adrien guilleau

Abonné·e de Mediapart

46 Billets

0 Édition

Billet de blog 20 mars 2017

adrien guilleau

Abonné·e de Mediapart

LA SANTE DES GUYANAIS SACRIFIEE SUR L'AUTEL DU PROFIT

Depuis plusieurs années de trop nombreux faits divers viennent nous rappeler l'état catastrophique du système sanitaire guyanais. Le dossier que nous vous proposons est l'occasion de faire un état des lieux du système sanitaire en Guyane. Nous tenterons également de comprendre les raisons de ces tristes constats et d'entrevoir des solutions adaptées aux spécificités guyanaises.

adrien guilleau

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

I Les structures sanitaires :

 Etat des lieux:

 La Guyane est dotée de deux établissements publics de santé, le Centre Hospitalier Andrée Rosemon (CHAR) à Cayenne, et le Centre Hospitalier de l'Ouest Guyanais (CHOG) à Saint Laurent du Maroni. On dénombre également une vingtaine de Centres Délocalisés de Prévention et de Soins (CDPS) disséminés sur l'ensemble des communes n'ayant pas de structure hospitalière. Les CDPS sont rattachés au CHAR.

 La Guyane compte également un établissement privé à but non lucratif géré par la Croix Rouge à Kourou, c'est le Centre Médico-Chirugical de Kourou (CMCK).

 Enfin, ont dénombre deux cliniques privées à but lucratif: la Clinique Véronique à Cayenne et la Clinique Saint Paul. Notons que cette dernière n'est pas équipée de bloc opératoire et n'accueille que des soins de suites.

 Dans le Plan Stratégique Régional de Santé (PSRS) pour la période 2011-2015, l'ARS admet :  « Le taux d’équipement en lits MCO (Médecine Chirurgie Obstétrique NDLR) est inférieur d’un tiers (38,3%) à celui de la métropole, et régresse au fur et à mesure que la population croît : il a diminué de moitié depuis 1990, principalement en chirurgie ».

 Nombre de lits pour mille habitants en 2010 : en France = 4,07 / en Guyane=2,8 .

 Espérance de vie des hommes: 76,8 ans en France/ 72,2 ans en Guyane

 Taux de mortalité infantile: 3,5 pour mille naissances en France/ 10,4 pour mille naissances en Guyane

 Taux Accouchement prématuré: 7,40% en France/ 14,30% en Guyane

 (Source : INSEE)

 Les principales causes de décès en Guyane1 :

  Maladie vasculaire : 24%

  Traumatisme (dont suicide) : 20%

  Tumeur : 17%

  Infection, dont VIH : 10%

  Infection périnatale : 4%

 Selon L'Agence Régionale de la Santé (ARS), délégation du ministère en Guyane, en comparaison avec la France, 93% des complications mortelles liées au VIH seraient évitables, ainsi que 71% des complications mortelles d'infections néonatales, 42% des complications mortelles des AVC et 52% des complications mortelles liées au diabète ! Ainsi, selon l'ARS Guyane, entre 2005 et 2007, les 10 principales causes de décès en Guyane ont provoqué 287 décès, dont 167 décès uniquement liés au fait de vivre en Guyane !! Autrement dit, 58% des personnes mortes en Guyane entre 2005 et 2007 ne l'auraient pas été si elles avaient vécu en France métropolitaine !

b) Des structures mal adaptées aux besoins du pays

 Plusieurs spécialités médicales ne sont pas présentes en Guyane, ce qui oblige de nombreux guyanais à de devoir quitter le territoire pour être évacués vers les Antilles ou la France. Selon l'ARS dans le PSRS 2011-2015 : « les services spécialisés inexistants en région au 1er janvier 2011, citons les soins intensifs cardiologiques ou neuro-vasculaires, la radiologie interventionnelle, la chirurgie thoracique, la neurochirurgie, la chirurgie maxillo-faciale, la radiothérapie, l’hématologie clinique. D’autres spécialités sont peu accessibles et menacées car assumées par un nombre très restreint de médecins voire un seul (endocrinologie, pneumologie, rééducation fonctionnelle...) ». On pourrait ajouter l'Aide Médicale à la Procréation qui a un rôle très limité en Guyane, sans Fécondation In Vitro, nécessitant de nombreux départs vers la France.

 De plus, nombre de services sont sous dotés en lits, en matériel ou en personnel. L'ouverture des services se font selon des standards français qui prennent en compte une durée moyenne de séjourtype, calculée en France. Or, en raison de spécificités locales, la durée moyenne de séjour en Guyane a toujours été plus élevée. Cela est lié, notamment, à l'éloignement géographique des patients venants des communes de l'intérieur, ou, encore, à la précarité sociale accrue qui nécessite des prises en charge plus longues et plus complexes. Par conséquent, le nombre de lits dans les services qui s'ouvrent est fréquemment insuffisant. C'est le cas, par exemple, du nouveau service d'obstétrique du CHAR qui déborde en permanence. De plus, la Guyane connaît une croissance démographique vertigineuse et les besoins d'aujourd'hui seront dépassés dans 10 ans ! Enfin, l'ouverture des services ne correspond pas forcement aux besoins de santé des guyanais qui ont des pathologies spécifiques, ou différemment réparties sur la population par rapport aux standards français. Par exemple, la Guyane connaît une épidémie de diabète et d'AVC, pourtant le service de diabétologie du CHAR ne devrait ouvrir qu'en janvier et la chirurgie cardio-vasculaire n'est pas à l'ordre du jour en Guyane !

 Concernant les manques en matériel, l'éloignement de plus de 7000Km de notre principal fournisseur (la France) créé des situations d'incroyables pénuries en médicaments (exemple des pénuries récurrentes en période de noël car le fret priorise les caisses de champagne aux médicament vitaux!). La situation économique de nos hôpitaux favorise également les pénuries en tout genre. Ainsi, par manque de paiement des fournisseurs, le CHAR est régulièrement en pénurie de matériel de première nécessité (gants, seringues, aiguilles...).

 Enfin, le manque de personnel est lié à deux facteurs : d'une part à un manque criant de médecins spécialistes et de soignants diplômés, surtout dans les CDPS et au CHOG, résultant de l'éloignement géographique de Cayenne ; et, d'autre part, à un manque de personnel lié à des restrictions budgétaires qui vont dans le sens des demandes de l'Etat français, notamment, au CHAR.

II La situation financière des établissements de santé :

 a)Etat des lieux :

 Les établissements de santé de Guyane sont dans le rouge :

 La clinique Véronique est sur le point de fermer, la maternité a été délocalisée au CHAR et le bloc opératoire est fermé. Ce n'est pas la première fois que cette structure est revendue dans des situations critiques, mais à l'heure actuelle il est difficile de connaître son avenir !

 Le Centre Médico-Chirurgical de Kourou (CMCK) est au bord du gouffre avec un déficit de 8 millions d'euros. La Croix Rouge ne peut plus assurer durablement le bon fonctionnement de la structure. On parle déjà d'une fusion avec l'hôpital de Cayenne qui n'est pas en meilleur état !

 Le Centre Hospitalier Andrée Rosemon de Cayenne (CHAR) accuse un déficit de 25 millions d'euros. Une mauvaise gestion des deux anciens directeurs est mise en cause, mais comme nous le verrons, cette structure est également victime des coupes budgétaires de l'Etat ! Le seul avantage de cet établissement est qu'il ne peut pas fermer, car c'est le centre hospitalier de référence de la Guyane ! Une administration provisoire a été mise en place pendant 6 mois le temps de faire le point sur les comptes et de proposer des solutions de refinancement (ils ont d'ailleurs découvert plus de 14 millions de déficits qui étaient cachés !!).

 Le Centre Hospitalier de l'Ouest Guyanais de Saint Laurent du Maroni (CHOG) est en reconstruction (il était temps), mais un effort budgétaire important risque d'être demandé pour compenser l'aide de l'Etat. En effet, depuis quelques années, tout prêt concédé à un établissement est conditionné à un Plan de Retour à l’Équilibre qui cherche à tailler dans les effectifs !

b)Le système de santé français sacrifié sur l’autel du capital :

 Le système de santé français a connu en 10 ans trois vagues successives de libéralisation. La logique marchande est maintenant totalement intégrée, les soins sont devenus des biens marchands à part entière. Des techniques de management venues de l'industrie privée sont utilisées, tel que le « Lean management ». Il faut faire un maximum de soins avec une durée d'hospitalisation réduite au maximum, les effectifs sont compressés, l'accompagnement social et psychologique n'ont plus leur place dans le quotidien des soignants à qui on demande toujours plus avec toujours moins. En 20 ans, ¼ des maternités ont fermé, chaque années des milliers de lits sont supprimés. Le système de santé français ne répond plus au besoins de la population mais à une pure logique marchande. La loi Bachelot de 2007 a introduit un financement des hôpitaux basé, non plus sur les besoins de soins, mais sur les actes effectués. C'est la fameuse Tarification à l'Activité (T2A). La loi Hôpital Patient Santé et Territoire a mis sur un pied d'égalité les établissements privés à but lucratif avec les établissements publics. Quant à la loi Touraine, elle a mis en place une mutualisation des moyens entre les diverses structures publiques et privées, terminant de transférer les soins qui « rapportent » au privé et le reste au public! Le système de santé français est ainsi passé de la première place mondiale du classement de l'Organisation Mondiale de la Santé en 2000, à la neuvième place d'un classement de 11 pays occidentaux2 (l'OMS n'ayant plus produit de classement depuis 2000). En France, des vagues de suicides apparaissent dans les hôpitaux, dans la seule période estivale cinq infirmières se sont données la mort en mettant en accusation leur conditions de travail ! Cette destruction du système sanitaire s'est accrue sous le gouvernement Hollande avec la mise en place de restrictions budgétaires de 3 milliards d'euros chaque année et cela à la seule fin de financer le « Pacte de Compétitivité » et le « Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE)» qui a offert 50 milliards d'euros au patronat français sur l'ensemble du quinquennat !! Notons, par ailleurs, que ces 50 milliards auront finalement permis au patronat français de verser des dividendes records aux actionnaires sans créer d'embauches, comme l'illustre le cas de la famille Gattaz qui s'est reversée 1 million d'euros de dividendes pour la même somme perçue au nom du CICE, sans créer le moindre emploi dans l'entreprise familiale.

c)Le schéma sanitaire guyanais dégradé par ce sacrifice

Les dégâts de cette politique se sont particulièrement fait ressentir en Guyane. La mise en place de la T2A n'est absolument pas adaptée aux particularités guyanaises. En effet, ce financement des hôpitaux se base sur des soins de proximité avec un relais important de la médecine de ville. Or, la Guyane est un territoire avec de nombreuses zones enclavées et qui détient une médecine de ville largement sous développée en comparaison à la France. De plus, l’extrême précarité de la population guyanaise est totalement incompatible avec ce type de financement. Ainsi, l'éloignement géographique des communes de l'intérieur ne permet pas des rotations rapides dans les lits, ce qui ne permet pas de créer de plus-value de l'acte car c'est l'acte qui est financé et non l'hospitalisation. Que vous soyez soigné 5 jours ou 10 jours dans un lit d'hôpital la somme versée à l'hôpital est la même ! Concernant la précarité économique, une étude faite par la direction du CHAR en 2013 montre que 75% des personnes venant consulter au CHAR bénéficient soit de la CMU, soit de l'AME, soit non pas de couverture santé ! Pour rappel, pour bénéficier de la CMU il faut gagner moins de 900€ sur trois mois ou bénéficier des minimas sociaux ! Ce même rapport, ainsi que celui rédigé par les administrateurs provisoires du CHAR concluait par le fait que la T2A n'était pas adaptée au système guyanais !

De plus, l'absence de couverture sociale entraîne des actes impayés. Ces impayés résultent d'un refus de la sécurité sociale de prendre en charge des soins pour des patients qui n'avaient pas ou n'avaient plus leurs droits de sécurité sociale ouverts. Le rapport des administrateurs provisoires relève que ce défaut de protection sociale concerne peu les étrangers en situation irrégulière qui sont pris en charge par les Soins Urgents et l'AME, mais concerne davantage de nombreux guyanais qui n'ont pas renouvelé leurs droits à la sécurité sociale, ainsi qu'un nombre non négligeable de guyanais des communes de l'intérieur qui n'ont jamais eu affaire à la CGSS avant leur hospitalisation ! On peu alors se demander si des dysfonctionnements de la Caisse Générale de Sécurité Sociale de Guyane n'ont pas favorisé de tels déficits. En effet, on constate, par exemple, des délais anormalement longs de renouvellement de CMU qui entraînent régulièrement un défaut de sécurité sociale chez de nombreux usagers. En 2016, les actes impayés représentaient environ 18 millions d'euros pour le seul hôpital de Cayenne.

En outre, la réforme des Soins Urgents de 2012, qui permet de soigner les patients étrangers sans sécurité sociale, nécessitant des soins urgents, a fait perdre plus de 29 millions d'euros de recettes au seul hôpital de Cayenne en 5 ans, creusant encore davantage son déficit. En effet, dans le cadre de l'austérité budgétaire, l'Etat a décidé de réduire le remboursements des actes faits aux patients relevant des Soins Urgents et de l'AME, ce qui impacte particulièrement les hôpitaux guyanais où plus de 10% des actes effectués relèvent de ces deux dispositifs.

L'application des autres lois régressives ont également marqué nos hôpitaux. Ainsi, de 2013 à 2016, l'ancien directeur du CHAR a mis en place un grand plan d'économie visant à supprimer près de 200 emplois. Bien qu'il soit parti avant d'avoir exécuté l'ensemble de son plan, il aura tout de même supprimé une partie des services logistiques (archives, magasins, lingerie...) et réduit les effectifs soignants dans le nouveau Pôle Femme Enfant. Notons, par ailleurs, que le fonctionnement de ce nouveau Pôle Femme-Enfant, bien que fondamental pour répondre aux besoins de la population guyanaise, n'a pas été financé par l'Etat français, provoquant en partie le déficit du CHAR. Enfin, concernant Saint Laurent, la reconstruction de l'hôpital passe également par un plan de retour à l'équilibre financier impactant le personnel.

III Pour un système sanitaire en phase avec les besoins de la population

Devant ces constats, nous devons imposer des solutions pérennes pour notre pays. Nous devons nous doter d'un système sanitaire en phase avec les besoins de la population.

Cela passepar la mise en place d'un Centre Hospitalier Universitaire qui permettrait de former nos médecins, sages-femmes, Infirmiers Anesthésistes, Infirmiers de Bloc Opératoire, etc., et d'attirer de nouvelles compétences. Des services nécessaires actuellement absents pourraient être développés, tels que un service de soins intensifs cardiologiques ou neuro-vasculaires, un service de radiologie interventionnelle, des services de chirurgie thoracique, de neurochirurgie et de chirurgie maxillo-faciale, un service de radiothérapie (traitement des cancers), un service d’hématologie clinique ainsi qu'un service d'Aide Médical à la Procréation complet. Pour une équité dans l’accès aux soins et face à la démographie rapide de Saint Laurent, on pourrait imaginer un CHU qui regroupe plusieurs établissements sur le territoire tel que le CHAR, le CHOG ou encore le CMCK, ainsi que l'ensemble des Centres de Santé disséminés sur le territoire.

Les besoins de santé de la population passent également par la création de deux hôpitaux avec une maternité de niveau I (accouchement à bas risque) à Maripasoula et à Saint Georges de l'Oyapock. La particularité géographique de ces deux structures pourrait laisser supposer la mise en place de partenariats internationaux avec le Brésil et le Surinam, pour soigner indifféremment la population des deux cotés des frontières.

Évidemment le financement de telles structures dépendrait du statut de la Guyane, en tant que territoire français ou comme état indépendant. Cependant, le développement structurel de notre système sanitaire ne peut pas attendre une éventuelle évolution du statut de la Guyane. L’État français doit faire les apports nécessaires pour sortir les hôpitaux de Guyane de leur dramatique situation financière et crée au plus vite un CHU pour offrir une offre de soins adaptée aux besoins de la population guyanaise. De plus, l’État français doit modifier le mode de financement de nos hôpitaux, en supprimant la T2A et en repassant à un système de dotation globale qui prendrait en charge toutes les particularités guyanaises.

1http://www.ars.guyane.sante.fr/fileadmin/GUYANE/fichiers/Concertation_regionale/PSRS_Guyane_20110711.pdf

2http://www.commonwealthfund.org

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.