Mémé ça y est il ne parle plus de vous, plus de toi et pourtant tu es, pour la seconde fois, une rescapée.
Depuis plusieurs années tu oublies, tu mélanges mais le courage, la joie, la générosité ça c’est sûr, tu n’as toujours pas oublié.
Tu fais partie de ces personnes âgées qui ont attrapé la Covid, pour toi c’était le variant anglais, un variant qui t’a conduit à l’isolement et un isolement qui a manqué de nous séparer sans au revoir.
Mais tu es solide Mémé et, même si tu n’as pas pu retourner dans ton appartement, si maintenant ta vie est là-bas, à l’hôpital, tu continues à avancer avec la tendresse et l’humour qui te vont si bien.
Eux, ils ne parlent plus des « vieux » comme tu dis Mémé, aujourd’hui ils parlent d’eux, ils se montrent, ils accaparent les médias, nous prennent notre temps en parlant pour ne rien dire. Ils veulent juste se faire élire et comme tu n’iras pas voter Mémé, ça y est ils t’ont oubliée.
Oh bien sûr, ils parlent de la Covid, ils nous bassinent avec celle-là. Pourtant dans ton service, les soignants sont en sous-effectifs, ils font de leur mieux, Mémé, mais ils sont fatigués. Malheureusement eux aussi, ils ne font plus l’actualité.
C’est triste mais on nous fait croire qu’il faut s’y habituer.
Et puis tu sais, les personnes âgées, dans notre société, ce n’est pas elles qui font le buzz. Ce n’est pas parler de la fin de vie qui fait vendre, rêver. Les médias aussi, maintenant, ils ont d’autres chats à fouetter.
Parce que depuis qu’il est question de la présidentielle, les égos surdimensionnés sont sur le point d’exploser.
Dans les discours, raison et dignité ont depuis longtemps été balayées, remplacées par l’argent et la haine qui hantent désormais le terrain.
Et ce terrain de la haine pourtant, Mémé, même si tu as beaucoup oublié, tu t’en souviens encore très bien.
Tout semble disparaître quand les images de la guerre te reviennent. La faim qui te tiraillait, le jour où en rentrant de l’école tu as mangé de l’herbe, les bombes, la peur, cet endroit où vous vous cachiez.
Et tu me dis, malgré tout, que tu avais de la chance, dans cette sombre histoire, car tu n’as perdu ni ta mère, ni ton père, ni tes frères. Parce qu’entre voisins, vous étiez solidaires et que vous partagiez.
Et bien Mémé, même si ta voix en 2022, ils s’en moquent, je crois que nous devrions tous t’écouter.
Toi et tous les rescapés de la deuxième guerre mondiale.
Toi et tous les rescapés de cette pandémie.
Cette pandémie qui nous fait râler, nous adultes gâtés, pour des questions de commodités mais qui a failli t’emporter.
Allez, Mémé, je ne te parlerai pas des plus fous, des plus orgueilleux, des plus haineux. Je préfère te parler de tes arrières petits-enfants, regarder, avec toi, tes carnets de dessins, boire une tisane et t’aider à marcher.
Je veux partager avec toi ce qui reste quand on a presque tout oublié, le plus important finalement, cette authentique envie de donner et ce plaisir de recevoir. De l’amour. De la présence. De la chaleur.