Guinée Bissau vers 1994: Nous étions dans un 4/4 en pleine brousse avec ce monsieur postier-militaire-séducteur qui avait envie de parler. Tellement envie que je me décide à aborder le sujet des mutilations sexuelles chez les femmes sur un ton un peu badin tellement je sens d’emblée que ce sujet, terrible chez nous, est banal pour lui. Il m’explique tout d’abord très précisément comment on fait (en tous cas on va dire que c’était en accord avec Benoilte Groult et tout ce que j’avais lu sur la question).
Les deux volets de cette douloureuse coutume africaine, d’une part la section du clitoris, et d’autre part le fait de « fermer le sexe » de la femme pour que seul le mari l’honore quand il le souhaite. Voyant qu’il a réussi capter mon attention, mon interlocuteur mis en confiance m’offre l’une des interviews les plus hallucinantes et décalées que j’ai connu de toute mon existence. Le fait que je suis blanche faisait que "l’affaire n’était pas gagnée" car ce monsieur était bien conscient, tout de même, que mon adhésion à la l'habitude de cette pratique était improbable. C’est là d’ailleurs que notre discussion a pris une autre dimension, car lui-même se posait aussi en victime de la situation.
Tout d’abord il avait horreur du sang et pour ses trois femmes c’est lui qui avait été obligé de « les ouvrir » avec un couteau. C’était très douloureux et généralement il fallait donc un certain délai entre cette ouverture et le passage à l’acte. Délai dont il ne comprenait pas la nécessité. En plus ses femmes, n’étaient pas très demandeuses de lui sexuellement alors que le contact était bon entre eux et que la relation se passait bien par ailleurs. De surcroit elle voulait des enfants. Mais cet homme qui avait eu, somme toute par chance, accès a des magazines pornographiques allemands, avait bien repéré que les femmes sur le papier avait autrement plus désireuses des hommes et « avec un sexe pas du tout pareil » que ses femmes à lui. Enfin il était sincèrement amoureux de sa dernière femme « pour les autres je n’ai pas choisi » et répugnait a l’idée que son corps, à lui, ne lui procure aucun bonheur. « Le problème, m’expliqua-t-il, c’est que les vielles dames du village affirment que la plante au milieu de leur sexe peut les rendre folles et les pousse parfois à aller voir d’autres hommes que leur mari. Dit-on aussi cela chez vous ? » Je réponds que ce désir éventuel « d’aller voir ailleurs » ne me semble pas se refugier uniquement dans « la plante » et qu’à partir du moment où il est là, il se loge dans le corps entier de l’individu, tête incluse, « comme pour les hommes un peu » argumentais-je pour illustrer mon propos. Il sourit, complice. En tous cas, je déclare que chez nous les vieilles femmes ne disent pas cela et fermant, prudemment (!), le débat sur ce point précis, j’abonde dans le fait que cela rend la « rencontre des corps » surement sanguinolente et de facto douloureuse pour sa femme.
Il m’explique que lui a découvert l’ensemble des détails physiques de cette histoire le soir de ses premières noces, alors que sa famille avait veillé à son union avec « une femme propre ». Mais qu’en effet, il n’avait aucune idée de ce que recouvrait techniquement cette appellation avant de voir et surtout de faire, tout d’abord …..avec son couteau.
Je me souviens de la jungle, des rebondissements incessants du véhicule, de la longueur de la route….De ses phrases qu’il devait parfois me hurler trois fois avant que je comprenne ou même que j’entende. Du vague croquis qu’il a fait sur le pare brise pour m’expliquer les détails de ses premières découvertes, de ses premières interrogations et de ses premières réponses. Je vois son œil à la fois goguenard et soucieux qui voulait parler, voulait comprendre et surtout ne voulait pas passer pour ce qu’il n’était pas aux yeux des cette intrigante passagère. Il m’a posé ensuite une foule de question sur ce que j’en pensais et la raison pour laquelle les vieilles femmes du village….. (rien que l’incroyable respect qu’ils mettaient dans cette formule était bouleversante à mes yeux et résume douloureusement la profondeur du drame de ses révélations)
J’ai répondu à tout et si je ne le retranscris pas ici c’est à cause du décalage de situation. Vous vous doutez bien, j’espère, que j’ai tout de même essayé de déstabiliser les arguments des exciseuses, mais sans rompre le dialogue avec lui. Quelque part, je remerciais les problèmes de la pistes, la beauté de notre route et tous les soucis techniques que l’on peut avoir dans ce type de long chemin, car ils allégeaient considérablement, par leurs incessantes perturbations, la terrible charge émotive de l’échange, pour lui comme pour moi.
Je lui demande soudain si la pratique est courante…. « dans mon ethnie, beaucoup de femmes mais pas toutes. Je n’ai pas eu de chance et mes épouses non plus , parce que je sais que dans certaines villages pas très loin, il y a des femmes qui n’ont pas eu ça, leur mère ne veut pas » « Les hommes on ne les consulte pas, parce que l'épouse, c’est pour faire des enfants en premier, alors un homme qui ferait des remarques, il passerait pour un coureur » « par contre chez les peuls c’est 100 %, toutes les femmes sont propres, elles n’ont aucun choix »
Cette conversation a eu lieu il y a une quinzaine d’années et j’ai cru comprendre que, depuis, les choses ont bien évolué. C’est un sujet très africain et je suis moi-même partie vers des contrées arabes, or l’Islam s’oppose quasi systématiquement à ce genre de pratique. J’avais la discussion dans les cartons de ma tête, comme ces vieilles brulures que l’on préfère ne pas trop regarder mais qui refuse absolument de disparaître.
Et puis, cette folie d’actualité mondiale m’a rattrapé. Ce palace de l'horreur, pardon pour l’enseigne, ce brillant monsieur (presidentiable en France!) à qui le ciel semble avoir donné bien des forces 'viriles", cette femme noire, sur qui j’apprends tout et n'importe quoi semble-t-il, ces trucs horribles…vis-à-vis duquel la « présomption de souffrance » reste vraiment un concept moins médiatisé que d’autres…Ah ! Tiens ! Elle est Peul…tiens donc, elle a une fille…de son cousin.
Elle est réfugiée politique.
D’ailleurs elle a menti la méchante.
Sur cette affaire de demande d’asile elle a menti.
PARDON ?
Elle a une fille. Elle a menti. Elle est Peule…Elle a une fille....ça tourne ça tourne ça tourne dans ma tête…PARDON ?
Ça existe le statut de refugiée sexuelle OU PAS ?
Je répète ma question aux lecteurs, au monde, aux femmes, à ces putains de causeurs de salons: ça existe le statut de réfugiée sexuelle ou pas? ça aurait été possible ou pas? Elle avait la possibilité d'avoir peur pour sa fille, cette dame, ou pas? Je ne dis pas qu'elle avait peur que sa fille soit excisée. Je ne sais rien sur "ce dossier". Rien de plus que cette avalanche médiatique et ces sourires satisfaits.
Mais je vous demande: elle aurait eu le droit d'avoir peur pour sa fille ou pas??? C'est une question. Une simple question.
C'est possible à lire, là, ce que j'écris ou ça va encore être un "propos indécent"???...
J’ai envie de vomir.
Plus d'infos sur le sujet et un peu d'espoir grâce à Pierre Foldès , c'est ici.
Pour lire le dernier papier sur le sujet, c'est là.