Qui est responsable de notre échec ? Cette question me hante depuis dimanche. Les abstentionnistes ? Les électeurs verts, socialistes et communistes ? Les dirigeants des partis de gauche ? Les autoproclamés « macronistes de gauche » ? La liste paraît sans fin. Et pourtant, ce ressentiment diffus et instinctif n’est-il pas vain ? Ne cache-t-il pas une incapacité à dépasser la frustration engendrée par l’élimination de Jean-Luc Mélenchon à 400 000 voix près ? Soyons honnêtes, invectives et injonctions soulagent à court terme mais, au-delà, elles aveuglent et empêchent toute analyse raisonnée. Ce texte propose donc de revenir sur le premier tour de l’élection présidentielle pour mieux dépasser ce stade et nous projeter vers de futures victoires.
La gauche d’abord. Qui, il y a encore trois mois, aurait pu imaginer qu’un candidat issu de ses rangs atteindrait 22% des suffrages ? Jugée inaudible par les avertis, elle augmente son score de 5 points par rapport à 2017 avec un ancrage très fort dans la jeunesse et les banlieues urbaines. Certes, ce n’est pas flamboyant mais c’est significatif. Jean-Luc Mélenchon, malgré un tempérament parfois éruptif et certaines prises de positions contestables ces cinq dernières années, a su brillamment incarner la gauche durant cette campagne en adoptant une posture qualifiée à juste titre de mitterrandienne par Pierre Rosanvallon. Quant à l’électorat de gauche, il a su se mobiliser envers et contre tout. Malgré la multiplication des candidatures et les appels à peine voilés de certains à enjamber l’échéance, il a fait l’union en lieu et place de ses dirigeants. La preuve en est que 50% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon se sont portés sur sa candidature pour des raisons stratégiques. Le message est clair : puisque vous ne voulez pas de l’union de notre camp social, nous la faisons à votre place ! Imaginez un peu la force d’un tel mouvement s’il s’incarne lors des prochaines élections législatives.
Le paradoxe macroniste ensuite. Nombreux sont ceux à avoir très tôt vu en Emmanuel Macron un nouveau Giscard, un homme de droite libérale classique, à rebours du récit macroniste de dépassement du clivage gauche-droite. Qu’en est-il électoralement en 2022 ? Le basculement de 32% des électeurs de Fillon en 2017 sur la candidature du Président de la République apporte un premier élément de réponse. On notera aussi qu’Emmanuel Macron obtient ses meilleurs scores chez les retraités (40%) et les cadres supérieurs (35%), à des niveaux équivalents à ceux obtenus par Nicolas Sarkozy en 2007. Troisième indice : la segmentation par revenus, avec une surreprésentation du vote des plus aisés dans son électorat. Le candidat Macron obtient en effet 40% des voix des Français gagnant plus de 3 500 euros par mois contre 14% de ceux dont le revenu ne dépasse pas 1 000 euros. Ces données témoignent d’un ancrage électoral et sociologique à droite. Celui-ci n’est évidemment pas le fruit du hasard, mais bien la conséquence d’une orientation politique qui a imprimé depuis 5 ans et qu’Emmanuel Macron a clairement affirmé durant sa campagne de premier tour. C’est là le paradoxe : malgré une augmentation de son score au premier tour, l’assise électorale du candidat Macron s’est considérablement contractée au point de s’inscrire dans un clivage gauche-droite qu’il pensait avoir enterré.
La perspective du second tour enfin. Je parlais de frustration un peu plus haut. Une fois conduite cette analyse de notre mobilisation collective et de la position macroniste, on a de quoi mieux la comprendre ! Néanmoins, elle ne peut en aucun cas justifier un vote Le Pen ou une abstention dimanche prochain. Qu’est-ce que le lepénisme ? Les chambres à gaz « détail de l’Histoire », le retour des skinheads dans les rues de nos villes, la suppression des aides familiales et sociales aux étrangers, les restrictions dans leur accès au logement, la soumission béate aux intérêts de Vladimir Poutine, la collaboration avec Zemmour, entre autres. L’extrême droite à l’Élysée, c’est une politique de discrimination qui frappera nos familles et nos amis.
Bien évidemment, l’appel au Front Républicain implique l’ensemble de ses composantes. Conscient du rapport de force électoral, Emmanuel Macron devra procéder à des ajustements programmatiques et discursifs majeurs. Pour autant, il ne fait aucun doute que le principal moteur de notre mobilisation réside ailleurs. Pour la gauche, c’est d’abord et avant tout une responsabilité morale face au risque encouru par notre pays. Mais pas uniquement. C’est aussi l’une des conditions de l’entretien de sa dynamique commune, loin de la frustration et du ressentiment.