Et ce serait donc pour cette raison que le Pot de Grisélidis a été fermé. Et il y aurait évidemment eu des mails qui prévenaient de cette clôture... Et quand Grisélidis demande la preuve de ces messages, le Pot Commun lui renvoie des publicités indiquant la fermeture du Pot Solidaire, sans aucune date ni adresse de l’envoi initial. Chaque mise en contact pour une demande d’explications est soldée par un « ah, je peux pas vous dire ce qui s’est passé, je fais remonter l’information à mon supérieur » au téléphone, ou par un « mais si si si, on vous a envoyé un mail » sur les réseaux sociaux. Et personne n’est jamais allé chercher l’envoi du courrier recommandé de Grisélidis. Non mais c’est sans doute parce que c’est le chien qui a mangé leur devoir de maths, c’est pour ça…
Et rebelote, même histoire de Cagnotte pour Charlotte* qui, en soutien à Grisélidis, a réussi a récolter sur la même plateforme 10 000 €. Pourtant, elle prend soin de ne pas mentionner l’aide aux TDS et annonce un soutien aux personnes touchées par le Covid. Même mécanique : remboursement des donateurices, pas d’explication. Ah si, un vague « pour non respect des conditions générales d'utilisation ».
Mais quelles conditions ? Voyons ça de plus près, mes chers Watson.

Dans ses conditions générales d’utilisation, Le Pot Commun fait mention de l’interdiction du soutien d’activité d’escorting, et précise entre parenthèses « proxénétisme en France ». Qu’est-ce que le proxénétisme en France ?
Selon l’Article 225-5 du code pénal, le proxénétisme est le fait, par quiconque, de quelque manière que ce soit :
1° D'aider, d'assister ou de protéger la prostitution d'autrui ;
2° De tirer profit de la prostitution d'autrui, d'en partager les produits ou de recevoir des subsides d'une personne se livrant habituellement à la prostitution ;
3° D'embaucher, d'entraîner ou de détourner une personne en vue de la prostitution ou d'exercer sur elle une pression pour qu'elle se prostitue ou continue à le faire.
Donc, aux yeux de la loi, pour un·e TDS, informer une collègue du lieu de son rendez-vous avec un client, au cas où celui-ci se passe mal, fait de cette dernière une proxénète potentielle. Partager un loyer avec son coloc fait de lui un proxénète potentiel. Offrir un cadeau de Noël à son neveu fait de lui un proxénète potentiel. Passer par une plateforme de don pour obtenir l’avance sur rétribution d’un client fait de cette plateforme une potentielle proxénète. Mais le fait que des milliers de citoyen·ne·s se mobilisent pour qu’une population ultraprécarisée, et qui se trouvent être TDS, puissent se payer trois courses pendant un confinement ne fait pas de la plateforme une proxénète potentielle. Selon la loi, c’est bien l’activité qui définit la pénalité, et non l’individu qui l’exerce. C’est le fait de contribuer à la possibilité d’un acte sexuel tarifé qui est puni, et certainement pas celui de donner des sous à des individus qui n’ont plus de quoi manger et se loger, qu’elles soient TDS ou pas. Donc si ce n’est d’argumenter que les personnes TDS peuvent gueuler bouches fermées et crever la gueule ouverte parce qu’elles exercent une activité moralement insoutenables, la raison de la non-conformité aux conditions générale du Pot Commun justifiant la fermeture brutale des cagnottes sus-nommées ne tient pas la route.

Le voilà donc, notre bandit. Il arbore fièrement le drapeau du libéralisme sauveur, des succes-stories à qui rien ne fait peur parce que l’amour sera toujours vainqueur. Il trotte sans zigzaguer, ce Zorro start-upé… c’est qu’il a chevauché un étalon bien particulier : celui des valeurs conservatrices, celui qui va se goinfrer de la paille sur laquelle tente de se reposer les plus marginalisé·e·s. Parce qui a besoin de cagnottes aujourd’hui ? Entendez un besoin vital, sérieux, grave. Les personnes trans qui ne peuvent pas se payer leurs opérations, les personnes non-blanches, pauvres, trans, incarcérées, les personnes victimes de violences policières, les personnes grévistes, les travailleur·se·s du sexe, les personnes sans papiers, menacées d’expulsions, les personnes sans logements, les personnes handicapées en couple qui se retrouvent sans aide, les femmes violentées qui cherchent à fuir leur conjoint… La récolte de dons par Internet, ce n’est ni plus ni moins qu’une forme de mendicité qui peut permettre à des milliers de personnes de survivre, et qui en autorise une poignée à capitaliser sur leurs détresses. Qui, éhontément, les pillent. Nulle part, il n’est écrit dans les conditions générales du Pot Commun, que ce dernier met dans sa poche une partie du magot qu'il retire brutalement des vôtres. Est-ce d’ailleurs légale qu’une telle information ne soit pas accessible ? Rappelons que le compagnon ou la compagne d’une TDS sera mis·e pénalement en danger, désigné·e comme proxénète, parce que ces deux partagent une histoire d’amour et un frigo... quand notre bandit Mister Poc' n’aura pas à s’inquiéter des vols, aux conséquences bien souvent gravissimes, qu’il perpétue. Avouez que le parallèle ne peut pas être plus clair quant aux différences de traitements juridiques selon les classes sociales. Et si vous pensez que j’exagère la proportion du butin accumulé et de ses victimes, allez donc voir par là : ça vaut son pesant de clics, l'arnaque est indéniable.
Si vous finissez cet article avec le menton qui tremble et le poing qui se sert face à l’évidence de tels rapports de domination, je vous invite à consulter les liens que je vous ai listés pour en savoir plus et soutenir des personnes créatrices de contenus, à garnir, si vous le pouvez, la nouvelle cagnotte de Grisélidis, et à lire les noms des personnes travailleuses du sexe décédées en 2020. Les voici :
- Maïa Izzo-Foulquier, suicide - 16/12/2019
- Brunilda Olivia, meutre - 26/12/2019
- Alais R., meurtre 09/02/2020
- Jessyca Sarmiento, meurtre - 21/02/2020
- Mathilde, suicide - 27/05/2020
- Lorena, Covid 19 - 04/2020
- Hillary, complication VIH et Covid 19 - 04/2020
- Sarah, complication VIH et précarité sociale - 05/2020
- X, meurtre - 13/12/2020
