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Billet de blog 15 décembre 2020

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Un nouveau mandat pour la MONUSCO : mettre en œuvre la justice transitionnelle en RDC

Jean-Pierre Lacroix, Secrétaire général adjoint et chef des opérations de maintien de la paix de l’ONU, est cette semaine en visite de cinq jours en RDC. L’occasion de faire le point au moment où la MONUSCO amorce sa « stratégie de retrait » et devrait voir, ce vendredi 18 décembre, son mandat renouvelé par le Conseil de sécurité.

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Illustration 1
Le nouveau commandant de la Monusco à Beni en février 2020 © Monusco

Par Luc Henkinbrant *

Dans son dernier rapport sur la MONUSCO du 21 septembre 2020, le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Gutteres, déclarait « Je suis préoccupé par le recul du respect des droits dans les provinces touchées par des conflits, sachant qu’un nombre croissant d’atteintes aux droits humains et de violations de ces droits sont imputées à des groupes armés, mais également aux forces de défense et de sécurité de la République démocratique du Congo. J’encourage le Gouvernement à adopter une stratégie nationale de justice transitionnelle, qui permettrait de lutter contre l’impunité et de rendre justice aux victimes ». La cheffe des droits de l’homme de l'ONU, la Haute Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme, Michelle Bachelet, a, elle aussi, récemment appelé les autorités congolaises à renforcer leurs efforts pour prévenir de nouvelles violations des droits de l’homme et de nouveaux abus dans l’est de la RDC et à prendre des mesures concrètes pour mettre en place des processus de justice transitionnelle qui accordent aux milliers de victimes des conflits successifs leurs droits à la justice, à la vérité et aux réparations.

Dans la même période, les mots « justice transitionnelle » ont été prononcés, probablement pour la première fois, par un Président de la République Démocratique du Congo. Lors d’une communication au Conseil des Ministres du 7 août 2020, Félix Tshisekedi Tshilombo, a déclaré que « Pour remédier au lourd héritage des abus des droits humains dans les sociétés qui sortent de conflits armés, le mécanisme de justice transitionnelle s’offre comme un des outils à même de contribuer à lutter contre l’impunité des crimes graves, à faciliter la reconnaissance et l’indemnisation des victimes ». Simultanément, il a constaté que le dossier relatif à la justice transitionnelle n’a guère évolué et a demandé de le soumettre dans le meilleur délai au Conseil des Ministres pour examen et adoption éventuelle.

Dans le même temps, le Gouvernement de la RDC a négocié avec les Nations Unies une « stratégie commune sur le retrait progressif et échelonné de la MONUSCO ». Le Conseil de sécurité, dans sa résolution 2502 (2019) § 49, a prié le Secrétaire général de collaborer avec le Gouvernement de la République démocratique du Congo à l’élaboration d’une stratégie commune et à la définition d’une série d’indicateurs mesurables en vue de permettre le transfert progressif des tâches de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) aux autorités congolaises, à l’équipe de pays des Nations Unies et aux autres parties prenantes. Les deux parties se sont déjà rencontrées. Un accord a été signé et le Secrétaire général, fin octobre dernier, a partagé avec le Conseil de Sécurité la stratégie commune sur le retrait progressif et échelonné de la MONUSCO. Cette « exit strategy » ne dit rien à propos d’une stratégie de justice transitionnelle et de la mise en place de ses mécanismes en RDC tels qu’ils sont pourtant recommandés dans un rapport des Nations Unies : le Rapport du Projet Mapping concernant les violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du Congo (Août 2010). Depuis plus de dix ans maintenant, le Rapport Mapping, selon l’expression utilisée par le Prix Nobel de la Paix, continue de « moisir dans les tiroirs », à New York et à Genève, alors qu’il devrait être un des piliers fondamentaux de la stratégie de retrait de la MONUSCO et orienter les tâches à remplir par la Mission avant son départ de la RDC. C’est ce qu’a encore réclamé le Dr. Mukwege dans un tweet à la veille du 10 décembre : « Dans le cadre de la prochaine résolution du CS des NU sur le mandat de la MONUSCO, nous invitons les Etats membres du Conseil à soutenir la mise en place des mécanismes judiciaires et extra-judiciaires de la justice transitionnelle pour instaurer une paix durable en RDC. »

Il devient donc très urgent de formuler une véritable stratégie nationale globale de justice transitionnelle, axée sur les victimes et sensible au genre, reposant sur les quatre piliers ou mécanismes de la justice transitionnelle qui apporteront enfin une réponse satisfaisante aux droits des victimes à la justice, à la vérité, aux réparations et aux garantie de non-répétition des atrocités qu’elles ont connues.

La mise en œuvre de cette stratégie appropriée de justice transitionnelle par les institutions gouvernementales pertinentes, les Nations Unies, la société civile et les principales parties prenantes, notamment les victimes, sera certes échelonnée, mais certains de ses éléments doivent être mis en place sans plus tarder et être intégrés dans un nouveau mandat de la MONUSCO, afin de commencer à répondre au besoin de justice largement exprimé par les Congolais.es descendu.e.s par milliers dans les rues de Bukavu et de nombreuses autres villes, à l’occasion du 10ème anniversaire de la publication du Rapport Mapping, le 1er octobre 2010.

La demande est très forte aujourd’hui de voir enfin donner une suite, en termes de poursuites pénales, d’établissement de la vérité, de réparations, de garanties de non-répétition, aux 617 incidents de violence documentés par le Rapport Mapping. Ces « incidents », au regard des cadres juridiques national et international applicables, constituent différents types de violations graves des Droits de l’Homme et du Droit International Humanitaire, qui, si elles sont établies et prouvées devant un tribunal impartial et indépendant, pourraient être qualifiées de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et même de crimes de génocide.

Cette « demande de justice transitionnelle » est catalysée par le Prix Nobel de la paix, le Dr. Mukwege. Dans son message de parrainage du Mémorial en ligne www.memorialrdcongo.org il déclare : « Je suis convaincu, comme les jeunes initiateurs de ce mémorial, que la réponse appropriée à cet héritage douloureux de violences et de crimes est la mise en œuvre des mécanismes de la justice transitionnelle à savoir, les poursuites pénales, l’établissement de la vérité, les réparations pour les victimes et les réformes institutionnelles pour empêcher que de tels crimes ne puissent se reproduire en RDC . Pour reprendre mon Appel d’Oslo : « Ayons le courage de révéler les noms des auteurs des crimes contre l’humanité pour éviter qu’ils continuent d’endeuiller cette région. Ayons le courage de reconnaître nos erreurs du passé. Ayons le courage de dire la vérité et d’effectuer le travail de mémoire », et d’ajouter : « Au nom de toutes les veuves, tous les veufs et des orphelins des massacres commis en RDC et de tous les Congolais épris de paix, j’appelle la communauté internationale à enfin considérer le Rapport du Projet « Mapping » et ses recommandations. »

Les recommandations du Rapport du Projet Mapping 

La « demande de justice transitionnelle » fortement relayée par la population  se traduit donc aujourd’hui en une demande de mise en application des recommandations du Rapport du projet Mapping qui avait comme un des points principaux de son mandat : «  Élaborer, compte tenu des efforts que continuent de déployer les autorités de la RDC ainsi que du soutien de la communauté internationale, une série de formules envisageables pour aider le Gouvernement de la RDC à identifier les mécanismes appropriés de justice transitionnelle permettant de traiter les suites de ces violations en matière de vérité, de justice, de réparations et de réforme ».
Il sied donc d’examiner attentivement quelles sont ces « formules envisageables » ou ces recommandations formulées par le Rapport Mapping qui peuvent servir de base à la définition d’une stratégie nationale et globale de justice transitionnelle. Il ne faut toutefois pas les transformer en une bible dont pas même un mot ne pourrait être modifié. En effet, ces recommandations, formulées il y a plus de 10 ans déjà (et restées quasi totalement inappliquées) ne peuvent évidemment prendre en compte les développements qu’a connu la justice transitionnelle dans de nombreux pays post-conflit durant ces dix dernières années. Que l’on pense, par exemple, à la mise en place des mécanismes de la justice transitionnelle en République centrafricaine, dans plusieurs pays arabes, etc. Les leçons apprises de ces expériences plus récentes pourraient amener à « modaliser » certaines des recommandations du Rapport Mapping en ce qui concerne, par exemple, les mécanismes de recherche de la vérité.

L’intervention des « Etats tiers »

Il faut aussi très sérieusement prendre en compte une grande particularité de la situation congolaise : les crimes documentés par le Rapport Mapping n’ont pas été commis uniquement par des congolais ou entre Congolais, lors de conflits armés internes. La majorité de ces crimes ont été commis par des groupes et des forces armées étrangères, lors de conflits armés internationaux ou internationalisés. Le Rapport Mapping identifie clairement, et c’est là probablement la raison de sa « mise au tiroir », des « Etats tiers », des pays « qui peuvent être tenus responsables de violations graves des droits de l’homme commises par leurs armées nationales pendant la période sous considération en RDC, notamment l’Ouganda, le Rwanda, le Burundi et l’Angola ». En 2001, le Conseil de sécurité a souligné dans sa résolution 1341 (2001) « que les forces occupantes devront être tenues responsables des violations des droits de l’homme commises dans le territoire qu’elles contrôlent ». Quant aux responsabilités individuelles, le Conseil de sécurité a rappelé l’obligation de l’État congolais et aussi des autres États de la région, notamment les États impliqués dans le conflit armé, « de traduire les responsables [des violations] en justice et de permettre que le nécessaire soit fait… pour que ceux qui auraient commis des violations du droit international humanitaire aient à en répondre ». Sans cette coopération, la responsabilité des commandants et des donneurs d’ordre pourrait s’avérer impossible. Le Rapport Mapping note qu’à ce jour, aucun des pays tiers impliqués dans les conflits en RDC n’a engagé de poursuites contre les nationaux impliqués dans la commission des crimes graves, malgré l’existence d’indices sérieux quant à la responsabilité de leurs armées dans les crimes commis en RDC. (§1015-1016)

Cette forte implication des pays tiers dont la responsabilité internationale est engagée pour violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire doit être prise en compte lors de l’élaboration de la stratégie nationale de justice transitionnelle et de ses mécanismes de poursuites pénales, de recherche de la vérité, de réparations, de garanties de non-répétition.

Droit à la justice

Il faut avant tout veiller à ce que le droit des victimes à la justice soit respecté. En tant qu’un des piliers de la justice transitionnelle, les poursuites judiciaires peuvent et doivent jouer un rôle essentiel afin d’établir les responsabilités des auteurs de violations, faciliter la réconciliation, octroyer une réparation aux victimes et avoir un effet dissuasif pour que de tels violations et abus ne soient plus commis à l’avenir, particulièrement dans des contextes où l'impunité a prévalu depuis des décennies.

La demande la plus souvent entendue ces derniers temps, dans les marches, les médias, les webinaires, etc., en matière de poursuites judiciaires des auteurs présumés est celle de la création d’un Tribunal Pénal International pour la RDC. Paradoxalement, cette demande n’est ni préconisée par le Rapport du projet Mapping, ni formulée en ces termes par le Dr. Mukwege. Ce dernier, dans ces discours ou déclarations, évoque toujours la création d’un TPI et/ou de chambres spécialisées mixtes au sein des tribunaux congolais. Le Rapport Mapping, quant à lui, rappelle que la résolution n° 5 de la Commission Paix et Réconciliation du Dialogue intercongolais appelait dès avril 2002 à la création d’un « Tribunal pénal international pour la RDC et que cette demande n’a pas fait l’objet d’une requête officielle, pourtant prévue dans les résolutions du Dialogue intercongolais. Ce type de juridiction, toujours selon le Rapport Mapping, présente des avantages et des faiblesses.

En conclusion du Chapitre III (Mécanismes judiciaires) de la SECTION IV (Options de justice transitionnelle pour la RDC) du Rapport Mapping, on peut lire : « L’Équipe Mapping considère qu’un mécanisme de poursuites mixte – composé de personnel international et national – est nécessaire pour rendre justice aux victimes étant donné le manque de capacité des mécanismes existants « et les nombreux facteurs qui entravent l’indépendance de la justice ». Les modalités de fonctionnement et la forme exacte d’une telle juridiction « devraient être décidées et détaillées par une consultation des acteurs concernés, ainsi que des victimes affectées… ». Un tel mécanisme devrait, entre autres, appliquer le droit pénal international relatif aux crimes internationaux, y compris « sur la responsabilité des supérieurs pour les actes commis par les subordonnés ; exclure la juridiction des tribunaux militaires en cette matière et avoir compétence sur toutes les personnes qui ont commis ces crimes, nationaux ou étrangers, civils ou militaires (§ 1052/1054). »

Le Rapport Mapping détaille ensuite les deux formules de juridictions mixtes qui ont été utilisées dans le passé : les tribunaux spéciaux mixtes internationaux ou internationalisés qui ne font pas partie de l’ordre juridique interne et fonctionnent à l’extérieur du système national (Sierra Leone, Liban) et les chambres mixtes et spécialisées qui sont intégrées dans l’ordre juridique interne et font partie du système judiciaire national (Cambodge, Bosnie Herzégovine).

Dans le contexte spécifique des conflits armés internationaux qu’a connu la RDC, on peut se demander si ce n’est pas une combinaison et une répartition des tâches entre ces deux types de juridictions mixtes qui serait la formule la plus appropriée à adopter en RDC.

Afin de ne plus perdre de temps dans des controverses et des débats qui durent depuis bientôt vingt ans, la stratégie en matière de mécanismes judiciaires pourrait s’articuler comme suit :

1 / Conformément à la résolution n° 5 de la Commission Paix et Réconciliation du Dialogue intercongolais (avril 2002) adresser une requête du Gouvernement congolais au Conseil de Sécurité des Nations Unies en vue de l’institution d’un Tribunal Pénal International pour la RDC, doté de compétences nécessaires pour connaître de crimes de génocide, crimes contre l’humanité, y compris le viol utilisé comme arme de guerre, crimes de guerres et violations massives des droits de l’homme.

2 / Si le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui, pour diverses raisons, n’a plus créé de Tribunal Pénal International ad hoc depuis 25 ans (TPIY 1993, TPIR 1994), ne répond pas favorablement à cette requête lui adressée par le gouvernement, le Président de la République pourra solliciter l’aide des Nations Unies en vue de créer un mécanisme de poursuites mixte sous la forme d’un Tribunal pénal spécial pour la RDC, en s’inspirant de la démarche adoptée par son homologue de la République de Sierra Leone. Par une telle demande, un Tribunal spécial pour la RDC peut être créé, non par une Résolution du Conseil de sécurité, mais sur base d’un Accord entre le Gouvernement congolais et les Nations Unies. Ce Tribunal spécial, de caractère international et fonctionnant à l’extérieur du système judiciaire congolais, siégerait dans le pays, et appliquerait le droit international et, si approprié, des dispositions de droit interne congolais. Cette juridiction serait constituée d’une majorité de juges, magistrats, procureurs et enquêteurs internationaux travaillant conjointement avec leurs collègues congolais. Bien que rien n’oblige à ce que la majorité de tous les employés d’une telle institution soient internationaux, il sera néanmoins nécessaire de s’assurer que les acteurs internationaux jouent un rôle prépondérant dans les décisions du tribunal, notamment par rapport aux poursuites engagées et aux jugements rendus, afin de renforcer la perception d’indépendance et d’impartialité qu’apporte leur présence au sein de la Cour (§1039). Le Rapport Mapping décrit plusieurs des avantages de la mise sur pied d’une telle juridiction mixte  dont certains pourraient se révéler très importants dans le contexte régional des conflits qui ont frappé la RDC. Un tel tribunal pourrait poursuivre des  (...) Lire la suite sur Afrikarabia.

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