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Billet de blog 30 décembre 2014

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"Syria Ground Zero" de R. King , ou l'infâme construction de la propagande

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 Je viens de visionner l'intégrale des reportages « Syria Ground Zero » de Robert King sur Vice et j'en ai des nausées. Finalement il est mieux que je ne l'ai pas vu avant, car j'aurais risqué de prendre les armes contre ce gars que je devrais, théoriquement, toujours considèrer  comme un confrère...Mais comment peut-on oser faire cela ? Comment peut-on A CE POINT ne pas vérifier ses informations ? Est-il permis de se considérer comme journaliste quand on pond un documentaire pareil ? C'est accablant.

En gros, pour ceux qui n'ont pas vu ce pur chef d'oeuvre de « ce qu'il ne faut pas faire » en matière de recherche d'informations, Robert King est resté fort longtemps à Alep puis a été faire tour à Zaatari (camp de réfugiés syriens en Jordanie et à Deir Ez Zor (centre Syrie).

Il s'est fait balader avec une absence totale de regard critique pour nous sortir des images, bouleversantes of course, du « quotidien » des combattants d'Alep. EN passant, c'est sans doute par passion de la formule-choc qu'il a appelé son travail « Syria Ground Zero » car de la Syrie on ne voit qu'Alep et un bout de désert de la région de Deir EzZor. Le reste ne semble pas exister à ses yeux.

Donc surtout les combats à Alep, montrer la violence et l'horreur des combats à Alep. Évidemment dés le début il vous attrape à la gorge. Le médecin qui sacrifie sa vie pour sauver celle des autres est indiscutablement une âme noble et loin de moi l'idée de me permettre de le juger. Il y a là une humanité incontestable : le choix d'un homme qui soigne sans autre considération que sa mission : sauver des vies humaines. Il nous explique qu'en gros 80% de ses victimes sont civiles, 20% des rebelles et parfois aussi des soldats de l'armée régulière qui ont été fait prisonniers. Lui soigne, soulage et déplore le manque de chirurgien. On a mal pour ses patients et on admire ce regard sombre, calme, efficace. Par contre durant l'itw, il nous fournit des infos cruciales ce médecin. Infos que R. King eût bien fait d'écouter. Par exemple il nous explique clairement que dans le cas des volontaires de l'ASL il doit s'occuper d'eux à 100% car ils ne seront jamais soignés dans un hôpital gouvernemental mais que, par contre, quand il s'agit de femmes et d'enfants il procure les premiers soins puis envoie au plus vite les victimes « de l'autre côté », c'est à dire dans les zones tenues par l'Etat syrien, où il sait qu'elles seront correctement soignées. Donc c'est bien le soin des combattants qui pose problème mais j'avoue queje n'aurais pas non plus aimée être une combattante allemande soignée par les troupes françaises pendant la guerre mondiale.

Voilà maintenant l'itw d'un des snipers anti armée régulière (sur lequel R King s'attarde longuement sans jamais, mais alors jamais donner la parole aux soldats de l'armée régulière) . Toute la journée l'oeil dans le viseur , ce jeune homme de 16 ans,assie sur sa chaise, tire à vue « il faut d'ailleurs une bonne vue nous précise-t-il, car c'est très éprouvant si l'on ne veut pas faire d'erreur, d'ailleurs les snipers de l'armée syrienne sont sans coeur». Son chef, un barbu en gallabieh blanche , nous explique alors que « les soldats d'Assad sont tous chiites ». Je bondis de mon siège. Robert King va-t-il laisser dire ça ? Ne va-t-il pas demander à ce grand spécialiste d'où peuvent bien venir tous ces chiites dans un pays qui compte quasiment 90% de sunnites et où , comme d'habitude, la joie de faire l'armée est plutôt réservée aux pauvres, c'est à dire en priorité aux bédoins, sunnites, du coin. Rien. Pas une réaction. J'apprends donc avec stupeur qu'il s'agit en fait d'un conflit entre une armée chiite et les sunnites habitants d'Alep ! De quoi faire HURLER n'importe quel syrien. (et ce monsieur ne parlait pas des combattants libanais du Hezbollah, venue plus tard, mais bien de l'armée syrienne)

Mais ce n'est pas tout...Le fait que les valeureux combattants (ceux là même qui trimbalent Robert King) se cachent dans le vieux souk d'Alep et donc que ce soit ce précieux souk qui se soit fait pilonner ne génère aucune interrogation profonde chez le sieur King. Cet homme, dont on aurait pu subodorer qu'il connaissait vaguement la région et par exemple le fait que les armes du Hezbollah sont principalement rassemblées sous les ruines de Baalbek au Liban, ne voit ici aucune technique déjà connue....Disons un genre de technique dite « de la vieille pierre » (car les occidentaux sont très sensibles aux vieilles pierres) qui veut que les journaux internationaux relaient plus vite l'écroulement d'un patrimoine en pierre que la mort de 100 hommes. Surprise ! Voilà que l'on apprend maintenant que les rebelles étaient aussi cachés dans la mosquée des Omeyyades d'Alep, aujourd'hui en ruine (non?). «Mon cœur saigne à l'idée que le minaret soit tombé, c'est notre hitoire qui s'écroule» nous explique, la larme à l'oeil un vaillant combattant, qui espérait sans doute mieux protéger sa ville en se cachant sous le minaret en question.

Je vous passe la visite d'une raffinerie clandestine de Deir Ezzor où R. King a quand même écouté sans rire un charmant barbu lui expliquer que « le dommage écologique des fumée de nos installations est réel et nous en sommes confus. Nous voulions les arrêter mais le chien ne nous laisse pas d'autres solutions» (sic). Le fait que ce soit un enfant fort jeune (je dirais moins de 15 ans) qui s'occupe de dévisser régulièrement la soupape du tank de pétrole bouillant « pour éviter l'explosion » ne semble chiffonner personne et l'on reste béat de gratitude pour ce monsieur dont la moitié de l'interview est un fervent plaidoyer contre «les dommages écologiques regrettables ».

Je vous passe aussi la dernière interview d'un autre vénérable combattant dont les troupes psalmodient des injonctions religieuses en boucle en milieu et en fin d'interview. Aucun commentaire de R.King sur une éventuelle « dérive intégriste » à craindre, ne viendra éclairer son commentaire.

Bref, un travaille d'amateur militant. Pas une fois R King ne donnera la parole à l'autre camp, je veux dire, celui des méchants, celui qui vit de l'autre côté d'Alep, ou les militaires, ou la population d'autre ville (voire la capitale...) qui ne semble pas secoué par les mêmes situations. Pas une fois R. King ne modulera, dans son commentaire, les propos forcément enfiévrés et partisans des combattants qu'il interview. Pas une fois il ne posera des questions précises sur des sujets cruciaux (comme par exemple cette histoire grotesque  de "l'armée syrienne chiite").

Pas une seule fois il n'ira demander leur point de vue aux autres minorités syriennes qui sont pourtant on-ne-peut-plus présentes à Alep, en particulier les chrétiens. Ou les ismaéliens de Salamiyyé (qui furent bien évidemment par la suite les premières victimes des intégristes et donc maintenant du Daech).

Ça....... J'imagine qu'en voyant ce « reportage », qui fut tourné et diffusé par bribes, entre fin 2011 et 2013, l'Occident a dû frémir devant les horreurs engendrées par un tel monstre. On peut difficilement imaginer propagande plus efficace sous couvert de travail journalistique. On peut aussi difficilement imaginer comment les gens qui ne connaissaient rien à la Syrie trois jours avant, avaient une chance de se faire une idée un tantinet plus objective de ce qui s'y passait. On voit, par contre, très bien dans quel esprit les journalistes qui avaient vu ce « reportage » pouvaient partir, à fortiori ceux qui ne parlent pas arabe (une triste majorité). Pour finir on ne voit pas du tout comment l'historique de ce drame pouvait être traité avec plus de légèreté, de manque de recherche de l’exactitude et de volonté de l'image choc , de cette fameuse image trompeuse mais sensée tout résumer.

La Maison Blanche a dû en être toute retournée la malheureuse ! Elle qui lutte tant pour la paix et la démocratie ! Parce que , vraiment , mal traiter les combattants du camp adverse, c'est tout ce qu'elle combat. Il n'y a qu'à voir à Guatanemo.

 NB: Vous pouvez retrouver les liens vers tous mes papiers sur la Syrie depuis 2011 sur Mediapart, en bas de mon dernier billet, en cliquant ici.

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