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Billet de blog 5 mai 2024

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L'ARS a-t-elle fait le choix de ne pas créer le CHU en Guyane?

Un récent article de Guyaweb mettait en avant « une structure juridique qui fait débat » concernant le choix de l'ARS de passer par la création d'un Groupement de Coopération Sanitaire – Etablissement de Santé (GCS-ES) afin de créer le futur CHU. En effet, selon une expertise juridique réalisée à la demande des médecins du CHC, le GCS-ES ne peut pas être le support d'un CHU ! Décryptage.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Janvier 2001, après une grève de 45 jours les syndicalistes de l'hôpital de Cayenne arrachent dans le protocole de fin de conflit, la création d'un CHU dans les 10 ans, promesse qui ne sera pas tenue par l'Etat. La création du CHU se retrouve dans les annexes des Accords de Guyane de 2017, ainsi que dans le protocole de fin de conflit de la grève du CHC de la même année, sans toutefois d'engagement ferme de l'Etat. Il faudra finalement attendre la mobilisation du Mayouri Santé Guyane en plein covid en juillet 2020, pour obtenir un engagement ferme de l'Etat concernant la création du CHU pour 2025.

Depuis, ce projet prend forme, les équipes des 3 hôpitaux guyanais élaborent un projet médical commun. Des rencontres régulières entre les élus, l'ARS et les hospitaliers se tiennent avec l'objectif de créer le CHU en 2025. La création d'un CHU n'est pas en soi quelque chose de difficile, il suffit qu'un hôpital de ressort régional (CHR) passe une convention avec une université, pour devenir un CHU. Cependant, la création d'un CHU multisite comme celui qui doit être mis en place en Guyane, nécessite quelques choix sur la forme juridique qui peuvent être déterminante. Selon le rapport de l'IGAS de 2021 et les engagements du Ministère de la Santé, le CHU de Guyane doit regrouper les trois hôpitaux de Cayenne, Kourou et Saint Laurent ainsi que les centres de santé (CDPS).

L'IGAS préconise dans son rapport la fusion des trois hôpitaux en une seule et même structure juridique qui deviendrait un Centre Hospitalier Régional et qui passerait une convention avec l'Université des Antilles (dans laquelle il y a une faculté de médecine) pour devenir officiellement un CHU. Cette option est la plus simple et la plus courante dans la création des CHU multisites en France.

L'autre option pouvant permettre la création du CHU multisite en Guyane, développée par l'expertise demandé par les médecins du CHC, serait de transformer le CHC et le CHOG en Centres Hospitaliers Régionaux afin qu'ils conventionnent chacun avec l'Université des Antilles, formant ainsi un CHU multisite avec des établissements qui resteraient autonomes les uns des autres. Le problème de cette formule est que le CHK et les CDPS qui n'ont pas les capacités médicales à eux seuls pour devenir CHR, n'intégreraient pas directement le CHU et devrait passer une convention de coopération avec le CHC et le CHOG qui seraient devenus des CHU.

Enfin, l'expertise juridique demandée par les médecins du CHC, se penche sur la possibilité de créer un CHU à partir d'un Groupement de Coopération Sanitaire – Etablissement de Santé (GCS-ES) souhaité par l'ARS. Leur verdict est sans appel, cela est juridiquement impossible ! Pour bien comprendre, revenons d'abord sur ce qu'est un GCS-ES. Créé en 2007 par la loi Bachelot, ce dispositif permet de fusionner différents services médicaux de différents hôpitaux pour créer artificiellement un nouvel établissement de santé. Pour ce faire, les autorisations d'activités de soins doivent être transférées des hôpitaux vers le GCS-ES qui deviendrait alors un établissement de santé de ressort régional (CHR) et qui passerait une convention avec l'Université des Antilles pour devenir CHU. Cependant, plusieurs difficultés sont soulevées par les experts. Tout d'abord, les transferts des activités de soins des trois hôpitaux vers le GCS-ES feraient que les trois hôpitaux deviendraient juridiquement des coquilles vides sans autorisation d'activité de soin et perdraient leur statut d'établissement de santé ! De plus, comme ce sont les activités de soins qui sont rémunérées par la sécurité sociale ou par l'ARS, les trois hôpitaux de Guyane perdraient leur financement qui irait vers le GCS-ES ! Enfin, élément de taille, il ressort de l'expertise et du code de santé publique, qu'un GCS-ES ne peut mener des activités d'enseignements et de recherche qu'en passant une convention avec un CHU déjà existant, or sans activité d'enseignements et de recherche un CHR ne peut pas devenir un CHU ! En d'autre terme, un GCS-ES ne peut servir de base juridique pour créer un CHU ! Tout au plus, le GCS-ES de Guyane pourrait passer une convention avec le CHU de Fort de France ou de Pointe à Pitre pour permettre au service de recherche du CHC déjà existant de continuer de fonctionner, sans pour autant avoir le statut de CHU !

Mais alors pourquoi l'ARS s'oriente-t-il dans cette voie sans issue ? Officiellement, le Directeur de l'ARS répète à qui veut l'entendre, que les élus guyanais ne souhaitent pas la fusion des trois établissements et que le GCS-ES est la seule alternative. Pourtant, à la question du journaliste de Guyaweb mettant en avant l'incompatibilité du GCS-ES comme base juridique du CHU, le directeur de l'ARS n'a pas souhaité répondre ! Doit-on voir dans cet entêtement de l'ARS une volonté de blocage de la création du CHU ?

Qu'est-ce que les élus locaux peuvent gagner en refusant la fusion des trois hôpitaux de Guyane ? Les élus locaux siègent dans les conseils de surveillances qui se prononcent sur les choix stratégiques des hôpitaux. Leur nombre et leur qualité dépend du ressort de l'établissement de santé concerné. Actuellement, pour le CHOG de ressort inter-communal, deux élus communaux, deux élus de la CCOG et un élu de la CTG siègent au conseil de surveillance composé de 15 membres. Pour le CHK de ressort intercommunal, deux élus communaux, deux élus des EPCI (CCDS et CACL) et un élu de la CTG siègent au conseil de surveillance composé de 15 membres. Enfin, pour le CHC de ressort départemental, un élu communal, deux élus de la CACL et deux élus de la CTG siègent au conseil de surveillance composé de 15 membres. En cas de fusion et de création d'un CHU, un seul conseil de surveillance de 15 membres composé d'un élu communal, de deux élus intercommunaux (CACL, CCOG ou CCDS) et de trois élus de la CTG, serait mis en place. Il y aurait certes un nombre moindre d'élus locaux qu'actuellement au sein du conseil de surveillance, cependant, en cas de GCS-ES qui obtiendrait le statut de CHR, il y aurait le même nombre d'élus présents dans les instances décisionnaires qu'en cas de fusion des trois hôpitaux, car n'oublions pas que les hôpitaux perdraient leurs autorisations d'activités de soins et donc leur qualité d'établissement de santé et par conséquent il n'y aurait plus de conseils de surveillances pour ces hôpitaux ! Il n'y a donc aucun intérêt pour les élus locaux de refuser la fusion des trois hôpitaux, à part s'ils ne souhaitent pas la création du CHU !

Face à la menace d'impossibilité de création du CHU sur les bases juridiques souhaitées par l'ARS, il est plus qu'urgent que les élus guyanais se positionnent clairement afin d'éviter toute catastrophe future. Il ne nous reste que 6 mois pour finaliser la création du CHU, ne gâchons pas une opportunité qui a été si difficile à obtenir !

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