Selon le recensement de 20131, les immigrants représentent 29% de la population guyanaise, alors que le taux d'étrangers (qui inclut les enfants nés en Guyane de parents étrangers et exclut les migrants naturalisés français) est de 34,5%2. Comme le précisent les universitaires guyanais3, cette situation est « un défi politique de grande ampleur qui s’impose aux Guyanais ». Afin de tenter d'éclairer ce débat, nous vous proposons de revenir sur l'histoire des migrations en Guyane. La Guyane est à l'image de l'Amérique : un continent qui a été le lieu de rencontre de trois autres : Europe, Afrique et Asie. Ces rencontres se sont souvent réalisées dans un contexte de violence et de domination, dans le cadre des rivalités coloniales pour le partage du monde. Malgré le contexte colonial, la rencontre de ces populations a abouti à un brassage culturel unique dans lequel s'est forgée l'identité guyanaise. Les vagues migratoires de la fin du XXème siècle doivent à leur tour alimenter « les fleuves de Damas », afin de permettre à la Guyane et à ses habitants de construire ensemble leur destin commun.
L'arrivée des premiers humains
Les traces anthropomorphes les plus anciennes découvertes en Guyane sont datées d'environ 8 000 ans sur le « Plateau des Mines ». Cela correspond à l'époque de la première colonisation humaine des Amériques, qui aurait commencé il y a 50 000 ans et qui a vu des vagues successives de groupes d'individus venant d'Asie occupant petit à petit l'ensemble du continent américain. Les traces archéologiques de la présence humaine en Guyane montrent que des groupes culturels venant de divers territoires d'Amérique du sud se sont croisés en Guyane4. Ces restes nous apprennent qu'un premier groupe venant de l'Orénoque (actuel Vénézuela) s'est installé sur l'ensemble du plateau des Guyanes, ainsi que dans la Caraïbe il y a environ 2000 ans. On pense que leur descendants sont les Arawak représentés encore aujourd'hui par les Lokono et Palikur en Guyane. D'autres fragments archéologiques nous montrent qu'il y a environ 1200 ans d'autres humains venant de l'Amazone (actuel Brésil) ont à leur tour colonisé le plateau des Guyanes et une partie de la Caraïbe. On suppose que leur descendants sont les Caribes, représentés encore aujourd'hui en Guyane par les Kali'na et Wayana. On note également des restes archéologiques nous montrant d'autres vagues migratoires venant notamment de l'Amazonie dont les descendants actuels seraient les Tupi Guarani représentés en Guyane par les Wayãpi et les Teko.
La colonisation européenne
Cette occupation du territoire s'est vue remise en cause par l'arrivée des Européens il y a 500 ans. Sur une population estimée5 entre 30 000 et 80 0006 habitants à l'arrivée des colons européens au début du XVIème siècle, on en dénombrait moins de 3000 à la moitié du XIXème siècle, pour un peu plus de 10 000 actuellement. A leur arrivée, les Européens vont se battre pour le partage des territoires et vont réduire en esclavage une partie de la population autochtone. Combiné à l'importation de maladies jusqu'alors inconnues sur le continent, on estime qu'à l'échelle du continent, 90% des « Indiens d'Amérique » vont disparaître à l'issue de la colonisation européenne.
La déportation africaine
Les Français vont s'installer en Guyane vers 1604 après avoir été chassés de Rio de Janerio par les Portugais. Après diverses batailles avec les Hollandais, les Anglais et les Portugais, les Français vont durablement s'installer en Guyane vers 1676, seul les Portugais interrompront l'occupation française en reprenant Cayenne entre 1809 et 1817. Les Amérindiens ayant fui vers l’intérieur de la Guyane dans la forêt amazonienne, les Français vont déporter des Africains pour les réduire en esclavage. Le premier bateau négrier mouillera au port de Cayenne en 1680. A l'échelle du continent, c'est plus de 11 millions d'africains qui vont être réduits en esclavage en Amérique, dont plus de 1,6 millions7 dans les seules colonies françaises d'Amérique. La colonie guyanaise a longtemps manqué de main-d’œuvre, les colons se plaignant de ne pas avoir le nombre d'esclaves suffisant pour développer la colonie. Des cas d'esclavage amérindien seront d'ailleurs constatés jusqu'en 1737 sur l'Oyapok8. La population d'origine africaine9 représente quand même 90% de la population recensée lors de l'abolition de l'esclavage.
Les communautés Noires Marronnes
La Guyane française va connaître de nombreux cas de marronnage. Nombre d'esclaves rejoignent ainsi des communautés libres basées à l'intérieur des terres, du Brésil à la Guyane anglaise. Certaines de ces communautés vont se structurer pour former de nouvelles sociétés avec leur culture, leur langue et leur économie. Une partie de ces communautés qui se sont formées il y a 250 à 350 ans ont réussi à traverser les siècles malgré la répression des colons, ce sont les Noirs Marrons qui sont représentés en Guyane par les Aluku, Ndjuka, Paramaka et Saamaka.
Le peuplement des Savanes
Pour peupler la Guyane, la France va envoyer en 1764 un contingent de 12 000 hommes (pour une population guyanaise estimée à moins de 10 000 habitants) venant de France et d'Acadie lors de l'expédition de Kourou. Trois ans plus tard, la colonisation du fleuve Kourou est un échec total et une partie des 2 000 survivants demande à être rapatrié en France. Malgré tout, plusieurs dizaines de colons rescapés s’installeront durablement dans les savanes avec leurs esclaves pour fonder ce qui deviendra Sinamary et Iracoubo.
Les « travailleurs sous contrat » pour contrer l'abolition de l'esclavage
En 1848, l'abolition de l'esclavage libère 12943 esclaves10 en Guyane, ce qui représente les deux tiers de la population recensée. Après l'abolition de l'esclavage de 1848, la France va faire venir des « travailleurs sous contrat »11 venant de Chine, de Java, d'Inde ou encore d'Afrique. On fait à l'époque signer des contrats aux travailleurs asiatiques et aux prisonniers africains qui sont envoyés en Amérique remplacer les esclaves dans les champs, avec, à la différence de ces derniers, un contrat d'une durée précise (environ 10 ans) au bout de laquelle il sortent de la servitude et touchent un petit salaire avec lequel ils doivent survivre. Ainsi, plusieurs centaines d'Asiatiques vont arriver en Guyane, aujourd'hui leurs descendants sont ceux que l'on appelle parfois "Coolies" (mot tamoul signifiant salaire), "Batachinois" ou encore "Javanais".
L'arrivée de populations issues d'autres colonies françaises
Puis, vient la fièvre de l'or en Guyane, avec l'arrivée de nombreux Caribéens, notamment des Sainte-Luciens qui seront à l'origine de la construction de Saül. Dans la même période, à la suite de la Première Guerre Mondiale le partage de l'Empire Ottoman entre Français et Anglais va amener sur les terres guyanaises des commerçants de Syrie et du Liban.
En 1902, la destruction de Saint-Pierre en Martinique va envoyer plusieurs centaines de réfugiés martiniquais sur le littoral guyanais, ils fonderont notamment la commune de Montjoly.
Les bagnards
Pour parer au manque de population servile, de 1852 à 1946 la France envoie en Guyane de nombreux bagnards condamnés pour des faits plus ou moins graves. Ainsi, la Guyane va voir arriver des milliers de prisonniers travaillant dans les bagnes avec des taux de décès vertigineux (7 000 survivants sur 17 000 bagnards12). Les bagnes de Guyane prennent le surnom de « guillotine sèche » et deviennent vite une destination de choix pour envoyer les opposants politiques, ceux de la Commune de Paris, puis ceux de la révolte d'Alger et enfin un contingent impressionnant d'Indochinois révoltés contre l'occupation coloniale. A la fermeture des bagnes, la plupart des bagnards survivants vont regagner leur pays d'origine. Cependant, la politique de « double peine » obligeant les bagnards ayant fait plus de huit ans de bagne à rester à vie en Guyane, va tout de même laisser plusieurs dizaines d'Européens sur le territoire guyanais.
La construction du Centre Spatial Guyanais
Puis, dans les années 1960, la France va faire venir plus de 250013 travailleurs brésiliens et saamaka de Guyane hollandaise pour construire le Centre Spatial Guyanais, ces derniers fonderont pour l'occasion le « village Saramaka » de Kourou.
L'installation des Hmongs
Ensuite, la France installera plusieurs centaines de Hmongs qui fuient le nouveau régime laotien qu'ils ont combattu aux côtés de la France et des Etats-Unis lors des guerres d'Indochine et du Vietnam. Les Hmongs sont installés dans le cadre du « plan vert » sur la commune de Mana et de Roura avec pour objectif de développer l'agriculture en Guyane.
Les Noirs Marrons fuient les massacres
Dans les années 1980, plusieurs milliers de Noirs Marrons du Surinam vont se réfugier en Guyane pour fuir la guerre civile. Cette guerre qui va tuer plus de 3 000 Noirs Marrons, sera marquée par la violence de l’État surinamais qui n’hésitera pas à pratiquer de nombreuses exécutions arbitraires et utilisera du napalm sur les village Noirs Marrons !
Les haïtiens fuient la dictature et les catastrophes « naturelles »
C'est également dans les années 1980 que les premières vagues de migrants Haïtiens vont arriver en Guyane, fuyant les violences de la dictature Duvalier soutenue par les Etats-Unis et la France. Rappelons que Haïti a payé un lourd tribu pour avoir oser bâtir la première République noire du monde. Ainsi, pour reconnaître cet État né de la révolution des esclaves, la France va imposer pendant plus de 100 ans une compensation financière pour dédommager les pertes subies par la France et ses colons. La domination de la France a été remplacée au début du XXème siècle par celle des États-Unis. Cette « dette » a définitivement plombé l'économie haïtienne qui n'a depuis jamais réussi à relever la tête. Depuis, chaque cyclone ou tremblement de terre se solde par une hécatombe, les infrastructures haïtiennes n'étant pas adaptées pour résister, poussant des milliers d'Haïtiens à migrer vers les États-Unis, le Canada, la République Dominicaine, la France ou encore la Guyane.
Une Guyane qui « s'américanise »
Enfin sur ces vingt dernières années, des migrants venant d'Amérique hispanophone (Colombie, Pérou, Venezuela, République Dominicaine notamment) sont arrivés en Guyane, souvent pour fuir des situations de crises politiques ou économiques. Dans le même temps, de nombreux brésiliens de la région du Nordeste, la plus pauvre du pays, ont fui la misère et la violence des « fazendeiros » qui perpétuaient dans cette région une forme d'esclavage moderne14.
Le turn-over « métropolitain »
Parallèlement, sur les dernières décennies, un nombre important d'Européens est venu travailler en Guyane, souvent dans la fonction publique, seule une petite partie d'entre eux ont choisi de s'établir durablement en Guyane, on les appelle les « métropolitains ».
Conclusion
Comme on le voit, la Guyane a connu de nombreuses vagues migratoires, comme l'ensemble de l'Amérique. Cependant, il est intéressant de voir comment les vagues migratoires du XIXème et du début du XXème siècle ont donné naissance à une population guyanaise métissée, qui a forgé sa propre culture en se nourrissant des apports de chacun. Dans « Black Label » en 1956, Léon-Gontran Damas intègre déjà cette notion de mélange culturel comme essence de l'identité guyanaise, notamment par ce célèbre vers « trois fleuves coulent dans mes veines ». De la même façon, nous devons aujourd'hui compiler les apports de chacun dans une culture commune afin d'alimenter les fleuves de Damas. Si nous y arrivons, alors probablement que dans une vingtaine d'années, il sera aussi anodin de parler de guyanais d'origine libanaise que de guyanais d'origine brésilienne, haïtienne ou encoresurinamienne. De toutes les cultures humaines, la culture guyanaise reste une des plus intégrantes permettant à chacun de s'intégrer dans le respect de ses différences. Les diverses cultures présentes en Guyane se mélangent, se métissent et s’interpénètrent, formant ce qu’Édouard Glissant appelait la « créolisation » culturelle. La force de ce territoire se caractérise par la volonté de construire un destin commun interculturel, dans un pays commun : La Guyane. Ainsi, nous aussi, pouvons affirmer qu'est guyanais toute personne qui connaît la Guyane et qui fait le choix de s'y investir.
1https://www.insee.fr/fr/statistiques/2020940?sommaire=2106113&geo=DEP-973
2https://www.insee.fr/fr/statistiques/2012699#tableau-TCRD_011_tab1_regions2016
3Mam Lam Fouck S., Hidair I.,Moomou J., Tiouka F., Nicolas T., Elfort M., Construire la société guyanaise
4MIGEON G., « Le rôle de la Guyane précolombienne dans la zone d’interactions caribéo-amazonienne », EchoGéo [En ligne], mis en ligne le 25 août 2008.
5HURAULT J., La vie matérielle des Noirs réfugiés Boni et des indiens Wayana du Haut Maroni, OSTROM, Paris, 1965.
6COUTET C., MIGEON G., Cadre chronologique et contexte culturel. Les peuples anciens de la Guyane française et de l'Amazonie, in :Amérindiens de Guyane entre les fleuves Approuague et Oyapock, des cultures millénaires, Musée d'Archéologie nationale et Domaine national de Saint-Germain-en-Laye, l'Ecomusée municipal d'Approuague-Kaw, Régina et la DRAC Guyane, 2010, p. 38
7http://www.frontenac-ameriques.org/histoire-et-memoire/article/l-esclavage-dans-les-colonies
8ANSOM, d'Orvilliers, 1737
96432 noirs libres et 12943 esclaves recensé en 1847, In, La Guyane française au temps de l'esclavage, de l'or et de la francisation, Serge Mam Lam Fouck, p118
10Idem.
11Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l'Europe, L’engagisme dans les colonies européennes au xixe siècle
12MICHELOT J-C., La guillotine sèche : Histoire du bagne de Cayenne, Paris, Fayard, 1981. 361p.
13http://www.cnes-csg.fr/web/CNES-CSG-fr/9780-les-differentes-installations-du-passe.php
14https://alencontre.org/ameriques/amelat/bresil/bresil-qui-sont-ces-travailleurs-esclaves-et-les-fazendeiros-%C2%ABesclavocrates%C2%BB.html