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Billet de blog 23 décembre 2021

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Chez eux, le Père Noël ne passait pas

Chez eux, le Père Noël ne passait pas, il n’avait pas le temps, pas envie, ou autre chose. Chez eux, on s’aimait mal. Mais heureusement ou malheureusement, on s’aimaient quand même…

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Chez eux, le Père Noël ne passait pas, il n’avait pas le temps, pas envie, ou autre chose. Chez eux, on s’aimait mal. Mais heureusement ou malheureusement, on s’aimaient quand même…

Elle est assise sur une chaise, devant son bureau. La chaise est blanche. Abîmée. Elle provient du restaurant de ses grands-parents. L’établissement existe toujours, il a changé de nom, de décorations, de propriétaires.

Elle n’habite pas très loin et pourtant elle ne s’y rend jamais. Elle n’en a pas envie.

La vie de ses grands-parents était dure. Les journées commençaient tôt et finissaient tard. Elle se souvient des récits de son grand-père sur son travail. Elle se demandait comment il pouvait tenir, sans s’écrouler de fatigue. Et tout ça pour un salaire de misère.

Elle repense à sa grand-mère, une vraie dure, qui ne savait ni s’écouter, ni écouter. Cette grand-mère qui, après une opération, avait fait une éventration pendant le service. Qui n’avait pas interrompu son service mais qui avait mis du gros scotch marron en guise de réparation. Pour fermer, à la hâte, deux pans de chair sur son ventre dont elle n’avait pas le temps de s’occuper. Qui ne s’était pas plainte. Qui ne s’était jamais plainte.

C’est parce qu’elle est assise sur cette chaise qu’elle pense à eux. Des tas de souvenirs remontent à la surface. Certains restent coincés, d'autres sortent. Elle a de bons et de mauvais souvenirs.

Elle aime repenser au temps du restaurant, des glaces faites maison. Surtout celles à la fraise et à la pistache.

Elle se revoit petite, l’hiver, dans le dortoir, il était juste au-dessus de la salle où les clients s'attablaient. Il n’y avait pas de chauffage dans le dortoir. Juste une brique chaude enroulée dans un drap au fond du lit et tellement de couvertures posées sur son corps, qu’une fois installée, elle ne pouvait plus bouger. Il fallait aussi aller aux toilettes avant de se coucher. Les toilettes n’étaient pas dans la pièce. Il fallait aller dehors. Une image remonte à la surface : elle est pieds nus, dans la neige, pour aller faire pipi. Des flocons aux allures de plumes tombent. Tout est recouvert de neige. Les arbres plient. La lumière de la nuit est légèrement violette. C’est magnifique, tellement beau qu’elle ne pense pas au froid. 

Elle réfléchit à ce moment. Ça ne pouvait pas être Noël, il n’y a jamais eu de fête de Noël avec ses grands-parents. Ils travaillaient toujours le jour de Noël, le restaurant était toujours plein. Elle n’a jamais fêté Noël avec ses grands-parents. Parfois le jour de l’an. Son père aussi ne fêtait pas Noël quand il était petit. Avait-il eu droit à des câlins, de la tendresse ce jour-là ? Les autres jours ? Elle n’en sait rien. Elle imagine que oui. Il recevait de l’amour d’une certaine façon. D’une autre façon.

Et puis, tout à coup, ses poings se serrent, son ventre se noue. Noël…C’est aussi un jour de Noël que sa grand-mère l’a mise à la porte. Que son grand-père n’a rien dit. Parce qu’elle coûtait trop chère. Elle logeait chez eux pour faire ses études. Elle aimait être avec eux. Et elle n’a rien vu venir.

La blessure a été vive, d’autant qu’elle l’a cachée pour ne pas créer d’ennui. Ça a été un point de rupture. Un rejet qui l’a mise par terre, puis qui lui a laissé un goût amer voire dégueulasse dans la bouche. Elle était tout juste majeure. Elle était une gamine qui ne connaissait pas grand-chose de la vie et qui s’est cassé les dents sur le trottoir. Le tout sans n’avoir rien vu venir. Elle a fini par pardonner mais le fossé et le vide étaient là. Le jour de Noël, pour une grand-mère toujours fourrée à l’Eglise. Ça avait quelque chose d’insensé.

Après, elle s’est éloignée. Presque enfuie. Elle ne voulait plus avoir besoin d’eux. De ses grands-parents. Au début, elle est passée chez eux, quelques fois. Rapidement. En essayant de ne pas laisser paraître son trouble et sa douleur. Elle n’arrivait pas à rompre totalement.

Puis, un jour, après le décès de son grand-père, elle a cessé de venir. Elle vivait plus loin. Loin des yeux, loin du cœur. Et elle a cassé le dernier lien. Ensuite, les années ont passé…

Quand elle a enfin pardonné, c’était trop tard. Sa grand-mère n’a jamais vu ses enfants. Elle ne lui a pas dit adieu et elle sait qu’elle se trimballera ce fardeau toute sa vie.

Elle est venue à l’enterrement de sa grand-mère sans l’avoir revue depuis des années. C’était ce qu’elle redoutait quand elle pensait à leur relation. Pourtant, elle est restée figée, incapable de faire un pas, de passer la voir. Pour réparer. Ou juste pour rien, seulement être ensemble une dernière fois…

Elle est allée aux obsèques de sa grand-mère. Pour son père. Elle avait le sentiment de jouer une mascarade. Elle ne sait pas si elle déteste plus le jour de Noël où elle a fini dehors ou bien le jour de l'enterrement de sa grand-mère. Il lui semblait qu'elle n’avait rien à faire là. Elle a pleuré durant la cérémonie. Pas de tristesse de l’avoir perdue mais de ce temps qu’elles n’avaient pas su passer ensemble.

Elle rêve souvent de ses grands-parents. Comme pour finir une histoire inachevée. Comme pour vivre des moments de proximité qui n’ont pas pu exister.

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