« Le PAM vient d’arrêter la distribution de coupons alimentaires aux populations réfugiées syriennes, faute de fonds ». Voilà. La vie, la mort c’est juste une phrase qui tombe un jour dans une vie, sous forme de sms, de papier mal scotché sur les rabats d’une tente, de catastrophe silencieuse…
Il faut commencer par bien comprendre la phrase pour en apprécier la dureté. Le PAM c’est le Plan Alimentaire Mondial, la branche des Nations Unies qui distribue à manger aux personnes considérées dans l’incapacité de se procurer leur pitance pour raisons de guerres ou de catastrophe naturelle. Elle procède, pour ce faire, par coupon alimentaire qu’elle distribue aux personnes identifiées par ses soins comme étant des victimes d’un problème de ce type. Ensuite viennent les heures de queue pour présenter le fameux coupon, le cochage sur une liste pour éviter les fraudes et enfin le don de nourriture comme des sacs de riz, du lait pour bébé, du blé ou des boites de viandes selon un pro rata du nombre de personnes concernées par ce bon, ou directement, du nombre de bons. Donc pour reprendre la nouvelle qui vient de tomber sans faire grand bruit sur nos écrans télé au centre de salons chauffés, les syriens réfugiés, où qu’ils soient : au Liban, en Jordanie, en Turquie, en Irak ou en Egypte ne recevront plus à manger, car dans la répartition des fonds disponible des Nations Unies pour soulager de la détresse humaine, on considère que ce n’est plus possible. Point.
« La guerre n’a pas de cœur : le grand y mange le petit » est la façon la plus élégante qu’Abed a trouvé pour commenter l’information qui le frappe de plein fouet. Quand on connait l’histoire récente de sa tribu, on comprend combien « le petit » à quelques raisons d’être inquiet : il ne pourra pas avant longtemps retourner sur la terre qui était son gagne pain ainsi que son garde manger au centre de la Syrie. Un triste jour les extrémistes sont venus et ont demandé à sa tribu de dégager tous leurs villages et tentes. Les gens trop lents, comme le grand père, ont été tué par balle. Les contestataires aussi. Alors les autres sont partis en tracteur (qu’ils avaient pris soin de cacher en plein désert), trainant derrière eux des remorques plates où se sont entassés un maximum de gens : femmes, enfants, vieillards (rapides) et jeunes (silencieux). Maintenant Abed a appris que ce qui était sa terre, est devenu terre de califat et que la charia y est appliquée. Il faut comprendre que pour Abed, qui est sunnite musulman comme tous les bédouins, cela s’apparente à un délire macabre : Qui sont ces gens qui, au nom du Prophète berger comme Abed, lui retirent le droit de subsister et faire du commerce de ses moutons ?
Il a eu le temps d’y penser sur la route de la Jordanie, qui fut longue en tracteur et comme il habitait à 100 km d’Hama, il a fait le lien avec ceux qui faisaient déjà en 1982, sauter les bus. Pourtant Hafez Al Assad, le président avait tout de suite riposté. A ses yeux donc, le gouvernement syrien actuel, qui a laissé cette vermine reprendre le pouvoir, est donc coupable de traitrise. Le pire arrivant maintenant sous la forme du Daesh qui le spolie de ses terres et le rend donc dépendant de….eh bien du PAM qui s’est donc imposé dans sa vie sous forme d’aide salutaire et puis maintenant ….de Dieu. Aucun espoir de retour car les bédouins sentent bien que personne n’est vraiment ferme en face de ce Daesh de l’enfer. Les bédouins redécouvrent avec douleur que sans terre, ils ne sont plus rien, n’ont plus d’emploi et plus rien à se mettre dans la bouche…
Pour lutter contre cette tragédie, ils se sont fédérés sous la forme d’un « Conseil des tribus et des clans syriens de Jordanie ». Un grain de sable qui espère attirer l’œil de quelques généreux donataires qui se souviendraient, par exemple, qu’ils ont aussi « du sang bédouin ». Avoir du sang bédouin est donc leur seul espoir pour Abed, au milieu des quelques 2 millions de réfugiés qui se demandent comment ils vont manger en janvier : Rappeler la grandeur d’âme bédouine, pousser au lien bédouin en espérant que ceux qui sont enivrés de pétrole auront une pensée pour ceux n’ont plus rien à boire. Un drame 1000 fois conté, qui fait espérer aux chrétiens d’Orient que « les chrétiens du monde » vont leur venir en aide, qui a fait espérer aux minorités que « leurs frères » …ailleurs, plus riches, mieux lotis….vont baisser leurs augustes yeux pour ne pas laisser dans la détresse ceux avec qui ils ont de si puissants points communs. Eviter qu’ils crèvent comme des chiens. On appelle ça comme on veut : de la solidarité, de la politique bien menée, de la basse stratégie…là n’est pas le point.
Le point aujourd’hui pour Abed c’est que qu’à part son appartenance bédouine à brandir au vent comme un keffieh rouge transformé en drapeau, appel à l’aide jeté dans un océan de sable et d’indifférence mondiale, il n’a plus rien pour nourrir ses enfants.