La gauche de rupture porte depuis toujours un discours fiscal centré sur la progressivité, condition sine qua non de la justice en la matière. Ce principe simple est parfaitement résumé par le slogan répété ad nauseam par François Ruffin : « que les petits payent petit, que les gros payent gros ».
Ces dernières années, ce discours s’est principalement fixé sur la seconde partie de cette maxime : en témoigne l’emballement politico-médiatique de gauche pour le projet de taxe dite « Zucman », du nom de l’économiste français qui proposait un impôt de 2 % sur le patrimoine des foyers fiscaux supérieur à cent millions d’euros.
Ce harcèlement médiatique n’a rencontré qu’un écho modéré dans l’ensemble de la société, alors même que la question fiscale, et plus précisément de la justice fiscale, est l’un des facteurs de politisation les plus importants au sein de la société française, comme l’a montré la puissance du mouvement des Gilets jaunes à l’automne 2018, ainsi que ses résurgences numériques, à l’instar du mouvement « Nicolas qui paie », devenu ces derniers mois très populaire sur le réseau social X.
Le constat est donc clair : il existe très probablement une majorité électorale en faveur d’une plus grande justice fiscale ; pour autant, la gauche, qui défend ardemment ce principe, recule électoralement. L’enjeu n’est donc pas de changer de programme, mais d’en modifier la mise en récit.
Il est ainsi nécessaire d’axer le discours sur un affaiblissement de la pression fiscale sur les personnes les plus fragiles – les classes moyennes et populaires, les très petites, petites et moyennes entreprises – en mettant en lumière les bénéfices d’une meilleure progressivité des deux principaux impôts que sont l’impôt sur le revenu (« IR ») et l’impôt sur les sociétés (« IS ») pour les catégories de personnes, physiques comme morales, les moins aisées.
Ce changement de discours est d’autant plus fondamental que le consentement à l’impôt, bien que difficilement quantifiable, reste faible tant la ponction fiscale est un acte coercitif. Cela s’inscrit également dans le contexte d’une légère progression des prélèvements pour l’ensemble des classes moyennes et populaires, alors même que l’ensemble des services publics (éducation, santé, administration générale) se dégrade fortement. Le discours du « ras le bol fiscal » prend de ce fait une tournure relativement logique.
Il s'agit donc de mettre en lumière la face moins visible du programme fiscal de la gauche, afin de montrer qu'il existe une réponse programmatique à cette colère légitime.
L’accentuation de la progressivité de l’IR est soutenue de longue date par la gauche, avec la proposition d’instaurer quatorze tranches (en lieu et place des cinq actuelles) portée par L’Avenir en commun, le programme de Jean-Luc Mélenchon lors de la dernière élection présidentielle, puis reprise dans les programmes de la Nouvelle union populaire, écologique et sociale (« NUPES ») et du Nouveau front populaire (« NFP ») en 2022 et 2024.
Bien que les revenus jusqu’à 11 497€ bénéficient d’un taux marginal à 0 %, les deux taux marginaux suivants, qui impactent le plus les ménages les moins aisés, paraissent confiscatoires. En 2025, un couple marié avec deux enfants disposant d’un revenu net imposable de 60 000€ paierait par exemple 2 800€ d’IR, du fait du taux marginal de 11 % s’appliquant à leurs revenus supérieurs à 11 497€.
Par ailleurs, le taux marginal supérieur, fixé à 30 %, est certainement une des sources notables du « ras le bol fiscal » exprimé par une partie des classes moyennes qui, tout en jouissant d’un train de vie confortable, contribue davantage que les ménages réellement aisés.
C’est pourquoi il paraît pertinent de fixer a minima deux taux intermédiaires, par exemple à 5 % et à 20 %, afin d’alléger la pression fiscale sur les ménages dont les revenus sont exclusivement issus du travail. Si des résultats précis ne peuvent émerger de propositions aussi floues, l’on comprend tout de même qu’un allègement fiscal conséquent découlerait de cette adjonction de tranches, au bénéfice premier des classes les moins aisées.
La même logique peut s’appliquer aux entreprises, d’autant plus que l’IS est un impôt à taux quasi-fixe de 25 % sur les bénéfices (les PME disposant d’un taux de 15 % sur les 42 500 premiers euros de bénéfices). Nous pourrions imaginer, ici aussi, un barème progressif débutant aux alentours de 10 %.
L’on pourrait croire qu’il s’agit d’un aveu de faiblesse, d’une capitulation face au discours ambiant sur la compétitivité des entreprises. Pourtant, il ne s’agit que d’une mesure de justice fiscale dont Jean-Luc Mélenchon s’était emparé dans L’Avenir en commun, lorsqu’il proposait d’« instaurer un barème progressif en fonction des bénéfices réalisés ». Il apparaît en effet juste de rétablir une forme d’équité entre PME et grands groupes.
Cela d’autant plus qu’à l’instar des ménages les plus aisés, ces grands groupes recourent à des services juridiques capables d’optimiser fiscalement leurs flux financiers, si bien que les PME, comme les classes moyennes, payent en proportion plus d’impôts, comme l’ont montré divers travaux, à l’instar du désormais célèbre Institut des politiques publiques.
Ces maigres affaiblissements des rentrées fiscales (rappelons ici que l’IR et l’IS cumulés ont rapporté plus de 160Mds€ à l’État en 2024) seront bien évidemment surcompensées par la hausse massive des taux sur les plus hauts revenus et les plus grands bénéfices, ainsi que par le rétablissement de divers impôts et taxes abolis ou réformés depuis 2017.
Il est nécessaire de réaffirmer que le sens du propos, ici, n’est pas de dévier de la trajectoire programmatique de la gauche sur le plan fiscal, mais bien d’en redéfinir l’exposition médiatique et ce, dans l’unique but de pouvoir transformer ces promesses en réalités.