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Billet de blog 18 décembre 2024

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Vu de Suède - Sur l'impact de la loi sur les infractions sexuelles fondées sur le consentement

En 2018, la Suède a introduit une nouvelle loi sur les délits sexuels plaçant le consentement au centre de la définition du viol. Le débat existe également en France, où les exemples canadien et suédois sont souvent utilisés par ceux qui militent pour une modification de la loi. Vice-présidente de l'organisation nationale des refuges pour femmes en Suède, je témoigne des conséquences négatives de cette modification, qui n'a pas permis d'appréhender les violences quotidiennes.

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En Suède, une loi adoptée le 23 mai 2018 a élargi la définition du viol en le qualifiant de « tout acte sexuel sans accord explicite », rendant la notion de consentement inhérente à la caractérisation du viol.

Vice-présidente de Roks, l'organisation nationale des refuges pour femmes et jeunes femmes en Suède, je propose une note sur les conséquences négatives de la définition légale suédoise du viol (introduite par la loi de 2018) basée sur le consentement.

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L'organisation nationale des refuges pour femmes et jeunes femmes en Suède (Roks) est une force essentielle depuis 40 ans. Nos membres sont des refuges pour femmes et jeunes femmes qui se consacrent chaque jour au soutien des femmes, des filles et des enfants victimes de la violence masculine.

En 2018, la Suède a introduit une nouvelle loi sur les délits sexuels, qui place le consentement au centre de ses préoccupations. La législation stipule qu'un acte sexuel n'est considéré comme légal que si toutes les parties donnent explicitement leur consentement. Par conséquent, si une personne ne donne pas son consentement explicite ou montre une quelconque forme de résistance, l'acte est qualifié de violence sexuelle.

En 2022, Roks, en collaboration avec l'université d'Örebro et Statistics Sweden (SCB), a mené une étude sur la prévalence de la violence subie par les femmes et les jeunes filles. Au total, 15 000 femmes ont été invitées à participer à l'enquête, et 44 % d'entre elles ont répondu. L'étude a révélé que 25 % des personnes interrogées ont déclaré avoir été violées par un partenaire. Près d'une femme sur dix (9 %) a déclaré avoir subi un viol et/ou une tentative de viol de la part d'un ancien ou d'un actuel petit ami. En outre, 17 % ont indiqué qu'un petit ami les avait forcées à avoir une activité sexuelle malgré leur refus clairement exprimé. Cela se produit en dépit de la loi suédoise fondée sur le consentement.

Nous pouvons conclure que la loi sur les délits sexuels fondée sur le consentement n'a pas été applicable au groupe le plus important de filles et de femmes victimes de viols. La plupart des violences sexuelles ont eu lieu dans l'intimité du foyer, avec un consentement forcé. Roks peut confirmer que la loi sur les délits sexuels fondée sur le consentement n'a pas eu l'effet escompté, à savoir protéger les groupes les plus importants de femmes et de jeunes filles victimes de violences sexuelles.

Beaucoup de femmes et de filles victimes d'abus vivent dans des relations étroites, et la violence se produit souvent à la maison, où le consentement peut être difficile à prouver en raison des déséquilibres de pouvoir et de la pression psychologique. Ces situations ne sont donc pas toujours prises en compte par la loi. En outre, dans de nombreux cas, le consentement devient une stratégie de survie pour éviter d'autres violences physiques et psychologiques. En Suède, la loi sur les délits sexuels fondés sur le consentement a surtout été utilisée lorsque l'auteur était relativement inconnu. Elle n'a pas permis de couvrir les violences quotidiennes, qui constituent la majorité des viols. Les centres d'accueil pour femmes et jeunes filles de Roks en Suède rencontrent tous les jours des femmes et des jeunes filles qui, selon la loi, ont consenti au viol mais ne l'ont pas voulu.

La Suède a également introduit une loi sur le viol par négligence, que Roks prend très au sérieux. Cette loi signifie qu'un homme qui commet un viol peut être condamné à une peine moins lourde s’il aurait dû savoir qu'il n'y avait pas de consentement. Cette législation permet aux hommes de justifier le viol d'une personne plutôt que de protéger les femmes et les jeunes filles.

Roks souligne que, malgré l'introduction de la loi sur le consentement, il n'y a pas eu d'augmentation notable dans la résolution des cas. L'organisation souligne qu'une grande partie des plaintes pour viol n'aboutissent toujours pas à des condamnations, ce qui dénote d'importantes lacunes dans la capacité du système judiciaire à tenir les auteurs de viols responsables de leurs actes. Selon le Conseil national suédois pour la prévention du crime, 9 476 cas de viol ont été signalés en 2023, dont 182 ont été classés comme viols par négligence. La même année, seuls 15 % des cas de viols signalés ont été considérés comme résolus par la police suédoise. Parmi ces affaires résolues, la majorité n'a pas abouti à une condamnation.

Ainsi, la loi suédoise sur les délits sexuels fondés sur le consentement n'a pas eu les effets escomptés par les décideurs et les hommes politiques. Elle repose sur l'hypothèse d'une société dépourvue de structures inégalitaires. Or, l'inégalité reste bien ancrée en Suède, favorisant des perceptions dépassées des femmes. Cette inégalité persistante rend la loi sur le consentement inefficace pour prévenir la violence sexuelle à l'encontre des femmes et des jeunes filles, occultant le problème sous-jacent au lieu de le résoudre.

Adine Samadi
Vice president
The National Organization for Women’s Shelters and young women’s Shelters in Sweden

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