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Billet de blog 20 mars 2017

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LE SYSTEME DE SANTE GUYANAIS VICTIME DES SOUS- DOTATIONS DE L'ETAT FRANCAIS

Alors que la clinique Véronique a fermé son bloc opératoire depuis 6 mois par faute de moyens, que la Croix Rouge vient d'annoncer la vente du CMCK et que le CHAR se prépare à une nouvelle cure d'austérité pour combler son déficit de plusieurs dizaines de millions d'euros, de récentes expertises nous apprennent que nos hôpitaux sont victimes de sous-dotations de l’État.

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 Comme nous vous le disions précédemment1, le système de santé guyanais est victime des diverses réformes de santé mises en place par les gouvernements successifs depuis 2007. Nous avions, par exemple, estimé que pour la seule réforme des Soins Urgents de 2012 l'hôpital de Cayenne avait vu son budget amputé de 29 millions d'euros cumulés à ce jour. A ce moment, nous n'avions pas connaissance des récentes expertises commandées par l'administration provisoire du CHAR en 2016. Celles-ci nous informent que l'absence de prise en considération des spécificités guyanaises entraîne plusieurs millions d'euros de sous-dotations aux hôpitaux guyanais !

 Une première étude concerne l'impact de la précarité sur le budget du CHAR. Selon cette étude interne, 46% des séjours hospitaliers recouvrent les critères officiels de précarité. Cela se décompose en 4,5% de Soins Urgents pour les patients sans sécurité sociale, 8% de bénéficiaires de l'AME dont la régularité administrative en Guyane est en attente de traitement et 33,5% de bénéficiaires de la CMU dont les revenus sont largement inférieurs au seuil de pauvreté. Rappelons que ces constats de 46% de séjours relevant de la précarité sont largement en dessous des résultats de l'étude de 2011, commandée par l'ancienne direction du CHAR, qui montrait que 73% des patients étaient en situation de précarité selon la méthodologie EPICES (Évaluation de la Précarité et des Inégalités de santé dans les Centres d'Examens de Santé). L'étude de 2016 nous informe que pour 2015 et 2016 c'est près de 2 millions d'euros par an qui n'ont pas été compensés par l’État ! Pour 2017, l'étude prévoit un manque à gagner de plus de 3 millions d'euros, qui devrait être pris en charge par l’État via un financement de « Mission d'Intérêt Général ». Selon cette étude, de 2015 à 2017, c'est plus de 7 millions d'euros de sous-dotations de l’État en lien avec une trop faible prise en compte de la précarité au CHAR. Il est évident que l'on doit constater les mêmes manquements dans les autres structures sanitaires guyanaises.

 Une seconde étude en lien avec la précédente, nous apprend que les dotations de l’État dans le cadre de « Mission d’Intérêt Général » pour les Permanences d’Accès aux Soins de Santé (PASS) sont largement insuffisantes. Les PASS ont pour but de permettre une prise en charge médicale et sociale aux populations les plus défavorisées. Selon cette étude, en 2015 la sous-dotation de l’État était de 1,5 millions d'euros et de près de 2 millions d'euros en 2016. Pour 2017, la sous-dotation prévue est de 2,5 millions d'euros. Là encore, en l'espace de 3 ans, c'est plus de 6 millions d'euros de sous-dotations de l’État pour le seul hôpital de Cayenne !

 Une autre étude commandée par le CHAR nous informe que les dotations de l’État concernant les Centres Délocalisés de Prévention et de Santé (CDPS) sont largement en deçà de ce qui est nécessaire. Les CDPS sont les structures sanitaires mises en place dans chaque commune guyanaise éloignée d'un centre hospitalier, elles sont des permanences d’accès aux soins fondamentales pour les guyanais de « l’intérieur ». En raison d'une forte augmentation d'activité et de la mise en place de nouvelles technologies, telle que la télémédecine, la dotation fixée en 2010 n'est plus adaptée aux besoins de fonctionnement de ces structures. De plus, certaines structures de soin sont vieillissantes, voire pour certaines inutilisables, notamment en période des pluies ! Il est donc urgent de reconstruire certains CDPS. Enfin, depuis de nombreuses années, la Guyane a besoin d'un centre d’accueil des patients et des parents venant des communes et qui ne nécessitent pas ou plus de soins. Jusqu'à ce jour, ces patients occupent un lit d'hôpital dans l'attente d'un retour en commune ou de leur accouchement. En prenant tous ces paramètres en compte, l'étude estime que d'ici à 2022 la dotation de l’État pour les CDPS devra augmenter de plus de 6 millions d'euros par an pour ne pas être déficitaire !

 Enfin, une dernière expertise datant de 2016, nous apprend que les spécificités géographiques, économiques et structurelles de la Guyane ne sont pas suffisamment prises en compte par l’État Français. Pour tenir compte « des surcoûts immobiliers, salariaux et fiscaux constatés dans certaines zones géographiques, ainsi que des charges spécifiques aux départements insulaires et d'outremer liées à l'éloignement et à l'isolement, qui modifient de manière manifeste, permanente et substantielle le prix de revient de certaines prestations » (Art. R.162-42-1 du CSP) les dotations de la Sécurité Sociale sont majorées selon un Coefficient Géographique. Ce Coefficient est définit par le Ministère de la santé, il est de 1,26 pour « l'ensemble des départements d'Amérique » et de 1,31 pour la Réunion. L'expertise menée par le Centre National de l'Expertise Hospitalière démontre qu'il est impossible d'appliquer le même coefficient géographique à la Martinique et à la Guyane, tant l'insuffisance du tissus industriel ou des infrastructures est criant en Guyane.

 Concernant les infrastructures, l'expertise met en lumière le décalage entre la Martinique et la Guyane. Notons, par exemple, un réseau routier de 2500km pour 1128km² en Martinique, contre 850km pour 83 000km² en Guyane. Les différences d'infrastructures de traitement des déchets sont également particulièrement parlantes, avec deux lignes de combustions des déchets en Martinique produisant 4 Méga Watts d'électricité, contre aucune incinération en Guyane qui détient deux décharges légales, dont une qui a donné lieu à une condamnation de la France par la Cour Européenne en 2005. Par conséquent, une part importante des déchets hospitaliers doit être traitée en dehors de la Guyane. Ce manque d'infrastructure génère des surcoûts importants pour l’ensemble des établissements guyanais.

 L'expertise démontre également comment la faiblesse du tissus industriel guyanais, oblige les hôpitaux à recourir à de nombreuses entreprises antillaises ou métropolitaines générant de fait un surcoût très important.

 De plus, l'expertise met en lumière le surcoût lié aux médecins qui bénéficient de la prime de 40% en Guyane, alors qu'elle n'est que de 20% dans les Antilles, ou encore la prime d’installation pour le personnel hospitalier qui est en place en Guyane, mais plus dans les Antilles. Ces différents surcoûts en personnels, qui peuvent s'avérer importants pour attirer les professionnelles de santé largement déficitaires sur notre territoire, ne sont pas compensés par l’État.

 Cette expertise conclut en estimant que si la Guyane bénéficiait d'un Coefficient Géographique équivalent à la Réunion et non à celui des Antilles, le CHAR aurait un budget supplémentaire de plus de 4 millions d'euros par an. Cette sous-évaluation actuelle du Coefficient Géographique, impacte l'ensemble des structures sanitaires guyanaises et explique pour partie leur déficit.

 Face aux constats de ces diverses études et expertises, la direction du CHAR demande au Ministère de la Santé une compensation financière de 17 millions d'euros pour l'année 2017. Cependant, ces 17 millions d'euros ne prennent pas en compte le manque à gagner qui perdure depuis de nombreuses années et qui a créé la situation de déficit et encore moins le manque à gagner lié aux diverses réformes, telle que celle des soins urgents de 2012 qui a coûté plus de 29 millions d'euros au CHAR en 5 ans. Pire, la nouvelle direction du CHAR demande parallèlement un plan d'économie de plus de 21 millions d'euros, avec gèle des embauches, réduction des études promotionnels et optimisation de la masse salariale, notamment dans le Pôle Femme Enfant. Au total, c'est près de 6 millions d'euros d'économie qui sont visés sur les seules Ressources Humaines au CHAR !

 Alors Pèp Lagwiyann, pensons-nous que c'est aux travailleurs et à la population de payer les insuffisances de l’État ? Allons nous laisser notre système sanitaire tomber en ruine ou dans les mains d'acteurs privés ne cherchant que le profit ? L’État Français doit intégralement financer les « Mesures d’Intérêt Générale » et compenser les déficits qu'il a créé dans nos structures sanitaires.

1https://blogs.mediapart.fr/adrien-guilleau/blog/200317/la-sante-des-guyanais-sacrifiee-sur-lautel-du-profit

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