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Billet de blog 9 juin 2020

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Procès Kamerhe : entre dysfonctionnements de l’Etat et guerre larvée à la Présidence

Les nombreuses auditions du procès du directeur de cabinet du président Félix Tshisekedi mettent en lumière la gestion anarchique de l’Etat congolais et la lutte de pouvoir qui déchire la Présidence de la République entre l’UDPS et l’UNC.

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Illustration 1
Vital Kamerhe à la barre du tribunal le 3 juin 2020 © Christophe Rigaud - Afrikarabia

Irrégularités, anomalies, dysfonctionnements… on ne sait plus comment qualifier la gestion quelque peu cavalière de l’argent public en République démocratique du Congo (RDC). Ce n’est pas une nouveauté, mais le procès Kamerhe est particulièrement éclairant sur la question. Avec ses deux co-accusés, le directeur de cabinet du président de la République, Vital Kamerhe, est soupçonné d’avoir détourné 50 millions de dollars de fonds publics destinés à la construction de 1.500 maisons préfabriquées. Une opération montée dans la précipitation, après l’élection surprise de Félix Tshisekedi. Le nouveau président lance alors son « programme des 100 jours » pour répondre dans l’urgence aux besoins de la population congolaise : construction de logements, d’infrastrures, de routes…

Utilisation des réserves de change

Les auditions des témoins du procès Kamerhe apportent un éclairage cru sur la gestion peu orthodoxe des fonds public qui laisse la porte ouverte à tous les abus et à la corruption. Le caractère d’urgence du programme, et le retard pris dans la nomination du nouveau gouvernement, a obligé la présidence à piloter directement les projets des « 100 jours » en court-circuitant l’exécutif sortant. Pour le mouvement citoyen Filimbi, qui a suivi avec attention ce procès anti-corruption, le financement de ce programme n’a pas respecté la chaîne des dépenses publiques : dépenses non inscrites au budget, crédits indisponibles pour financer le programme… le tout, pour des décaissements de plus de 200 millions de dollars.

Le procès Kamerhe nous apprend que le programme des 100 jours a été financé par les réserves de change de la Banque centrale du Congo (BCC). Une réserve essentielle pour l’Etat, qui lui permet de réguler les taux de change et de maintenir les équilibres macroéconomiques dans un pays où la plupart des transactions s’effectuent dollars. L’utilisation de cette réserve pour financer les travaux des 100 jours a provoqué « une dévaluation de la monnaie, une augmentation du coût des importations, une baisse de la croissance et une augmentation des prix » dénoncent Floribert Anzuluni et Carbone Beni, de Filimbi.

37 millions de dollars sortis… en liquide

La réglementation bancaire a également été sérieusement malmenée dans le financement du programme des 100 jours. Selon des extraits bancaires, une banque privée, la Rawbank, aurait détourné des ordres de transfert de la Banque centrale pour 57 millions de dollars, destinés à l’entreprise du co-accusé Jammal Samih (SAMIBO SARL) sur son compte de l’Ecobank, pour les transférer sur le compte personnel de Jammal Samih à la Rawbank. Des retraits en liquide ont ensuite été effectués à la Rawbank pour un montant de 37 millions de dollars. Une aberration lorsque l’on sait que les banques congolaises sont limitées à 10.000 dollars des retraits en cash. « Pourquoi cette banque n’a-t-elle pas comparu ? Et qu’est-ce qui justifie une telle légèreté de la Banque centrale vis-à-vis de la Rawbank ? » se demande Filimbi.

Ces fonds en liquide ont circulé en tout impunité. La Banque centrale a autorisé des décaissements en cash, remis au comptable de la Présidence : 1,14 million de dollars, puis 1,5 millions de dollar. « A quoi ont servi tous ces montants ? » s’interrogent Floribert Anzuluni et Carbone Beni. Un responsable du programme des 100 jours est visiblement allé à Matadi avec cet argent liquide, apprend-t-on à l’audition. « Un prestataire sérieux et l’administration douanière ne pouvaient-ils pas se faire payer par voie bancaire à partir de Kinshasa ? »

« Un système prédateur qui perdure »

Le procès Kamerhe n’a pas non plus apporté de précisions sur la procédure de désignation de l’homme d’affaires libanais Jammal Samih pour obtenir le marché des maisons préfabriquées. « Au-delà de la violation des conditions d’octroi d’un marché de gré à gré » pointe Filimbi, « la préférence aurait dû être accordée à une personne physique ou morale congolaise, pourquoi ce marché n’a-t-il pas été accordé à un entrepreneur congolais ? » Et de rappeler également que l’avance maximale autorisée de 30% du marché a également largement été dépassée.

Avec cette longue liste de dysfonctionnements dans la gestion de l’argent public en RDC, Filimbi dénonce « un système prédateur qui perdure depuis des décennies, et matérialisé par les multiples détournements de fonds publics par un petit groupe de personnes ». Le mouvement citoyen espère que le procès Kamerhe n’est que « le point de départ d’une série d’autres procès parmi lesquels les marchés des passeports, le site agricole de Bukanga Lonzo, la Gécamines, la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI), les Lumumba Papers »…

Guerre larvée à la Présidence

Si le manque de transparence de la gestion publique a éclaté au grand jour lors des auditions du procès Kamerhe, la guerre intestine qui se déroule au sein de la Présidence congolaise a été étalée en direct devant les caméras de la télévision nationale. L’audition de l’ancien ministre Bitakwira, qui officiait dans l’exécutif sortant, a confirmé que le directeur de cabinet du nouveau président Tshisekedi « a paralysé notre gouvernement, nous étions de simples spectateurs ». La Présidence était devenue une sorte de gouvernement bis, qui passait allègrement au-dessus du Premier ministre et de ses ministres encore en poste.

A la Présidence congolaise, deux partis politiques cohabitent difficilement autour de Félix Tshisekedi : le parti présidentiel, l’UDPS, et l’UNC, le parti de Vital Kamerhe, le directeur de cabinet. Dans l’entourage du nouveau président, l’arrivée de ce nouvel allié politique à fait grincer des dents. Le poste de directeur de cabinet est hautement stratégique et certains cadres de l’UDPS ont vu le poste leur échapper. Il y a clairement deux clans à la présidence : celui de Tshisekedi et celui de Kamerhe, qui se battent au sein du cabinet. Ambiance malsaine, d’autant plus que les compétences sont rarement les critères de recrutement pour intégrer le saint des saints.

« C’était une coordination de façade »

Les désaccords à la Présidence sont étalés au grand jour pendant les audiences. L’ambassadeur itinérant du président de la République, Nicolas Kazadi, a affirmé n’avoir jamais été associé dans le financement du programme d’urgence. Pourtant membre de la Commission de supervision et de suivi des travaux de 100 jours, il n’a (...) Lire la suite sur Afrikarabia.

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